[ÉDITO] CÉDÉAO : Dans l’attente d’un héros dévoué…Mohamed VI ?

 

 

Selon une formule de l’ancien président américain Barack Obama : « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes ». Si seulement cette réflexion pleine de sens pouvait s’adapter en tout lieu et en toute circonstance ! La Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (CÉDÉAO) a été créée en 1975. Elle regroupe quinze pays. C’est une institution « forte ». Elle l’est grâce à sa vigueur démographique et à son potentiel économique. Mais ces dernières années l’espace Cédéao est confronté à plusieurs défis. Il a besoin d’hommes forts pour conduire une politique de riposte commune à ces nombreuses urgences dont celle de la sécurité. Car qui ne serait pas d’accord avec le savant Cheikh Anta Diop : « La sécurité précède le développement » ? En ces temps qui courent c’est surtout d’un héros dévoué à la cause commune dont la Cédéao a besoin. Par héros nous pensons à un leader capable d’imprimer un leadership juste, fort et efficace. Cela est possible !

La Cédéao est l’exploit des pères des indépendances et de leurs successeurs immédiats (1960-1980). Elle est saluée comme l’une des meilleures institutions d’intégration du continent. Les dirigeants de la deuxième vague (1980-2000) ont consolidé les résultats obtenus. Parmi leurs belles réussites nous pouvons citer le passeport Cédéao, la libre circulation des biens et des personnes, la « Force en attente » pour une opération militaire en cas de besoin. Les dirigeants de la troisième vague, c’est-à-dire nos présidents actuels (2000+) essaient de sauvegarder les acquis. La mise en circulation de la carte d’identité Cédéao est une belle réussite. S’ils arrivent à enterrer le Franc CFA et à accoucher de l’Éco, pour les siècles et des siècles les survivants du coronavirus leur seront grés : Aux grands hommes, nos patries reconnaissantes !

Revenons aux faits et au présent. Si les coups d’États militaires semblent n’être que de vieux et mauvais souvenirs, il y a encore des efforts à fournir. Car, hélas, la Loi fondamentale (Constitution) fait encore l’objet de révision tendancieuse dans certains pays (dernier en date la Guinée Conakry). La circulation des personnes et des biens est parfois mise à rude épreuve à cause de la fermeture unilatérale des frontières terrestres. En effet, pendant des mois le Nigéria ferme ses frontières avec le Bénin. Au plus fort de l’épidémie d’Ébola le Sénégal s’isole également de la Guinée Conakry. La menace du terrorisme est dans la liste des nouveaux défis. Après la chute du régime de Kadhafi en 2011 des pick-up remplis d’hommes armés foncent en direction de Bamako. En quatorze jours ces hommes occupent 70% du territoire malien. Aujourd’hui les terroristes sèment la terreur dans plusieurs pays du Sahel. Enfin dans la liste des urgences présentes et pesantes, il y a l’épineuse question du Franc CFA. Des mauvaises langues prophétisent un éclatement de l’organisation sous régionale si le passage à l’Éco, la nouvelle monnaie en gestation, n’est pas bien négocié. Devant cette panoplie d’enjeux une politique de riposte commune est vitale. Car il est fondamentalement question de la survie des peuples et des nations ouest africaines.

Hélas ! Depuis une décennie l’Afrique de l’Ouest manque de leader de l’envergure d’Alpha Oumar Konaré, président du Mali de 1992 à 2002 ; d’Olusegun Obasanjo, président du Nigéria de 1999 à 2007 ; ou encore d’Abdoulaye Wade président du Sénégal de 2000 à 2012. Ces dirigeants, loin d’être parfaits, étaient des hommes de paroles et d’actions. De l’ambition, de la personnalité et du charisme, ils en avaient ! Panafricanistes convaincus et convaincants, ils savaient dépasser leur égoïsme pour privilégier l’intérêt commun. Certes les contextes sont différents mais nous ne saurions prononcer les mêmes éloges pour les dirigeants actuels. Une partie des citoyens ouest-africains leur reproche de ne pas être suffisamment panafricanistes. Dans ce reproche il faut surtout entendre et comprendre le souhait des peuples. Ils désirent voir émerger une figure de proue pour, non seulement incarner le rôle d’un héros bien éclairé, mais aussi et surtout pour imprimer un leadership utile qui prône la voix collective au sein de la Cédéao. Qui pourrait imprimer ce leadership visionnaire et dévoué pour l’intérêt commun ?

En 2017 le président Sénégalais Macky Sall ‘’contraint’’ Yahya Jammeh le président de la Gambie à quitter le pouvoir. La même année il permet le jugement à Dakar de l’ancien dirigeant tchadien, Hissène Habré. Une partie de l’opinion africaine n’apprécia guère le comportement de Macky Sall. Sur la question du franc CFA il est accusé par une partie de la jeunesse du continent d’être, avec le président ivoirien Alassane Ouattara, pro-français. Pour certains Africains Macky Sall et Alassane Ouattara, à cause de leur proximité avec la France, sont des traitres aux nations africaines, des hommes ‘’à abattre’’ en Afrique. Critiqués et vilipendés, à tort ou à raison, les deux présidents peinent et peineront toujours à être crédibles aux yeux des populations. Pour les plus méfiants, les deux n’inspirent pas confiance !

Alpha Condé le président de la Guinée Conakry a longtemps été considéré comme un sage. Il pouvait incarner la figure du héros recherché. Avec l’épisode de la crise postélectorale en Gambie, il incarnait l’option diplomatique jusqu’au bout. Tandis que Buhari, le président du Nigéria et le président Macky Sall optaient pour la solution militaire après l’échec de la diplomatie ; Alpha Condé s’y opposa fermement. Le président Yahya Jammeh est « un frère qu’il faut traiter avec dignité », avait-il laissé entendre. Seulement le président guinéen a pris des chemins escarpés sur le plan de la politique intérieure dans son pays. La retouche de la constitution est très critiquée par l’opposition. Les autres chefs d’États du Togo, du Mali, du Bénin, du Ghana…etc. ne semblent pas être intéressés par un quelconque leadership. Les uns manquent de charisme ; d’autres manquent de poids et d’influence diplomatique à faire valoir ; pour d’autres encore ils sont suffisamment occupés à gérer des problèmes de politique intérieure. C’est le cas du Malien en difficulté depuis son élection. Il a d’abord eu comme ennemis les djihadistes islamistes ; ensuite, depuis quelques semaines il affronte une partie de ses concitoyens qui demande sa démission pour incompétence.

Finalement sur qui compter ? L’esprit humain est libre d’imaginer même l’invraisemblable. Sait-on jamais ! Et si la Cédéao pouvait miser sur un « tard-venu », sa Majesté le roi Mohamed VI du Maroc ? En quoi est-il remarquable comme héros du présent et du futur ? Qu’a-t-il fait ? De qui est-il connu et pourquoi ? Depuis 2017 sa Majesté souhaite intégrer l’institution où il compte beaucoup d’amis. C’est un espace géographique où le royaume investit beaucoup d’argent dans divers projets de développement. Il est respecté de tous. Il parle à tous. Il a le privilège de la longévité au pouvoir. Car il échappe au pari risqué du suffrage universel direct. Il a donc le profil pour imprimer, dans la durée, un leadership juste et efficace. Peut-être viendra-t-il avec de nouvelles idées réorienter le fonctionnement de l’organisation pour plus d’efficacité sur le plan sécuritaire, économique et diplomatique ?

Dans son roman Les frères Karamazov Dostoïevski prévient le lecteur qui trouverait que son héros Alexéi Fiodorovitch « agit d’une façon vague et obscure ». A notre époque on ne peut exiger des gens « la clarté » écrit-il. Au cas où quelqu’un nous contredirait sur le héros que nous proposons à savoir Mohamed VI, en argumentant que sa Majesté agit également de façon « obscure » (par pur intérêt économique), nous répondrons comme Dostoïevski. Il nous sera aujourd’hui difficile d’exiger de quelqu’un la « clarté » totale. Nous nous obstinons à penser que sa Majesté pourrait positivement se distinguer par son leadership. Les actes qu’il pose nous poussent à le croire. Il multiplie les gestes de séduction. Avec la pandémie de Covid-19 il envoie une aide médicale aux pays d’Afrique de l’Ouest. Un geste bien apprécié par la Cédéao des chefs d’États mais aussi par la Cédéao des peuples.

Pierre Boubane, à Beyrouth / www.tambacounda.info /