Prévention – Feux en Australie: savoir aborigène plebiscité

 

Pendant des milliers d’années, les peuples autochtones australiens ont géré le risque incendie au moyen de brûlis qui reflétaient leur parfaite compréhension des écosystèmes, un savoir refoulé que certains, désormais, plebiscitent, après une catastrophique saison des feux de forêt. Les brasiers reviennent chaque année sur l’immense île-continent au sortir de l’hiver austral. Mais, attisée par une très grave sécheresse, la crise des feux a été cette année d’une ampleur sans précédent, beaucoup plus précoce et virulente.

La taille du Portugal partie en fumée

Plus de 100’000 km2 de végétation dans l’est et le sud sont partis en fumée, soit une superficie plus grande que le Portugal. Au moins 33 personnes ont péri et les scientifiques estiment que plus d’un milliard d’animaux ont été tués.

D’intenses précipitations ces derniers jours ont permis d’éteindre la plupart des brasiers. Mais ce genre de crise est voué à se répéter, la faute au réchauffement climatique.

D’où les appels d’une partie de la population à reconsidérer les techniques ancestrales de prévention des incendies, appelées «brûlis culturels», qui furent longtemps mises en oeuvre par les aborigènes dont le savoir fut nié, au nom du progrès, dès l’arrivée des Européens au 18e siècle.

Organiser les paysages

Fort de leur solide connaissance des mécanismes naturels, les peuples autochtones pratiquaient des brûlis pour éclaircir les sous-bois et priver les forêts des branches et feuilles mortes qui, avec le retour des chaleurs n’attendent qu’une étincelle pour s’embraser.

Soigneusement contrôlés pour qu’ils ne se propagent pas à la canopée, ces feux s’inscrivaient dans une approche holistique prenant aussi en compte les espèces animales.

Ils avaient pour vertu d’organiser le paysage mais aussi de libérer de l’espace pour des plantes moins favorables aux incendies, en leur apportant en plus des cendres aidant leur croissance.

En Australie comme ailleurs, les pompiers pratiquent aussi des brûlis préventifs. Mais certains doutent de leur efficacité, en raison notamment d’un manque de compréhension des mécanismes naturels.

Mal conduits, parfois à la mauvaise saison, ou pas suffisamment fréquemment, ces feux peuvent échapper à tout contrôle pour infliger des dégâts à la canopée, quand ils ne dégénèrent pas complètement en incendies.

«La végétation brûlée est parfois si haute qu’elle génère des tempêtes de feu», déplore Terry Hill, directeur général du Conseil des terres aborigènes de Merrimans, dans l’Etat de Nouvelle-Galles du Sud. «Par ailleurs, avions et hélicoptères ne peuvent résoudre la crise avec des seaux d’eau», poursuit-il. «Il faut s’attaquer à la prévention.»

«Remettre les gens au coeur»

Des collaborations entre pompiers et peuples autochtones existent dans de nombreuses parties de l’Australie. Mais c’est dans le Territoire du Nord que les techniques ancestrales sont le plus mises en oeuvre.

Voilà plus de dix ans que Dean Yibarbuk, président de l’organisation Warddeken Land Management, a contribué à formaliser un programme autochtone de prévention des feux sur ce territoire de 14’000 km2 en Terre d’Arnhem, dans l’extrême Nord, dépeuplé par la colonisation et négligé depuis.

Connaissances scientifiques et savoirs ancestraux ont été mis à contribution pour la création d’un programme qui emploie aujourd’hui 150 personnes au service de la gestion des espèces et la protection du patrimoine.

«Nous avons tout changé en remettant les gens au coeur des paysages», a expliqué Dean Yibarbuk. «Nous ne sommes pas les seuls. Ça se passe dans tout le Nord de l’Australie, là où les gens n’en pouvaient plus de voir le pays brûler.»

Crédits carbone

Les brûlis anticipés émettent en outre beaucoup moins de gaz à effet de serre que les feux sauvages, ce qui génère pour les communautés qui les pratiquent des crédits carbone qui peuvent être revendus. Et les fonds dégagés sont ensuite réinvestis dans des projets locaux.

Shaun Ansell, un autre responsable de Warddeken Land Management, estime que tout le pays aurait beaucoup à apprendre de l’expérience acquise par les Territoires du Nord, tout en mettant en garde contre la tentation simpliste de répliquer cette approche dans le reste de l’Australie.

«Les paysages du Nord de l’Australie sont bien plus vastes et beaucoup moins densément peuplés, ce qui signifie que le risque de brûler des maisons ou des infrastructures dans le Nord est beaucoup moins élevé», explique-t-il.

David Bowman, professeur à l’Université de Tasmanie et spécialiste des feux de forêt, convient qu’un retour à grande échelle aux méthodes traditionnelles ne serait pas possible dans le sud, où les populations autochtones sont minoritaires. «Cela ne peut être la seule solution au problème des feux de forêt mais cela a un rôle important à jouer, tout en rendant hommage aux traditions anciennes».

(nxp/afp)