L’attitude de Ghosn jugée «inqualifiable» au Japon.

 

«Pas convaincant», «fugitif hors-la-loi», «critiques inacceptables»: le gouvernement, des personnalités mises en cause et les médias japonais ont réagi avec colère aux propos de Carlos Ghosn, lui enjoignant de venir s’expliquer devant la justice nippone s’il a des preuves. Après avoir tardé à condamner officiellement la fuite du patron déchu de Renault et Nissan au Liban fin décembre, les autorités japonaises ont immédiatement réagi dès la fin de son «show» médiatique organisé mercredi à Beyrouth, qui plus est sans mâcher leurs mots, ce qui est rare.

«Je veux qu’il vienne affronter réellement la justice japonaise, mais il a fui, alors même qu’il n’était pas enfermé, qu’il pouvait voir librement ses avocats. Une telle attitude est inqualifiable», s’est agacée la ministre de la Justice Masako Mori lors d’un point de presse à Tokyo jeudi matin. Elle avait déjà réagi dans la nuit. «Dans tous les cas, son évasion n’est pas justifiable», a-t-elle poursuivi.

Alors qu’il attendait au Japon son procès pour diverses malversations financières présumées, Carlos Ghosn s’est enfui fin décembre au Liban, brisant l’interdiction formelle de quitter l’archipel nippon où il était libre sous caution depuis avril dernier.

«Si l’accusé Ghosn a quelque chose à dire sur son affaire pénale, qu’il présente ses arguments ouvertement devant un tribunal japonais et apporte des preuves concrètes. J’espère sincèrement que le prévenu Ghosn déploiera tous les efforts possibles pour faire valoir son point de vue dans le cadre d’une procédure pénale équitable au Japon», a répété la ministre. «Mon impression est qu’il n’y avait rien de probant», a-t-elle encore ajouté, en faisant référence aux dernières déclarations du Franco-libano-brésilien.

«Plein de ressentiments»

Les procureurs nippons ont aussi fustigé les assertions de Carlos Ghosn dans un communiqué publié dès la fin de sa prestation survoltée de deux heures et demie devant des caméras du monde entier.

S’exprimant pour la première fois depuis plus d’un an devant des journalistes triés sur le volet (beaucoup de Japonais ont été exclus), il a dit tout le mal qu’il pense d’une justice où il se sentait condamné avant d’être jugé. Pour la énième fois, il a dénoncé une collusion entre les procureurs, Nissan et la presse «qui s’est contentée de publier des fuites des enquêteurs, sans une once de critique ou d’analyse».

Réponse du berger à la bergère, les commentateurs des télévisions japonaises n’ont exprimé jeudi matin aucune mansuétude à son égard. «Il n’y a rien de nouveau dans ses propos, aucun élément concret convaincant, c’est plutôt un monologue émotionnel», a résumé un journaliste de la chaîne publique NHK.

«Ghosn était un homme d’affaires hors pair, ça ne fait pas de doute, mais dans ce genre de spectacle, il apparaît trop plein de ressentiments et cela manque d’arguments solides pour asseoir sa défense», a commenté Hisao Inoue, journaliste et essayiste qui a suivi l’affaire depuis le début.

«Lacunes» du système

Même tonalité du côté des responsables de Nissan nommément mis en cause par Carlos Ghosn. «Je n’ai pas de temps à perdre avec quelqu’un qui joue un drame écrit par lui-même après avoir fui un pays en violant la loi», a lancé à la chaîne de télévision NTV Masakazu Toyoda, un administrateur extérieur du groupe automobile.

«Si le contenu de la conférence de presse se limite à ça, il aurait pu la faire au Japon», a ironisé l’ancien directeur général de Nissan Hiroto Saikawa, dénoncé par le capitaine d’industrie comme étant un de ses fossoyeurs.

Dans ce concert de critiques, beaucoup ont néanmoins été impressionnés par les talents de polyglotte du «citoyen du monde» Ghosn (hormis le japonais) et certains ont quand même donné un peu de crédit à ses propos.

«Si les médias japonais ont été écartés de cette conférence, on n’y peut rien, c’est une conséquence de la défiance à l’égard d’une presse qui écrit sans cesse le suspect Ghosn , l’accusé Ghosn et déroule sans recul les fuites des procureurs», a écrit sur Twitter l’intellectuel Kenichiro Mogi. «Ce n’est pas en niant les problèmes du système pénal japonais mais au contraire en reconnaissant ses lacunes et montrant la volonté d’y remédier que la justice japonaise peut recouvrer la confiance», a-t-il estimé.

(nxp/afp)