La pénurie d’eau à Dakar s’invite au journal « Le Monde »

 

Plusieurs quartiers de la capitale font face à des pénuries d’eau courante. Une situation qui hérisse les habitants en ces temps de coronavirus et de fortes chaleurs.

Des pompes à eau traditionnelles sont installées au pied des immeubles par les propriétaires du quartier populaire Yeumbeul, dans la lointaine banlieue de Dakar. Une dizaine de fois par jour, Mimouna Fall vient y remplir ses bassines et bidons pour pouvoir faire le ménage, laver le linge ou cuisiner. « Mais je ne peux pas boire cette eau qui n’est pas potable. J’attends la nuit pour espérer avoir de l’eau qui coule du robinet », explique la mère de famille avant de repartir, sa bassine sur la tête, à travers les rues ensablées.

Dans ce quartier, l’eau n’a jamais coulé à flot. Mais, depuis quelques semaines, la situation a empiré. « Avant, on avait de l’eau à partir de 20 heures. Maintenant, on doit attendre 1 ou 2 heures du matin. Regardez mes cernes, je mets un réveil en pleine nuit pour remplir quatre bidons de 10 litres. Cela me prend deux heures tellement la pression est basse », explique Papa Mbodj, un habitant du même quartier.

Il montre d’un geste dépité les récipients recyclés entassés sous son lavabo, qui lui servent pour sa toilette matinale avant de partir au travail. L’agacement se joint à la lassitude chez ce jeune père d’un enfant de 9 mois. « Comment faire en pleine crise de coronavirus pour se laver les mains, alors que les chaleurs arrivent ?, s’interroge-t-il. L’eau est une source vitale, c’est un besoin primaire auquel nous avons droit. »

A Dakar, les pénuries d’eau sont fréquentes depuis plusieurs années, touchant des milliers de ménages. Ces derniers temps, des photos de femmes avec des récipients de toutes tailles à bout de bras et barrant les artères de la capitale en guise de protestation, dans les quartiers dakarois de Rufisque, Parcelles assainies ou Ouakam, ont fait le tour des réseaux sociaux.

« Faire face au manque de pression »

La situation a aussi un impact économique pour Aly Kan, agent immobilier à Comico Yeumbel. « Je dois investir moi-même 500 000 francs CFA [quelque 760 euros] dans des surpresseurs d’eau pour faire face au manque de pression. Une somme énorme alors que le manque d’eau fait baisser les prix de la location », explique le jeune homme. Ce dernier espère toujours un « miracle » : voir un jour l’eau couler au premier étage de ses immeubles.

Au cœur des critiques, la société Sen’eau, du groupe français Suez, qui a remporté un appel d’offres contesté par ses concurrents en 2018. Cette affaire-là est désormais réglée. Depuis le 1er janvier, elle est devenue la nouvelle société de gestion de l’exploitation et de la distribution de l’eau potable en zone urbaine et périurbaine au Sénégal, pour une durée de quinze ans.

Pour répondre aux attaques qui la visent sur les réseaux sociaux, elle incrimine entre autres les intempéries. « Nous avons connu une tempête le week-end du 13 et 14 juin qui a endommagé certains ouvrages de production et les a privés d’énergie électrique, affirme au Monde Afrique la société Sen’eau. Aujourd’hui, 100 % de l’eau produite est consommée. Il suffit alors d’une panne sur un ouvrage pour engendrer des manques d’eau. »

La société assure aussi que des équipes « sont intervenues immédiatement » et que « la situation revient progressivement à la normale depuis quelques jours ». Les pénuries s’expliquent aussi, selon elle, par des raisons plus structurelles : l’augmentation de la population, l’urbanisation croissante et la hausse de la consommation en période d’hivernage et de grosses chaleurs.

Une usine de dessalement en 2024

En conseil des ministres, le 17 juin, le président sénégalais Macky Sall a rappelé « l’impératif de mobiliser l’expertise technique et les ressources financières pour assurer le fonctionnement optimal des infrastructures hydrauliques implantées sur l’ensemble du territoire national ». Il a aussi invité le ministre de l’eau et de l’assainissement à « finaliser la réalisation des grands projets d’hydraulique urbaine en cours ».

Au Sénégal, 13 % des ménages ont seulement accès à un puits non protégé, c’est-à-dire une source d’eau non améliorée, donc non potable, non filtrée et non traitée. Et en milieu urbain, près de 20 % des foyers ne disposent pas d’un raccordement domestique dans leur logement ou dans la concession.

Pour répondre à tous ces enjeux, la Sen’eau assure avoir pris des mesures d’urgence avec la Société nationale des eaux du Sénégal (SONES), mais elle se projette aussi sur le moyen et long terme. Dès la fin de l’année, la société affirme pouvoir « réceptionner la troisième usine de Keur Momar Sarr », à 250 kilomètres de Dakar, dont les volumes d’eau additionnels « vont sensiblement améliorer l’alimentation en eau potable pour les populations ». Et d’ici à 2024, la Sen’eau espère aussi avoir mis en route l’usine de dessalement en train d’être construite dans un quartier de la capitale.

Sur le court terme, la société a mobilisé des dizaines camions-citernes pour approvisionner les quartiers en situation de pénurie. Des véhicules que Papa Mbodj n’a jamais croisés dans son quartier, où il se sent exclu et isolé. Le jeune homme aux lunettes rondes ne croit plus dans les promesses des autorités, ni des sociétés de gestion qui se succèdent. « Je ne me souviens même plus quand l’eau est sortie du robinet de ma cuisine. Le problème est structurel et national », résume-t-il, résigné.

Auteur : Le Monde