L’après Covid-19 : priorités locales et perspectives globales

 

 

La Covid-19 entraînera-t-elle les hommes et les Etats dans une nouvelle ère ? Un monde nouveau verra-t-il le jour ? Les règles du jeu qui ont prévalu depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, exacerbées par le triomphe de l’économie de marché, vont-elles s’effacer ? Alors que nous sommes encore sous l’emprise du nouveau coronavirus, des voix s’élèvent pour appeler à l’avènement d’un nouvel ordre mondial. Des scénarii sont imaginés çà et là pour esquisser les contours du monde d’après CRISE.
Pour permettre au Sénégal de faire face à la pandémie de la Covid-19, le chef de l’Etat a mis en place le Programme de résilience économique et sociale (PRES) doté d’un budget de 1000 milliards de francs Cfa. Macky Sall a reconnu la nécessité d’un ‘’nouvel ordre de priorités’’, plaidé pour l’annulation de la dette et lancé, dans une Tribune, un appel à l’avènement d’un ‘’nouvel ordre mondial’’ empreint de plus de solidarité.
La Covid-19 est à l’origine d’une remise en cause de grands fondamentaux idéologiques de la mondialisation (ouverture des marchés, recul de l’Etat, privatisations). Alors que de plus en plus des plaidoyers sont formulés pour plus de relocalisations, de souveraineté dans les secteurs clés comme la santé, la production industrielle des biens et services, l’alimentation, le Sénégal ne saurait faire l’économie d’un débat entre les priorités locales et les perspectives globales. Le local, c’est ce qui relève bien de chez nous. Le global est de l’ordre de la mondialisation.
Le local postule le renforcement du rôle stratégique de l’Etat et de ses différents démembrements. Pour exécuter son plan de lutte contre la pandémie de la Covid-19, le gouvernement a pu s’appuyer sur une administration civile et militaire déconcentrée : gouverneurs, préfets, sous-préfets, commandants de légions, commandants de zones militaires, médecins-chefs, chefs de districts sanitaires, entre autres. La crise sanitaire est venue nous rappeler la nécessité d’un Etat qui assure la protection des citoyens partout, leur garantit une éducation de qualité et leur permet d’accéder aux soins quand ils sont malades. Là où l’Etat est carrent, ces services essentiels, dits services sociaux de base, ne seront pas au rendez-vous.
Le local, c’est un environnement sain. La pandémie de la Covid-19 nous a ramené à une réalité très banale. Tous les conseils prodigués aux citoyens appelaient simplement au respect des règles d’hygiène individuelle et collective. Voilà qui devrait être pourtant la préoccupation première de tout citoyen de ce pays et des gouvernants. Mais force est de reconnaître qu’à la bourse de l’hygiène, notre pays n’est pas bien coté. Au sortir de cette crise sanitaire, une véritable politique d’hygiène doit être mise en œuvre.
Le local c’est aussi une véritable souveraineté en matière de production alimentaire, des biens et des services. Assurer sa souveraineté alimentaire, c’est se mettre à l’abri des chocs exogènes, très nombreux, dont les répercussions sur notre économie sont lourdes. Cela repose l’urgence d’avoir une agriculture forte, c’est-à-dire capable de nourrir le Sénégalais, qui n’aura alors plus besoin de vivre des importations de riz et d’autres céréales. Bien sûr, le privé national doit être une réalité en prenant une part active à l’essor économique par l’exploitation de nos richesses naturelles.
Dans un monde globalisé, le Sénégal qui veut bâtir une économie développée, peut-il se passer du capital étranger ? La mondialisation et l’économie de marché se sont imposées à tous les Etats et le Sénégal a fait le choix de l’ouverture depuis longtemps en signant des traités de libre échange, en adhérant à des grands ensembles politiques. Cette mondialisation permet aux Etats, aux entrepreneurs, aux individus de se déployer à travers le monde. Voilà pourquoi on trouve chez NOUS Auchan, ALSTOM, SUEZ, EIFFAGE, les banques étrangères, les Chinois et les Turcs qui construisent des infrastructures.
Des économistes ont longtemps accusé ces entreprises de pomper l’épargne locale, en exportant les profits réalisés sur place. Et sous les airs d’une économie fleurissante illustrée par des taux de croissance élevés, se cache en vérité une économie extravertie dont les retombées ne profitent guère aux gouvernements locaux à cause de nombreux procédés dont la tarification abusive de ressources et les incitations fiscales.
Si le Sénégal et les pays africains ont besoin de financement et de l’expertise étrangère pour mettre en valeur leurs nombreuses ressources, il n’en demeure pas moins que les Etats ont un rôle central à jouer pour trouver l’équilibre entre la nécessité de recourir aux multinationales et l’obligation de préserver les intérêts nationaux. Cela passe nécessairement par le respect des règles de bonne gouvernance, la rationalisation et la transparence dans les incitations fiscales, le renforcement de capacités des administrations fiscales face à l’armada d’experts du Capital étranger.
La Covid-19 entraînera-t-elle les hommes et les Etats dans une nouvelle ère ? Un monde nouveau verra-t-il le jour ? Il y a des choses qui dépendent de nous et d’autres qui ne sont pas de notre ressort direct. Le renforcement de nos services publics (administration, santé, éducation, sécurité, etc.), notre souveraineté alimentaire, la propreté dans nos lieux publics et privés, la préservation de nos intérêts dépendent de nous. Comment s’ouvrir au monde tout en gardant intact sa souveraineté, en assurant à sa population la prospérité ? Là, repose tout l’enjeu du débat entre le local et le global au moment où l’on pense à l’après Covid-19.

Ousmane Ibrahima DIA (Journaliste APS)