[ÉDITO] COVID-19 : l’Afrique politique et scientifique peine à convaincre !

 

La Chine est attaquée sur le plan moral. Elle aurait menti au monde. Son bilan du nouveau coronavirus serait largement sous-évalué. Quant à l’Afrique, elle est incompétente depuis toujours. Si elle semble résister face à COVID-19, c’est grâce au facteur saisonnier qui joue en sa faveur. Le virus ne peut pas résister aux fortes températures au-delà des 30°C. L’autre facteur qui sauve l’Afrique, c’est la jeunesse de sa population. En France en particulier et en Occident en général, ce sont les deux arguments qui reviennent dans les propos de ceux qui commentent l’évolution de la pandémie. Certes ces thèses sont recevables. Mais quid des efforts des gouvernements et des scientifiques africains dans cette lutte ? Ils sont à peine évoqués. Quand ils le sont, c’est souvent pour les dénigrer avec condescendance, si ce n’est avec mépris. Décidément, l’Afrique peine encore à convaincre ses Maîtres d’hier, c’est-à-dire, ses partenaires d’aujourd’hui, sur ses compétences ! Cette relation basée sur la méfiance ne favorise pas la coopération multilatérale.

Nous sommes dans les années 1985-90. Le VIH/SIDA sévit dans le monde. Des tests de traitements d’expérimentation sont effectués sur des prostituées en Afrique. L’histoire peut bien se répéter, dit implicitement, sur le plateau d’une télévision française (LCI), le professeur Jean-Paul Mira, chef du service de réanimation de l’hôpital Cochin à Paris. Il préconise de « tester l’efficacité du BCG contre la COVID-19 sur le continent africain ». Sa proposition a ému l’opinion publique africaine. Le continent ne saurait être un laboratoire d’essais cliniques, protestent les critiques radicaux. L’émotion surmontée, certains scientifiques et hommes politiques africains évoquent la possibilité de la collaboration. Si l’intention est de cibler tous les peuples du monde pour évaluer l’efficacité d’un futur vaccin contre le virus, pourquoi l’Afrique ne prendrait pas sa part de risques ? Car « un vaccin efficace jouerait un rôle essentiel dans la prévention et le contrôle de la pandémie, selon l’OMS » (bbc.com/Afrique). Dans les propos du médecin français, c’est la forme de la communication qui a choqué et non le fond du sujet. Les Africains ne sont pas des éternels pleurnichards, comme certains de leurs détracteurs les dépeignent. Ils réclament juste le respect.

Avec regret, il faut en effet reconnaître que depuis le début de la pandémie on observe une communication pour le moins désastreuse sur l’Afrique. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et l’Organisation des Nations Unies (ONU) se sont tristement illustrées. Ces deux institutions ont provoqué une vive polémique à travers les déclarations de leurs dignes patrons. Le Secrétaire Général de l’ONU et le patron de l’OMS ont, tour à tour, pronostiqué des millions de morts sur le sol africain. Devant l’ampleur des réactions tous les deux ont fini par diluer leurs discours. Trop tard ! Leurs propos avaient déjà provoqué l’ire des principaux concernés, les Africains. S’inquiète-t-on sur leur sort ? Ou invoque-t-on le malheur sur eux ? Après plus de trois mois de lutte, le continent est en sursis. Les millions de morts ne sont pas encore enregistrés, même si la courbe des nouvelles contaminations et des décès reste ascendante. Le 21 mai, sur l’ensemble du continent, la barre des cents milles cas positifs à la COVID-19 a été franchie.

A César, il faut rendre ce qui lui appartient. Les gouvernements, les personnels de santé, et les populations ont largement contribué à limiter l’expansion du virus sur le continent. Les politiques ont pris des mesures concrètes et à temps selon les réalités de leurs pays respectifs. C’est essentiellement la fermeture des frontières terrestres, maritimes et aériennes. A l’intérieur de chaque pays, les autorités politiques et administratives ont limité les mouvements des populations, au point parfois de paraître tyranniques à l’égard de leurs administrés. Bien sûr, il y a eu des ratés comme partout. Mais globalement, les mesures prises ont été payantes. Antoine Glaser est l’un des rares journalistes occidentaux à émettre un avis objectif sur cette Afrique souvent humiliée. Peut-être parce qu’il connaît mieux le continent que nombre de ceux qui s’autoproclament spécialistes de l’Afrique. Sur le plateau de Canal+, il reconnaît que « l’Afrique a bien réagi face à la pandémie » en prenant des mesures qui se sont avérées efficaces https://www.youtube.com/watch?v=UaehHYV34RQ. Pour une fois certains dirigeants du continent se sont comportés beaucoup plus responsables que leurs homologues d’autres continents. Un avis que nous partageons entièrement.

Mais ce palmarès ne semble pas convaincre l’OMS qui revient à la charge en début du mois de mai. Dans une étude, l’institution onusienne prédit : la pandémie va durer en Afrique. Elle s’étendra sur plusieurs années. Elle tuera beaucoup d’Africains. C’est pour inviter à ne pas baisser la garde, rassure-t-on. Admettons ! Mais il semble qu’un bon médecin doit toujours rassurer son patient. Les propos alarmistes des fonctionnaires de l’OMS sont loin d’être encourageants. Ils terrorisent. Ils révoltent. Surtout, ils discréditent l’institution dont la mission, faut-il le rappeler ici, est de sensibiliser, coordonner, et encourager les États. Quel but vise-t-on avec une telle communication ? Sinon à compromettre la coopération multilatérale dans cette lutte qui mobilise tout le monde. Cette stratégie de communication légitime la méfiance des Africains à l’égard des institutions internationales. Des institutions régulièrement accusées d’être des satellites de certaines puissances occidentales, soupçonnées également, à tort ou à raison, d’être encore pétries de l’esprit colonialistes et impérialistes.

Bref, et l’on nous disait que COVID-19 qui ne fait aucune distinction entre les races, les classes sociales et les régions allait réconcilier les peuples du monde ! COVID-19 ne nous unira pas ! C’est certain. Néanmoins elle nous aura permis de méditer chacun, depuis chez soi, sur certaines valeurs qui nimbent nos existences pour en tirer profit afin de mieux engager l’avenir. Du moins pour ceux qui survivront à la pandémie. La solidarité a été sans doute le mot le plus prononcé en Afrique pendant le temps de confinement. Ce qui nous oblige à l’évoquer dans les paragraphes qui suivent.

« Le soleil n’ignore pas un village parce qu’il est petit » dit un proverbe africain. Ne participant qu’à hauteur de 2% du commerce mondial, l’Afrique est un petit village. Les prophètes de malheur qui invoquent la terreur sur lui seront surpris. Car ce village triomphera de cette pandémie. C’est à la fois une conviction et une prière pour beaucoup d’Africains. Les discours catastrophistes n’émeuvent plus personne de toute façon, écrit François Soudan dans Jeune Afrique : «… il y a longtemps que la sémantique sarcastique des donneurs de leçons ne trouve plus aucun écho au sud de la Méditerranée » https://www.jeuneafrique.com/942006/societe/edito-didier-raoult-le-covid-organics-et-le-nouveau-wakanda/). Son confrère Marwane Ben Yahmed, prédit un nouveau départ pour le continent après l’épreuve de confinement. « …notre continent (…) a fait preuve d’une résilience incontestable et d’une réactivité que nous ne lui connaissions guère ». C’est un signe « d’espoir », conclut le directeur de publication de l’hebdomadaire Jeune Afrique (https://www.jeuneafrique.com/970747/societe/edito-jeune-afrique-revient-en-kiosque-dans-une-nouvelle-afrique/. C’est aussi un optimisme que nous partageons.

Il y a quelques années, l’intellectuel sénégalais Felwine Sarr, exprimait avec émotion et conviction que l’Afrique n’avait personne à rattraper. Elle a à faire son chemin. Aujourd’hui cette Afrique avance avec confiance et à son rythme. Même si ses supposés partenaires continuent de penser qu’elle est plus une charge qu’un atout, elle doit croire en elle. Car l’une des leçons principales à tirer de cette pandémie est qu’il faut apprendre à compter d’abord sur ses propres moyens. L’Afrique doit continuer le travail de fond : celui de l’intégration panafricaine. Ce projet ne doit pas concerner uniquement l’élite intellectuelle et politique, mais doit davantage concerner le peuple, surtout la jeunesse. C’est à juste titre que de plus en plus on parle « d’intégration par le bas ». Ainsi, s’il y a quelqu’un à convaincre, en premier, ce sont les jeunes. Car ils sont les meilleurs atouts dans cette stratégie de communication qui consiste à montrer constamment le négatif de leur continent. Personne ne parlera des prouesses de l’Afrique avec fidélité sinon les Africains eux-mêmes.

Pour le bénéfice de cette réflexion nous avons ici identifié les politiques et les chercheurs africains comme l’Afrique politique et scientifique (notamment) dans le domaine médical. Cette Afrique-là doit rassurer le citoyen lambda. C’est-à-dire le peuple d’en bas, pour reprendre une expression de Jack London dans son roman (J.L., Le Peuple d’en bas, Phébus, Paris, 1999, 256 pages). Rassurer ce peuple signifie être crédible pour mériter sa confiance. Rassurer signifie convaincre par des actes concrets qui impactent le quotidien de ce peuple. Rassurer signifie soutenir avec des financements substantiels la recherche dans le domaine médical, afin de minimiser la dépendance par rapport aux partenaires extérieurs. « Avec 1,2 milliard d’habitants, l’Afrique compte environ 375 producteurs de médicaments contre 10 500 pour la seule Inde », renseigne l’Agence Ecofin, citée par Ouestaf.com, 27 mai 2020. Selon la même source, malgré ce fort potentiel, l’Afrique importe 70% de ses besoins en médicaments. C’est ce qu’il faut corriger.

Ce faisant, les pays africains éviteraient à leurs populations la panique chaque fois qu’il sera décidé, pour des raisons politiques ou autres, que leurs pharmacies ne seraient plus fournies en médicament par des pharmacies des pays du nord. Comme il semble être le cas en ces temps qui courent. La France aurait décidé de suspendre de fournir au Sénégal certains médicaments dont la fameuse chloroquine. Une note officielle attribuée au Docteur Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale adjointe de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a largement été relayée par la presse sénégalaise à la mi-avril. La France justifie la décision en évoquant l’article L-5111-4 du Code de la santé publique qui interdit toute exportation de médicament « afin d’éviter toute rupture d’approvisionnement préjudiciable à l’organisation des soins et susceptible de mettre directement en jeu la vie des patients concernés » (seneweb.com, 27 mai, 2020).

Il faut sauver l’Afrique de la « raison calculatrice qui finit par nous rendre fous… (Car) l’essentiel de nos existences tient et tiendra toujours dans ce qui ne se compte pas » (François-Xavier Bellamy, Demeure, Paris, Grasset 2018, p. 234). Pour les Africains, ce qui ne se compte pas c’est la solidarité. Cette solidarité s’est donnée à voir pendant les multiples visioconférences des chefs d’État du continent. Seulement, elle doit se manifester davantage dans du concret. Madagascar sert déjà d’exemple. Il a offert gratuitement le fruit des recherches de ses scientifiques. Nonobstant les réserves qu’on peut émettre sur ce fameux Covid-Organics, il faut saluer l’élan de solidarité. C’est une valeur héritée de nos ancêtres. Il faut l’entretenir. Car elle permet d’affronter les défis, ensemble, dans cette longue excursion qu’on appelle la vie, sans laisser personne aux bas côté de la route. Enfin, cette solidarité doit être un facteur d’intégration panafricaine sur le plan économique, politique, culturel, et bien évidemment sur le plan de la santé. « L’oubli est la ruse du diable », dit l’adage. Pourvu que nous n’oublions pas les acquis de l’expérience de la pandémie.

Pierre Boubane, à Beyrouth / www.tambacounda.info /