(Enquête) Forum mondial de l’eau “Dakar 2021” : Le coût réel d’un événement aux retombées incertaines

 

Présenté comme “le plus grand événement international de sensibilisation axé sur l’eau et le développement”, le Forum vise aussi à “favoriser le débat en fournissant une plateforme à toutes les parties prenantes pour s’engager, échanger, apprendre ensemble” détaille le Cme.

Le premier Fme s’est tenu à Marrakech (Maroc) en 1997. Le dernier en date, a eu lieu à Brasilia, au Brésil, dans la troisième semaine du mois de mars 2018. C’est d’ailleurs à la cérémonie de clôture de ce rendez-vous que Dakar, représentée par le ministre de l’Hydraulique d’alors, Mansour Faye a reçu les clés de l’organisation du Forum de 2021.

Un Forum acheté

Mais le processus de sélection a été lancé quelques années plus tôt. En effet, un appel à manifestation d’intérêt a été envoyé à tous les pays par l’intermédiaire de leurs missions permanentes aux Nations Unies par courrier postal le 17 novembre 2015, c’est-à-dire quelques mois après la 7e édition du Forum accueillie par la Corée du Sud. À la date du 31 novembre de la même année, quatre pays ont manifesté leur souhait d’abriter le grand rendez-vous de l’eau. Il s’agit, selon un document du Cme obtenu par Dakaractu, du Canada, du Portugal, du Sénégal et des Émirats Arabes Unis. Seulement à la date du 15 juin, coïncidant avec la date limite de soumission des candidatures, seul le Sénégal a répondu présent. Sans concurrent, le “pays de la Teranga” a ainsi obtenu son Forum mondial de l’eau. Mais à quel coût ?

Selon l’accord cadre signé entre la délégation du Conseil mondial de l’eau conduite par son président de l’époque, Benedito Braga, et le Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne, le Sénégal s’est engagé à financer le Forum à hauteur de 21,1 millions d’euros (13,8 milliards F Cfa) dont 6,3 millions d’euros (4,1 milliards F Cfa) sont garantis par le gouvernement. Selon le document dont Dakaractu s’est procuré une copie, le Sénégal s’attend à ce que des choix économiques rationnels atteignent un budget inférieur, se situant entre 15 (9,8 milliards F Cfa) et 17 millions d’euros (11,1 milliards F Cfa). Dans un entretien avec APA, le trésorier général du Cme a déclaré que cette organisation et le Sénégal débloqueront 20 millions d’euros pour l’organisation du Forum à Dakar. Mais en réalité, c’est “le Sénégal est responsable de la garantie que les dépenses minimales nécessaires à l’organisation du neuvième forum seront couvertes”, précise l’accord signé à Dakar entre les deux entités le 22 juin 2016.

Le Sénégal peut, tout au plus, espérer récupérer 70% du coût des tickets d’entrée, de la publicité et de la location des stands. Toutefois, les expériences précédentes ont démontré que c’est se faire de l’illusion que de croire qu’une telle rentrée de fonds est possible. Les pays qui ont offert un cadre à cet événement ont rarement pu récupérer 15% du capital. Mais ce n’est pas tout.

En plus des engagements de financement d’un tel Forum, le pays hôte doit s’acquitter de droits de licence que le Conseil mondial de l’eau facture entre 4 (2 milliards F Cfa) et 6 millions d’euros (4 milliards F Cfa) au pays hôte. Le Sénégal s’est engagé à verser 4 millions d’euros au Cme en quatre tranches d’un million d’euros (650 millions F Cfa). Le premier versement devait être fait au second semestre de l’année 2018. Le deuxième est attendu au troisième trimestre de 2019 alors que le troisième doit être effectif au 3e trimestre de 2020. Le dernier devrait intervenir avant la tenue du Forum mondial de l’eau qui est exonéré de fiscalité.

Pour justifier ce pactole supplémentaire, le Conseil mondial de l’eau allègue dans le document paraphé avec l’État du Sénégal : “ce montant représente la valeur de la marque et de l’image du Forum mondial de l’eau, ainsi que l’accès fourni par le conseil mondial de l’eau à son réseau mondial de membres, partenaires, experts et praticiens, similaire à une redevance de licence en contrepartie du droit de forum mondial de l’eau”. Aussi l’organisation dirigée par le Français Loic Fauchon de préciser qu’elle “utilisera ces ressources pour soutenir l’ensemble de ses activités et la réalisation de sa stratégie triennale, y compris le Forum mondial de l’eau”. Détail important : le Conseil mondial de l’eau n’est pas tenu de justifier l’utilisation de cet argent.

Au final, ce n’est pas moins de 25,1 millions d’euros (16,4 milliards F Cfa) que le Sénégal doit dépenser pour abriter cette grande messe consacrée à la préoccupante question de l’eau dans le monde. Mais, pour quelles retombées concrètes ? Les Fme sont sanctionnées par une série de déclarations dont celle des ministres, des parlementaires, des jeunes, des juges qui, ne sont pas suivis d’effet, comme le regrette d’ailleurs la structure ‘’Eau vive internationale’’ à l’issue du Forum de Brasilia. “Même si cette édition était la 1ère à se dérouler dans un pays de l’hémisphère sud, que 10 000 personnes étaient au rendez-vous et que quelques innovations intéressantes ont émergées, le Forum s’est caractérisé, à l’image des précédentes éditions, par une participation difficile de la Société civile et par un manque d’ambition et de portée politique”, a relevé l’organisation qui agit mondialement dans divers domaines de développement dont l’eau et l’assainissement. Eau Vive Internationale place toutes ses attentes au rassemblement de Dakar qui se veut renouvelé et renforcé, politiquement. Selon toujours Eau Vive, les ONG attendent du 9e forum que l’inclusion de la Société civile soit effective, y compris à travers un soutien financier dès les phases préparatoires. Mais pour d’autres Ong, le Sénégal aurait pu dépenser cet argent dans le développement économique du pays. Le président de la République ambitionne de construire 100 000 logements sociaux et compte tirer une partie de ce financement de taxes imposées sur le ciment. Or, avec 13 milliards, il peut au moins offrir à ses administrés 2 000 logements.

L’or bleue sénégalaise en ligne de mire

Hormis son coût exorbitant, le Forum mondial de l’eau profite plus à ses initiateurs qu’au pays hôte. En effet, cette organisation est dirigée par un homme au profil atypique. Président du Cme de 2005 à 2012; et réélu à la tête du Conseil mondial de l’eau le 1er décembre 2018, en remplacement de Benedito Braga, Loic Fauchon est le non moins Président de la Société des eaux de Marseille, filiale à 100%…de Veolia. Si on sait que ladite firme internationale tente d’étendre ses tentacules au Sénégal dans les juteux marchés de l’or bleue, la liaison est vite établie. Encore qu’elle a gagné, à travers ses filiales OTV et SADE, un marché de 4 milliards FCFA pour la construction d’une usine de traitement d’eau à elle confiée par la Sones.

À cela s’ajoute le passé de L. Fauchon qui ne semble pas se faire beaucoup de soucis à bafouer les règles pour accéder au pinacle. En 2017, il a été entendu sous le régime de la garde-à-vue, en même temps que Martine Vassal. Ce, à cause de son implication dans un marché de gestion de l’eau de 3 milliards d’euros. Marché signé avec la mairie de Marseille pour le compte de la Société des eaux de Marseille.

Avec la complicité de Martine Vassal, alors adjointe au maire qui suivait de près la procédure pour l’informer des évolutions, il a pu proposer une baisse de prix significative par rapport à son offre initiale pour gagner le contrat, révèle marsactu.com  le 28 avril 2014. La Société des eaux de Marseille s’était vu attribuer en octobre 2013 et pour une durée de quinze ans par Marseille Provence Métropole (MPM) le marché de l’eau dans 17 des 18 communes de la collectivité territoriale (un million d’habitants) et deux des trois marchés de l’assainissement, renseigne pour sa part www.eauxglacees.com  dans un article publié le 22 juin 2017.

Relevons que la ville de Marseille est le partenaire privilégié du Conseil mondial de l’eau à qui elle alloue chaque année une subvention qui peut aller jusqu’à 800 000 euros (524 millions F Cfa). Le 6e Forum mondial de l’Eau s’est tenu à Marseille du 12 au 17 mars 2012 et c’est Martine Vassal qui était la trésorière tandis que M. Fauchon était le président du Conseil mondial de l’eau.

Au Sénégal, on ne semble pas se préoccuper de la probité morale et des intentions réelles des initiateurs du Forum mondial de l’eau. Dont la réputation commence à se s’écrouler comme château de cartes. La preuve, aucun pays ne s’est encore signalé pour organiser l’édition de 2024. Pourtant, les manifestations d’intérêt devaient initialement parvenir au secrétariat du Conseil mondial de l’eau depuis le 23 novembre 2018. Faute de candidats, le deadline a été repoussé au 1er juin prochain. C’est dire…

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