Russie: Fraudes astronomiques dans le secteur spatial

 

Des milliards envolés, des responsables en prison et un dirigeant en fuite à l’étranger: le secteur spatial russe se trouve au coeur de détournements de fonds astronomiques qui entachent les ambitions de grandeur retrouvée de la Russie dans l’espace.

Depuis des années, la Russie cherche à redresser cette industrie, source d’une immense fierté à l’époque soviétique et dont elle reste un acteur mondial incontournable, mais qui s’est retrouvée ruinée après la chute de l’URSS et qui a essuyé plusieurs humiliants échecs récemment. Mais les scandales de corruption continuent d’éclater et éclipsent les annonces de projets de nouvelles fusées ou stations lunaires.

«Des milliards sont volés» au sein du conglomérat public Roskosmos qui regroupe les entreprises de la filière, a résumé à la mi-mai le chef du Comité d’enquête Alexandre Bastrykine, cité par l’agence Ria Novosti. Des enquêtes sont en cours «depuis au moins cinq ans et sont loin d’être achevées», a-t-il ajouté.

Récent épisode de ce feuilleton: en avril, le directeur général de l’Institut des recherches de la construction des équipements spatiaux Iouri Iaskine, a quitté la Russie pour un pays européen d’où il a annoncé sa démission, selon le quotidien Kommersant. Un audit venait d’être lancé au sein de son entreprise et il craignait la découverte de malversations, selon les sources du journal.

Roskosmos a confirmé à l’AFP la démission de M. Iaskine, dont la société participe à la mise au point du système de navigation satellitaire russe Glonass, censé concurrencer le GPS américain, sans expliquer la raison.

Grands projets éclaboussés

Des détournements ont notamment touché les deux projets majeurs du secteur de la décennie écoulée: Glonass et la construction d’un nouveau cosmodrome, Vostotchny, en Extrême-Orient russe, censé remplacer Baïkonour, au Kazakhstan.

Au delà, presque toutes les entreprises principales du secteur, dont les constructeurs de fusées Khrounitchev et Progress, ont été touchées par des scandales financiers, aboutissant parfois à des peines de prison pour escroquerie à grande échelle.

La Cour des comptes a chiffré les diverses malversations financières au sein de Roskosmos à 760 milliards de roubles (plus de 10 milliards d’euros) en 2017, ce qui représente près de 40% des infractions découvertes dans tous les secteurs de l’économie russe.

Roskosmos affirme régulièrement coopérer avec les investigations en cours. «L’éradication de la corruption est l’un des objectifs principaux de la direction», a assuré le conglomérat à l’AFP.

A la mi-avril, le président Vladimir Poutine a appelé à «résoudre progressivement les problèmes évidents qui freinent le développement du secteur spatial»: «Les prix et les délais qui sont fixés pour réaliser des projets spatiaux n’ont souvent pas de fondement».

Plus d’argent, plus de corruption

Redresser le secteur spatial constitue une question de prestige pour le Kremlin, symbolisant sa fierté retrouvée et sa capacité à occuper les premiers rangs mondiaux, surtout dans un contexte de nouvelle Guerre froide avec les Etats-Unis.

Ruiné dans les années 90, le secteur se maintenait à flot grâce aux contrats commerciaux étrangers. «Mais il restait encore des cadres d’un très haut niveau professionnel et il y avait moins d’accidents pendant les lancements», estime M. Egorov.

Le premier module de la Station Spatiale Internationale (ISS), Zarya, a été fabriqué en Russie et lancé en 1998 en dépit des difficultés financières. Paradoxalement, la situation s’est dégradée au début des années 2000, lorsque ces problèmes ont été réglés. L’afflux de fonds publics a alimenté les fraudes et la recherche spatiale a cessé d’avancer, selon les experts.

«Une tour d’ivoire inébranlable»

«Aujourd’hui, le secteur spatial fonctionne avec le principe: donnez-nous de l’argent et nous lancerons quelque chose… un jour», explique Vitali Egorov, auteur d’un blog populaire sur l’espace, le Chat Vert (zelenyikot.com).

Seule l’ISS constitue «une tour d’ivoire inébranlable», mais elle joue plutôt «un rôle politique» pour maintenir la coopération internationale et n’apporte rien de nouveau pour la recherche scientifique, estime l’expert.

Les analystes estiment que le directeur général de Roskosmos Dmitri Rogozine, ex-vice-Premier ministre connu pour ses déclarations anti-occidentales et nommé il y a un an, a du mal à gérer les problèmes du secteur.

Les milieux scientifiques reprochent à ce diplômé en journalisme sa méconnaissance du secteur. «Il aurait pu être un excellent porte-parole de Roskosmos», ironise M. Egorov, tout en relativisant: «Même Superman n’aurait pu gérer cette avalanche de problèmes».

(nxp/afp)