(Interview) Moustapha Cissé Lo : « Macky Sall n’est pas mon père… »

 

Voix grave, débit haut, gestuelle continue, Moustapha Cissé Lô coiffé d’un bonnet marron sur un grand boubou gris bien garni, crache ses vérités crues. Et c’est un El Pistolero d’attaque qui bombarde à l’artillerie lourde le Macky. Les arrivistes ou alliés du Président Sall, les cadres Apr, les faucons du Palais de l’Avenue Roume et la Crei, tout y passe. De refrain en chœur, le Président du Parlement de la Cedeao parle avec le cœur ouvert… Sans langue de bois.

Honorable, dernièrement il y a eu un échange de propos aigres-doux entre votre fils et votre collègue Me Djibril War. Qu’est-ce qui s’est réellement passé ?

On a dit que Me Djibril War et moi, on s’est disputés. Pis, on a failli se bagarrer. C’est faux et c’est regrettable. Djibril War et moi, on ne s’est pas vus et on ne s’est même pas retrouvés dans la même salle d’audience au moment de la plénière consacrant le vote du projet de budget du ministère de la Justice. Ce que j’ai dit, tout le monde l’a écouté. Je n’ai jamais mentionné le nom de Me Djibril War dans mes propos. Personne ne m’a entendu l’insulter. Ce que Djibril a dit, ne concerne que lui. Mon fils était présent à l’Assemblée nationale, il a le droit d’y être. Ils (Djibril War et mon fils) se connaissent. À leur sortie, ils savent tous deux ce qui se sont dit. Mais moi, je ne suis pas au courant. C’est ici dans mon bureau que j’ai été mis au courant de ce qui s’est passé et je suis allé voir. J’ai trouvé que le problème était déjà réglé. J’ai dit au gendarme de laisser mon fils, qu’il a le droit d’assister à la plénière comme tout Sénégalais. Mon fils a soutenu Macky Sall hier et aujourd’hui. L’Assemblée nationale n’appartient à personne, mon fils a le droit de regarder. Mais quand tu insultes le père de quelqu’un devant lui, il va te le rendre ou se bagarrer avec toi. C’est la réalité, que personne ne me cite dans cette affaire.

À l’origine de cette affaire, c’est le pactole de 600 millions FCfa dont l’ancien président du groupe parlementaire de la majorité, Moustapha Diakhaté, est accusé d’avoir détourné…

Moi, je n’ai posé qu’une question à l’Assemblée nationale. Celle-ci a touché les ministres et autres. J’ai le droit en tant que député de poser le débat quand on fait état de 600 millions FCfa qui seraient détournés par l’ancien président du groupe parlementaire de la majorité (Moustapha Diakhaté), alors que je faisais partie dudit groupe, en ma qualité de deuxième vice-président de l’Assemblée, pendant 5 ans. J’ai dit qu’on devrait poser le débat pour voir ce qu’il en est. Parce que j’estime que ceux qui étaient là, ont donc détourné plus. D’autant plus que Moustapha Diakhaté ne gérait pas de caisse et on lui remettait de l’argent. Où étaient donc ceux qui géraient cet argent ? C’est la seule question que j’ai posée. J’ai le droit ou non ? Me Djibril War est mon petit frère, il sait ce que j’ai fait pour lui et on se connaît très bien. On a le même marabout Serigne Maodo Sy, mon père. Ce dernier m’a dit ‘’personne ne cautionne ce que Djibril t’a fait. Même son épouse et ses frères sont contre parce que tu ne l’as pas cité dans tes propos’’. Que ceux qui parlent disent ce que j’ai fait à la Cedeao. Ces Sénégalais-là, ni leur père encore moins leur grand-père n’a fait ce que j’ai fait à la Cedeao. Mon travail restera gravé dans les annales du Sénégal. Ce que j’ai fait pour l’Afrique de l’Ouest, aucun Sénégalais, y compris le président de la République, ne l’a fait.

«La façon pour Macky Sall de nous rendre la monnaie, c’est refuser de nous voir…»

Donc, on peut retenir qu’il n’y a pas de problème entre vous et Me Djibril War.

Non. Je ne peux pas avoir de problèmes avec Me Djibril War. C’est mon jeune frère. Allez demander, vous lui direz que Cissé Lô a dit que vous ne comptez que sur lui au sein du parti. En plus, on ne peut pas avoir de problème parce qu’on ne se bat pas pour occuper un poste ou autre chose. S’y ajoute qu’on partage la même famille religieuse, à savoir la famille de Cheikh Ahmad Tidiane Sy Al Makhtoum.

Il y a peu Guy Marius Sagna et Cie ont été interpellés par les Forces de l’ordre et mis aux arrêts devant les grilles du Palais présidentiel. Certains estiment qu’ils sont victimes d’une injustice parce que d’autres partisans du régime ont eu manifesté au même endroit et n’ont pas été inquiétés. Qu’en dites-vous ?

Si un pays n’a pas de charte sur laquelle il repose, c’est-à-dire, des lois, il n’est pas un État. Chaque État repose sur des lois. Il y a des pays en Afrique de l’Ouest où s’il commettait ces délits, il risquerait d’être emprisonné au moins 20 longues années. Le Sénégal repose sur des lois votées par les députés. Moi, j’étais pourtant dans l’opposition et je n’ai jamais manifesté dans la rue. On ne m’a jamais vu dans une marche. Je savais que seule la carte d’électeur était la voix. On leur a dit qu’on ne peut sécuriser leur marche, mais ils sont allés jusqu’au Palais présidentiel, ils ont tort. Il fallait continuer à demander l’autorisation, d’autant plus que nous tous, on s’insurge contre la hausse du prix de l’électricité. Personne n’est d’accord qu’on augmente le prix de l’électricité. À partir de 2022, le pays va commencer à exploiter le pétrole, donc l’État devrait pouvoir subventionner pour éviter l’augmentation du prix de l’électricité d’ici-là. Mais, Guy et Cie ont adopté une démarche d’indisciplines. On ne peut pas défier tout le temps l’État parce que sinon ça crée un laisser-aller. Moi par exemple, il y a beaucoup de choses dont je ne suis pas d’accord avec l’État. C’est notamment l’homologation du prix de l’arachide à 210f, la distribution de l’engrais et des semences. J’estime qu’il y a trop de subventions, c’est pourquoi beaucoup des gens qui ne sont pas des agriculteurs vont chercher des bons pour les revendre aux véritables cultivateurs. L’État devrait aussi augmenter le prix du kilogramme de l’arachide au minimum à 225f. Je dis ce que je pense sur ces questions et pourtant je suis le ‘’Baye Fall’’ de Macky Sall, je ne m’oppose pas à lui. J’ai mis plus de 300 millions FCfa lors de la dernière campagne présidentielle pour soutenir Macky Sall, que les autres disent ce qu’ils ont mis sur la table. J’ai entendu Ousmane Sonko dire qu’il a utilisé une centaine de millions FCfa pour battre campagne, je le défis, c’est des contre-vérités (Sic). Moi, je ne suis pas sorti de Dakar et Touba, j’ai juste effectué un voyage, mais j’ai perdu 327 millions FCfa dans la campagne électorale. Je crois donc à Macky Sall, mais les gens lui font commettre des erreurs, ils ont même placé un mur entre lui et nous. Il prend du café et mange avec eux et ces derniers lui racontent des choses qui n’ont aucun impact pour la marche du pays.

«Les soi-disant cadres Apr ont tous porté mes sacs et chaussures …»

A vous entendre, on a l’impression qu’il y a une grande distance entre vous et votre chef de file.

Macky Sall n’est pas mon père, il ne m’a pas acheté. J’ai combattu pour lui ici quand on a voulu le tuer. Où étaient ceux qui parlent aujourd’hui ? J’étais le seul à avoir pris l’arme pour dire que Macky Sall ne sera pas tué. Je me suis battu contre Moustapha Niass et Cie, qui avaient dit que Macky ne serait pas candidat et qu’ils optaient pour une candidature unique. Je les ai combattus tous, je savais que Macky allait gagner. Un vieux qui devrait prendre sa retraite, mais refuse de se retirer de la vie politique pour son amour insatiable à l’argent, est la cause de tous les maux du pays. Une personne âgée de plus de 60 ans, ne devrait pas être éligible dans ce pays. Un vieux de plus de 60 qui cherche toujours des postes électifs, est source de tous les maux du pays. C’est ça le débat. Je les défie et qu’ils sachent que je ne crois pas en eux. Idem pour ceux qui se réclament être des cadres de l’Apr (Alliance pour la République), soi-disant Ccr (Convergence des cadres républicains), je ne crois aucunement en eux parce qu’ils ont tous porté mes sacs et chaussures. Même leur coordonnateur (Abdoulaye Diouf Sarr, Ndlr) a porté mes chaussures et sacs. Il était le Secrétaire général à la Chambre de commerce de Kaolack, on se connaît très bien. Maintenant qu’il est nommé ministre, il ne reconnaît plus ses supérieurs. On nous pompe l’air avec les cadres. De quel cadre parle-t-on ? Un cadre qui, sans nomination de Macky Sall, n’est rien. Tous les ministres n’avaient que dal, avant leur nomination. Chacun d’eux a obtenu ce qu’il a, après avoir été nommé ministre. J’ai vu un gars qui était membre de l’Apf dire qu’il est cadre, alors que c’est son père qui était le boucher de tout Taiba Tiékène. Il montait derrière mon deuxième véhicule quand nous étions dans l’opposition. Il gérait mes courses. Il n’a pas étudié et a été renvoyé par Moustapha Niass de l’Afp, mais se réclame aujourd’hui être cadre Apr. Il n’y a aucun cadre dans la Ccr. Où étaient-ils quand nous étions dans l’opposition ? Ils attendent donc une fois au pouvoir pour dire qu’ils sont des cadres. Même à l’époque de Thierno Alassane Sall, c’est moi qui réglait leurs problèmes à Thiès et à Mbour, et dirigeais en même temps la commission de Médiation et Tivaoune. J’étais avec Abdoulaye Ngom et Thérèse Faye. À l’université, j’étais seul avec Thérèse Faye en compagnie de mon épouse. Où étaient-ils eux ? J’ai combattu jusqu’à ce que Macky Sall arrive au pouvoir et ils veulent que je me taise. J’assume tous mes propos. C’est de la même manière que j’ai parlé jusqu’à ce que Me Wade quitte le pouvoir. Ils n’ont qu’à être véridiques, s’ils ne veulent pas que je parle. Ils sont des arrivistes que Macky Sall a donné des postes, alors qu’ils ne le supportaient pas. Ils veulent que les apéristes identiques se taisent, qu’ils sachent que je suis l’Apr. Le parti est mon bien, c’est mon enfant, il n’appartient pas à Macky Sall. Je ne laisserai personne le tuer. C’est ça le problème. On s’est battu pour accéder au pouvoir et ils veulent nous reléguer au second plan parce qu’ils disent qu’on n’a pas étudié. Je refuse, je ne céderai pas.

C’est donc les arrivistes qui veulent reléguer les apéristes authentiques au second plan, selon vous.

C’est Macky Sall qui les encourage dans cette manœuvre parce qu’il a abandonné tous ceux qui ont combattu avec lui dans l’opposition et a confié des postes de responsabilité aux transhumants. Tous ceux qui dirigent des institutions aujourd’hui, sont des transhumants ou soi-disant des alliés. Aucun d’entre eux n’avaient soutenu Macky Sall dans l’opposition. Alioune Badara Cissé, Médiateur de la République, gère des restes. De même que Mbaye Ndiaye, Mamour Saleh, Marième Badiane et moi, nous gérons tous des restes.

«On ne doit pas se limiter à emprisonner Karim Wade, mais doit poursuivre tous ceux qui sont sur la liste de la Crei»

Et qu’est-ce qui explique cela ?

Le président Macky Sall pense qu’on n’est pas à la hauteur. Et pourtant, ils nous connaît tous parce qu’on était les seuls à partager son véhicule à l’époque de la diète. Lors de sa première investiture à Diamalaye, on était les seuls (Alioune Badara Cissé, Mbaye Ndiaye et moi) à être autorisés à y assister. Mais, on a été zappés lors de la deuxième investiture du Président Macky Sall, il n’y a que Mbaye Ndiaye qui a eu droit à quelques minutes de parole. Macky Sall nous sous-estime. Ce n’est pas une question d’argent, mais un manque de considération. Le problème de l’Apr, c’est que le président a donné des restes à ses fidèles compagnons et la part du lion à ceux qui le combattaient et l’insultaient, hier. C’est pourquoi, l’Apr Dakar, Matam, Pikine et partout ailleurs va mal. Les leaders, notamment Mbaye Ndiaye, Mahmoud Saleh, Marième Badiane, Alioune Badara Cissé Youssou Touré, Benoît Sambou, Mor Ngom et moi, aucun d’entre nous n’est content. Les seuls qui sont satisfaits sont les arrivistes, ils vénèrent Macky Sall et occupent les bons postes.

Mais est-ce que vous en avez fait la remarque au Président Sall ?

Où peut-on évoquer ces questions-là ? Le parti Apr n’a pas de structures où on peut discuter de ces questions-là. Le président est enfermé au Palais présidentiel. Ceux qui l’encerclent lui soufflent à l’oreille que ‘’tes compagnons d’antan sont des incompétents, l’Apr n’a rien fait ici et c’est grâce à ton leadership que tu as été réélu’’. Ils trompent le président. Si on n’avait pas soutenu et combattu pour lui, personne n’aurait voté pour lui. Mieux, si on n’avait pas combattu la candidature unique, il n’allait pas être élu président ; et si on ne s’était pas battus pour qu’il termine son septennat, il n’allait pas le finir. On est des personnes crédibles qui l’ont supporté et l’ont porté au pouvoir. Et sa façon de nous rendre la monnaie, c’est refuser de nous voir. Ceux qui gèrent les audiences du président, font des deals pour régler des audiences à d’autres. Ils le font par compromission ou offrent leurs services à des ‘Ndiogomas’. Nous qui étions-là, on a du mal à voir le président Macky Sall. On ne peut pas voir Macky Sall. Demande à tous, personne n’arrive à le voir. C’est ceux qui n’ont rien fait pour lui, qui lui disent qu’on est trop bavards.

Depuis quelques temps, l’utilité ou non de la Crei (Cour de répression de l’enrichissement illicite) fait débat. Votre position a toujours été claire là-dessus : cette cour ne vous a jamais agrée.

Je l’ai toujours dit : la Crei n’est pas son lieu d’être. C’est une juridiction sans fondement. Elle peut condamner quelqu’un sans pour autant avoir des preuves à l’appui, c’est donc de la légèreté. Je demande au président Macky Sall, au ministre de l’Intérieur et à Famara Ibrahima Diédhiou chargé de conduire le Dialogue national de mettre cette question sur la table du dialogue, en demandant à toutes les parties prenantes de dire ce qu’elles pensent réellement de la Crei. On doit rayer cette cour du Code pénal sénégalais. Si son rôle est de combattre l’enrichissement illicite, la Crei doit pouvoir aller au-delà, les procédures doivent reprendre. Parce qu’on ne peut pas viser six, voir sept personnes et arrêter la procédure. On doit poursuivre tous ceux qui sont sur la liste de la Crei et ne pas seulement se limiter à emprisonner Karim Wade et Taiba Ndiaye, puis fermer le dossier. Qu’ils nous disent où est l’argent recouvré par la Crei ? La Cour ne peut pas condamner Karim Wade pour avoir détourné 130 milliards FCfa et au finish, ne rien trouver. Karim a été condamné, emprisonné et gracié, alors qu’il y a des gens à qui on reproche avoir détourné moins de 10 millions FCfa et croupissent pourtant en taule. Cela pose problème. Qu’on mette donc la question de la Crei sur la table des négociations. Si la cour n’est pas bonne, qu’on admet qu’on s’est trompés, que Karim Wade revienne au bercail et qu’on vote l’amnistie pour lui. La Crei ne peut continuer à fonctionner. Et quand je l’ai dit, le député Farba Ngom, un parent ou ami de Macky Sall, qui attaque qui il veut, s’est levé. On n’a qu’à lui demander lui d’où il tire tout son argent parce que j’ai remarqué qu’il en a maintenant beaucoup même, alors qu’il peinait à réunir les deux bouts, avant l’arrivée de Macky Sall au pouvoir. On n’a qu’à donc le fouiller ou laisser les autres Sénégalais en paix.

IBRAHIMA KANDE / IGFM