De l’Arabie saoudite au Maroc un Ramadan morne

 

«Nos cœurs pleurent!». C’est le cri d’alarme du muezzin de la Grande Mosquée de La Mecque. Pour cause du Covid-19 pendant tout le mois de Ramadan il n’y aura ni rassemblements pour les grands repas de rupture du jeûne (iftaar), ni prière nocturne à la mosquée (tarawih), et surtout pas de voyage dans les villes saintes. Dans tout le Proche et Moyen Orient les musulmans s’efforcent de vivre au mieux ce temps fort de leur calendrier liturgique sous le signe de la solidarité avec les plus pauvres.

Le Proche Orient est la région berceau des trois religions monothéistes le judaïsme, le christianisme et l’islam. Dans cette région la religion et les valeurs religieuses sont profondément ancrées dans la société. D’une manière plus générale, les liens claniques et familiaux demeurent très profonds. Lors des temps forts des calendriers liturgiques, c’est une occasion pour se retrouver en famille. Hélas, cette année à cause de la pandémie du nouveau coronavirus les habitudes ont été bouleversées. Les chrétiens d’Orient ont vécu le Carême dans la discrétion totale. Puis c’est au tour des musulmans de vivre le Ramadan dans le confinement.

De l’Arabie saoudite au Maroc, en passant par l’Egypte, le Liban, la Syrie, les musulmans vivent un ramadan « morne ». A Jérusalem, qui abrite la mosquée d’Al-Aqsa, troisième lieu saint de l’islam, le grand mufti, Mohammad Hussein a annoncé des restrictions concernant la prière pendant le ramadan. Car l’Organisation mondiale de la santé (OMS) demande aux pays musulmans « d’empêcher un grand nombre de personnes de se rassembler dans des lieux associés aux activités du ramadan, tels que les lieux de divertissement, les marchés et les magasins » (AFP). En Egypte, pays le plus peuplé de la région avec plus de 100 millions d’habitants, les musulmans saluent les restrictions prises par les autorités administratives afin d’éviter le virus de faire davantage de victimes qu’il en a fait : 8 476 cas confirmés, 1’945 guéris et 503 décès au 9 mai.

Dans les pays en guerre comme la Libye, la Syrie ou encore le Yémen, les fidèles musulmans sont résolus à ne pas oublier les plus pauvres comme le rapporte la presse régionale. En Iran, pays du Moyen-Orient le plus touché par la pandémie, le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei invite ses concitoyens à éviter tout rassemblement durant le ramadan. Surtout il a rappelé la nécessité de se montrer compatissant et charitable envers les pauvres. L’agence d’information officielle rapporte les instructions du guide suprême: « Le Ramadan est le mois de charité, d’abnégation et d’aide aux nécessiteux ; il est bon qu’il y ait un exercice à grande échelle dans le pays en faveur de la compassion, de l’empathie et de l’entraide, pour les nécessiteux et les pauvres » (agence Irna).

Au pays du Cèdre malgré le confinement imposé par les autorités à cause du Covid-19, l’élan de solidarité demeure chez les Libanais de confession musulmane. Ils s’organisent comme ils peuvent pour venir en aide aux plus démunis pendant ce mois de ramadan. Les institutions religieuses et les hommes politiques ont redoublé « d’ingéniosité » pour assurer et fournir aux plus pauvres une « ration alimentaire complète ». La plus haute instance sunnite du pays, Dar el-Fatwa a organisé une vaste « campagne de collecte de fonds destinée à financer 17 associations humanitaires du Liban avec pour slogan Vous n’êtes pas seuls ». Le mufti de la République Abdellatif Deriane a lui invité les membres de la communauté à faire « preuve de solidarité envers les plus modestes, à se présenter personnellement au siège de l’institution pour y remettre leur contribution financière, ou à contribuer par téléphone ou via internet » (L’Orient-Le Jour).

Comme pour tous les musulmans du Proche et Moyen-Orient et d’ailleurs, la grande déception pour ceux du Liban est de ne pas pouvoir se retrouver à la mosquée pour la prière. Ils ne sont pas les seuls à être dans la désolation. La classe politique habituée à les courtiser pendant le Ramadan l’est également. En effet, dans l’espoir de les séduire, les hommes politiques libanais ont toujours été dans les mosquées lors des prières de rupture du jeûne pour véhiculer ou défendre discrètement leurs idéologies, analyse un observateur de la vie sociopolitique libanaise. Le Covid-19 aura mis entre parenthèses une vieille habitude.

Pierre Boubane, à Beyrouth / www.tambacounda.info /