[ÉDITO] Un peuple, un but, une foi ! (Pierre Boubane)

 

«L’intention vaut l’action », dit Emmanuel Kant (La religion dans les limites de la simple raison, 1793). Dans le cadre de la lutte contre le covid-19, le président de la République du Sénégal, M. Macky Sall offre à la diaspora sénégalaise une enveloppe de 12,5 milliards de francs CFA (environ 19 millions d’euros). Peu importe le montant que chaque ayant droit percevra. Saluons l’intention exprimée. Car par ce geste, le Sénégal, à travers son Président, montre à tous les Sénégalais que la diaspora est un maillon essentiel dans la construction d’un Sénégal émergent, un projet ô combien cher au président Macky Sall. Chaque année la diaspora sénégalaise envoie au pays des centaines de millions de franc CFA. Cet argent sert à construire des maisons, à payer des frais de scolarité, des frais de santé, des denrées alimentaires…etc. Ainsi lorsque ces expatriés traversent une zone de turbulence comme c’est le cas avec la pandémie du covid-19, c’est pertinent que leur pays d’origine, en retour, leur apporte son assistance.

« Écrire,…C’est hurler sans bruit », selon Marguerite Duras. Alors il faut hurler sans bruit pour attirer l’attention de tous les Sénégalais sur le traitement disproportionné dont certaines diasporas se disent être victimes. Les expatriés vivant au Liban souffriraient de négligence. Afin d’éviter une mauvaise interprétation de ce qui est exprimé ici, essayons d’être le plus clair possible. La négligence n’est pas celle des autorités diplomatiques de l’ambassade du Sénégal au Koweït de laquelle dépend le consulat de Beyrouth. Car les témoignages sont presque unanimes. L’Ambassadeur est une valeur sûre, comme on dit Outre-Atlantique. Il est d’une grande humanité ; d’une grande attention pour chaque Sénégalais qui vit sous sa juridiction diplomatique. Les mêmes louanges sont formulées à l’endroit du Consul honoraire du Sénégal à Beyrouth.

La négligence, s’il faut parler en ces termes, engage plutôt la responsabilité des autorités diplomatiques à Dakar. Les propos d’un homme politique repris ci-dessous sont à titre illustratifs. Invité dans la matinale d’une radio dakaroise, le 21 avril, l’homme politique, et ancien Secrétaire d’État des Sénégalais de l’Extérieur livre son analyse sur l’aide accordée à la diaspora. Selon lui, la priorité de cette aide doit aller à ceux qui se trouvent dans les pays fortement touchés par la pandémie : le Maroc, l’Espagne, l’Italie, la France et les Etats-Unis. Tout à fait d’accord avec ce souhait exprimé. Seulement certains compatriotes se trouvant dans ces pays, notamment ceux qui sont en Europe auraient formulé le souhait de voir l’argent qui leur est destiné être réinvesti au Sénégal pour la construction d’hôpitaux. Belle proposition ! Mais leur réaction ne surprendra pas.

En effet, nos compatriotes d’Europe se trouvent dans des pays développés avec un système de santé nettement meilleur ; avec une organisation du système social des meilleurs au monde. Sans doute les expatriés d’Europe sont-ils couverts par des assurances capables de les prendre en charge en cas d’urgence sanitaire ? Tel n’est malheureusement pas le cas pour beaucoup de compatriotes travaillants dans des pays en Orient. Lorsque la pandémie du covid-19 fait son apparition au Liban, certaines ambassades ont dû rapatrier leurs ressortissants, surtout les travailleuses de maison très vulnérables. A notre connaissance aucun plan de rapatriement n’a été proposé aux Sénégalaises.

Selon Amadou Ba, ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur, les Sénégalais bloqués à l’étranger sont au nombre de 716. Ils sont pris en charge par les Ambassades et les Consulats, rassure-t-il. Dans sa communication rapportée par seneweb.com, le ministre informe qu’ils sont 314 Sénégalais à être bloqués en Europe, 278 en Afrique, 74 en Asie et 50 aux États-Unis. Au Liban  où l’essentiel de la présence sénégalaise est composée par des employées de maison à 95 % elles sont dans quelle situation ? C’est le silence. Leur proposer un rapatriement au pays si jamais elles le désiraient n’est-il pas une priorité ? L’interrogation est permise.

A qui la faute ? Pas seulement la faute des diplomates. C’est aussi la responsabilité des médias. Ils semblent être plus intéressés par les expatriés qui se trouvent dans les autres régions du monde : Amérique, Europe et Afrique. Sur les expatriés d’Orient c’est le silence. Du moins jusqu’à ce qu’il y ait un problème majeur. Confiné comme tout le monde dans la capitale libanaise à cause du covid-19, l’auteur de ces lignes pendant ses moments de détente fait un zapping des différents médias sénégalais. Il est à l’affût de leur programme. Il veut regarder, entendre et lire ce qui se dit sur les expatriés en ce temps de confinement. Sur certaines stations de radios des journalistes ou des animateurs passent des appels téléphoniques pour prendre les nouvelles des Sénégalais se trouvant dans tel ou tel pays. C’est le silence total sur ceux qui vivent au Levant. Qu’il nous soit permis de rappeler ici que lorsqu’une Sénégalaise du nom de Madjiguène Diop (dit Mbayang Diop) est condamnée à mort en Arabie Saoudite, le 25 avril 2017 pour le meurtre de sa patronne, tout le Sénégal s’en est ému. Lorsque le député Alkaly Cissé (déjà décédé, que son âme repose en paix) écope de la peine capitale toujours en Arabie Saoudite, le Sénégal s’en est ému. La question qu’il faut poser est celle de savoir s’il faut chaque fois attendre que les compatriotes se trouvant dans cette région complexe et compliquée soient en danger de mort pour s’intéresser à eux ? L’interrogation est permise.

« Il y a dans les affaires humaines une marée montante qu’on la saisisse au passage, elle mène à la fortune ; qu’on la manque, tout le voyage de la vie s’épuise dans les bas-fonds et dans les détresses. Telle est la pleine mer sur laquelle nous flottons en ce moment ; et il nous faut suivre le courant tandis qu’il nous sert, ou ruiner notre expédition ! » (Brutus dans Jules César avec la traduction de Victor Hugo). C’est maintenant ou jamais. Voilà ce que suggère la citation. Tout ceci c’est pour dire que la diaspora sénégalaise établie au Proche et Moyen Orient en général et au Liban en particulier souhaite aussi être une priorité pour le Sénégal et pour les Sénégalais. Pas seulement quand un de ses membres est en prison ou en danger de mort. Signalons que cette diaspora attend toujours l’aide du chef de l’État.

Le Sénégal doit rassurer tous ses enfants. Car les expatriés qui se réveillent au Levant envoient aussi de l’argent au pays pour soutenir leurs familles et par ricochet soutenir les efforts de l’État dans son rôle de veiller au bien-être de chaque citoyen. Ils méritent l’attention du président de la République, celle des médias et celle de tous les citoyens. Car ensemble il est possible de continuer à réaliser l’idéal résumé dans cette devise de la république du Sénégal: Un peuple, un but, une foi !

Pierre Boubane, à Beyrouth (Liban) / www.tambacounda.info /