Dr Papa Abdoulaye Diop, économiste: « Quitter le F Cfa pour l’Eco avec les mêmes mécanismes serait du saupoudrage »

 

Chercheur à l’université du Havre (France), chargé des programmes à la CNDT, Papa Abdoulaye Diop est spécialisé au risque émergeant en économie notamment ceux de la monnaie. Il analyse les conséquences de la fin actée du franc Cfa et l’arrivée de l’Eco sur les économies africaines.

Le gouvernement français a acté la fin du CFA en conseil des Ministres. Quelle lecture en faites vous ?

Plutôt qu’une fin, je souhaite voir dans cette décision gouvernementale française le début d’une nouvelle phase dans les relations entre la France et les pays de l’UEMOA mais également dans les rapports que ces derniers vont dorénavant entretenir entre eux. Une nouvelle phase dont l’aboutissement devrait être la création d’une nouvelle monnaie ouest africaine adossée sur la CEDEAO. J’insiste sur le sigle car si nous devions quitter le CFA tel qu’il est pour nous limiter à créer une nouvelle monnaie au sein des pays de l’UEMOA dont les principes et mécanismes seraient par reflexe similaire à celui du CFA, ce serait du saupoudrage.  Nous aurions juste déplacé le problème en créant un faux jumeau du CFA pour satisfaire une demande des nouvelles générations à plus de souveraineté monétaire. Cela serait indigne par rapport aux enjeux du moment.

Ma conviction demeure que la finalité et l’ambition qui doivent nous guider, c’est d’aller vers la création d’une monnaie unique ECO au sein de l’espace CEDEAO qui je le rappelle est, à mes yeux, un des principaux mécanismes produits par des Africains pour des Africains sur le continent africain dont on peut se prévaloir du relatif succès.

Maintenant il faut aussi que nous puissions nous dire certaines vérités en face dans cette nouvelle dynamique que nous empruntons. La première est que le franc CFA n’est pas parfait, comme toute autre monnaie. La nouvelle entité monétaire qui remplacera le CFA ne sera pas parfaite. Elle ne saurait l’être. Son efficacité dépendra de la politique monétaire, de la politique budgétaire et de la politique fiscale que nous déciderons de pratiquer collectivement et non individuellement. La deuxième est que toute monnaie, à sa création, est neutre. Sa crédibilité dépend notamment des règles de conduite qui la gouvernent et du niveau de confiance des bailleurs de fonds. Elle dépend également des dépenses publiques, de leur nature  plus ou moins transparente et de l’efficacité des interventions publiques dans l’économie.  La troisième est que l’économie précède la monnaie. Ce n’est pas la monnaie qui fait l’économie, c’est l’économie qui fait la monnaie. C’est un classique que beaucoup d’économistes et de spécialistes de la finance et de la monnaie ignorent ou feignent d’ignorer. Ce qui fait le socle d’une économie c’est sa production. C’est le niveau de production qui détermine le niveau d’une économie.

Quelles sont les perspectives que vous entrevoyez ? Pensez-vous que l’abandon du CFA sera le gage d’économies africaines plus performantes ?

Il serait illusoire de croire que l’abandon du CFA sonnera ipso facto un embellissement pour nos économies fragilisées.  Il serait malhonnête de le faire croire. Comme je l’ai expliqué plus haut, c’est l’économie qui fait la monnaie. Maintenant nous avons plusieurs options qui s’offrent à nous.  Nous en exposerons deux. Le premier scénario est celui du statu quo. Nous gardons notre modèle économique actuel  fait d’importations massives de biens de consommation afin de satisfaire la demande locale, d’exportation des matières premières à l’état brut sans transformation afin de générer de la valeur ajoutée et d’une part de plus en plus importante du secteur tertiaire dans la création des richesses nationales. On aura réussi dans ce cas à essayer à résoudre un premier problème en créant un deuxième problème afin qu’on oublie le premier. En réalité, avec ce scénario, nous aurions certes réussi à flatter nos égos et nos nationalismes en abandonnant le CFA mais nous aurions réussi la prouesse de créer une nouvelle monnaie qui aurait toutes les faiblesses du CFA et aucune de ses qualités. Nos économies ne s’amélioreront pas dans ce cas. Si par extraordinaire, cela devait-être le cas, ce serait de manière très superficielle en étant par exemple des économies classiques de rente. Le second scénario est celui que j’appellerai l’Africovid-19. C’est un scénario dans lequel nous faisons dans l’opportunisme de circonstance. Nous prenons acte suite à la pandémie actuelle de la Covid-19 de la volonté de chaque pays de garantir dorénavant son indépendance dans la production de biens et services vitaux. Nous prenons acte toujours dans ce contexte de nos capacités locales de résilience et de nos aptitudes localement à élaborer des systèmes de gestion propres à nous et qui sont efficaces.

Il s’agira alors d’avoir la volonté politique de nous réapproprier la production des biens et services que nous consommons et de valoriser nos productions de matières premières en les transformant sur place avant de les exporter. Si nous voulons que notre nouvelle monnaie communautaire puisse être un instrument économique avec une réelle valeur ajoutée, il faudra que nous profitions de la tendance globale à l’individualisme étatique qui se dessine  et que nous ayons le courage politique de mettre en place localement une structure industrielle, même sommaire, selon le modèle indien par exemple et qui permettra très vite de produire plus et à un coût moins cher tout ce que nous consommons et pouvoir exporter le surplus.

Cela permettra la création d’emplois et donc la création de richesses car c’est le travail qui crée la richesse. Plus nous serons collectivement riches, plus nous pourrons agir sur notre monnaie communautaire afin d’en faire un instrument d’efficacité économique pour tous les états membres et pour chaque état membre. Comme un cercle vertueux.

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