Mimi Touré, l’électron libre de la mouvance présidentielle

 

L’ex-ministre de la Justice et ancienne chef du gouvernement ne craint d’afficher ni ses convictions ni ses ambitions. Aujourd’hui à la tête du Conseil économique, social et environnemental, elle est le troisième personnage de l’État.

Et, il faut désormais emprunter un tapis rouge et longer les colonnes blanches du Conseil économique, social et environnemental (Cese) pour rejoindre son bureau. Un cadre léché et un protocole digne de son statut de troisième personnalité de l’État, mais Aminata Touré ne semble pas impressionnée outre mesure par cette charge symbolique. Passée par le ministère de la Justice et la primature durant le premier mandat de Macky Sall, elle a été nommée à la tête du Cese après la réélection de ce dernier dès le premier tour, en février.

Une promotion en guise de remerciement pour cette femme d’expérience à qui le président sortant avait confié la direction de sa campagne. Fidèle à sa réputation, elle s’y est illustrée par son engagement et sa capacité à monter au front. « Battante », « femme de conviction », dans la bouche des cadres de la majorité Benno Bokk Yakaar, ce sont souvent les mêmes qualificatifs qui reviennent.

Un tremplin vers la présidence ?

À 56 ans, toujours élégante dans ses boubous bien taillés, elle a hérité d’une place de choix au cœur de l’administration. Elle y traite de nombreux aspects de la vie quotidienne de ses compatriotes (emploi, formation, politique sociale, environnement, etc.) et reçoit des interlocuteurs de toujours…

Elle est de ceux, plutôt rares ces temps-ci, pour qui les idées ne sont pas une posture ni les valeurs une variante. Certes, Trotsky ne fait plus partie de son vocabulaire. Elle admet elle-même qu’ »avec l’âge, on devient conservateur ». Certes, elle est aujourd’hui la première collaboratrice d’un président qui revendique son appartenance à la famille libérale, et son féminisme viscéral semble s’être éteint au moment de composer son gouvernement (sur trente-deux membres, on compte seulement cinq femmes). Mais les droits de l’homme continuent de représenter l’alpha et l’oméga de son engagement.

Le quatorzième Premier ministre du Sénégal indépendant (la deuxième femme après Mame Madior Boye, qui régenta le Building administratif durant dix-neuf mois en 2001 et 2002) n’est pas du genre à renier ses idéaux, et encore moins à se laisser marcher sur les pieds. Les Sénégalais l’ont découvert après sa nomination au ministère de la Justice en avril 2012, au lendemain de l’alternance.

Quand, il y a sept mois, la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) remet en question les procédures engagées par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), et notamment l’interdiction de sortie du territoire infligée à plusieurs ténors de l’ancienne majorité, elle ne plie pas. Au lieu de faire amende honorable, elle exige de l’administration que cette interdiction prenne rapidement une forme légale, et elle réaffirme sans prendre de gants la souveraineté de son pays en matière de justice.

La seule ministre qui a eu des résultats

Et quand, en mai 2013, Amnesty International publie un rapport accablant qui ne correspond pas à l’idée qu’elle se fait de la situation des droits de l’homme au Sénégal, elle s’en offusque, dénonce « l’amalgame » dont aurait fait preuve son auteur, Seydi Gassama, et écrit à l’ONG pour s’en plaindre. Aujourd’hui, le même Gassama ne lui en tient pas rigueur : « En dépit de nos divergences, les actes qu’elle a posés me semblent importants. De tous les ministres, c’est la seule qui peut se targuer d’avoir obtenu des résultats. »

Les poursuites contre Hissène Habré ? C’est elle. Bien sûr, c’est le président qui lui a demandé de relancer une procédure qui traînait en longueur et qui avait fini par entacher la réputation de Dakar. « Mais sans son abnégation, nous ne serions pas allés aussi vite », indique un membre des Chambres africaines extraordinaires, qui ont vu le jour cinq mois après l’arrivée de Touré à la Justice, et qui ont pour mission de juger les crimes commis sous la férule de l’ancien dictateur tchadien. « Elle a fait preuve d’une grande détermination, se réjouit Reed Brody, l’homme qui suit le dossier pour l’ONG Human Rights Watch (HRW). C’est une vraie militante, qui allie l’élégance sénégalaise à l’efficacité américaine. Elle a ses convictions, sans se réfugier derrière la langue de bois. »

Brody est sous le charme. On le serait à moins : « Dans l’affaire Habré, on a immédiatement senti la différence. Auparavant, les gens du ministère de la Justice étaient très méfiants quand ils me voyaient arriver, ils semblaient maudire ma venue. Elle a eu les moyens de faire avancer le dossier et a tout de suite pris contact avec l’Union africaine. » Elle a aussi fait jouer les réseaux qu’elle s’est constitués entre 1995 et 2012, lorsqu’elle officiait en tant qu’experte des Nations unies au Burkina et en Côte d’Ivoire, puis à New York, quand elle a pris la tête du département droits humains du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP).

Touré a également joué un rôle majeur dans la traque aux biens mal acquis lancée au lendemain de la victoire de Sall. Là encore, il s’agissait d’une directive du président. Mais elle est allée plus loin. Qui aurait parié, en avril 2012, que Karim Wade serait arrêté un an plus tard, et que nombre d’autres « intouchables » seraient condamnés à attendre le jour où les limiers viendraient les cueillir dans leur villa afin qu’ils s’expliquent sur leur fortune ? Qui aurait pensé que Touré irait jusqu’à laisser la justice poursuivre son ex-époux, le père de sa première fille qui suit des études à l’université Yale, Oumar Sarr (aujourd’hui coordinateur du parti d’Abdoulaye Wade) ? « Lorsqu’on administre la justice, on le fait avec froideur. Parfois aussi avec déchirement », confiait-elle à J.A.

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