Somalie: Le Hajj, version Covid-19, met les éleveurs sur la paille

 

 

Le Hajj, pèlerinage annuel de la Mecque, constitue d’ordinaire une manne pour l’économie somalienne, qui exporte des millions de têtes de bétail en Arabie saoudite pour nourrir les pèlerins et pour la fête du sacrifice.

Mais cette année, les mesures de restrictions imposées par la pandémie du Covid-19 ont réduit le pèlerinage à la portion congrue. Seuls une dizaine de milliers de fidèles résidant en Arabie saoudite ont pu y participer, bien loin des quelque 2,5 millions de croyants en 2019.

Et les éleveurs somaliens en payent le prix. «Le business est mauvais», résume Yahye Hassan, qui travaille dans le plus grand marché aux bestiaux de Mogadiscio.

«Les effets du coronavirus se font sentir. Les pays arabes ne sont pas en demande d’animaux venant de Somalie et les éleveurs nomades qui amènent normalement leur troupeau en ville pour les vendre ont peur de venir, de crainte d’être infectés», poursuit Hassan.

«On constate une diminution drastique de la demande» et l’offre aussi est moindre qu’ordinaire, confirme Nur Hassan, un autre négociant en bétail de la capitale somalienne.

Le Hajj, pèlerinage annuel à La Mecque, ville sainte de l’ouest de l’Arabie saoudite, qui se tient cette semaine, est un des cinq piliers de l’islam, que tout fidèle est censé accomplir au moins une fois dans sa vie, s’il en a les moyens.

Le chameau en baisse

Près de deux tiers des exportations de bétail somalien sont normalement à destination de l’Arabie saoudite, selon la Banque mondiale. Ainsi en 2015, plus de cinq millions de têtes de bétail – chèvres, moutons, chameaux et vaches – avaient fait le voyage depuis les ports somaliens vers le royaume saoudien.

«L’annulation du Hajj a des conséquences très importantes sur la vie et les ressources de la population somalienne», explique à l’AFP Ahmed Khalif, le directeur de l’ONG Action contre la faim pour la Somalie, qui précise que le commerce du bétail compte pour 60% des revenus des foyers pastoralistes somaliens.

Près des trois quarts des recettes d’exportation de la Somalie proviennent du bétail, ajoute M. Khalif, et si les exportations s’étalent sur toute l’année, «la majorité, 70% des animaux (exportés), se déroule pendant cette période du Hajj».

Avec la limitation des exportations, l’offre excède largement la demande sur les marchés locaux, ce qui a engendré une forte baisse des prix, les chameaux se vendant pour 500 dollars, soit la moitié de leur valeur habituelle, selon M. Khalif.

Si quelques clients fortunés en ont profité pour faire de bonnes affaires, c’est un désastre pour la majorité des éleveurs qui doivent vendre leur bétail pour se nourrir, régler leurs dettes et payer des services essentiels, comme les frais de scolarité.

Non seulement ces éleveurs n’ont pas les rentrées d’argent escomptées, mais devoir garder les bêtes qu’ils pensaient vendre engendre un coût supplémentaire, explique Isse Muse Mohamed, un courtier spécialisé dans le secteur de la ville côtière d’Eyl (nord).

«Vendre plus de chèvres»

«Garder des centaines de chèvres ou de moutons pour un an entraîne forcément des coûts, comme le salaire de ceux qui vont les garder».

«C’est une vraie crise», souligne-t-il. «Nous pensons que seul Allah peut en adoucir l’impact. Si ça continue comme ça, les conséquences seront encore plus graves».

La hausse des coûts et la perte du marché saoudien forcent des éleveurs comme Adow Ganey, dans la ville d’Hudur (centre), à vendre leurs animaux à prix cassés.

«Quand la famille voulait acheter des biens de première nécessité, comme du sucre ou des vêtements, nous emmenions une ou deux chèvres au marché» pour les vendre, décrit-il. «Mais cette année, les choses ont changé. Il faut vendre plus de chèvres pour obtenir l’argent dont nous avons besoin».

Pour les éleveurs et commerçants somaliens, déjà confrontés à des décennies de conflit et d’instabilité politique, et soumis à des cycles de sècheresse de plus en plus rapprochés et à une invasion en cours de criquets pèlerins, les restrictions pesant cette année sur le Hajj pourraient être le coup de trop.

«Nous n’avons jamais vu une telle situation», jure Abdqadar Hashi, un exportateur de bétail basé à Hargeisa, capitale de la république autoproclamée du Somaliland (nord), qui abrite le grand port de Berbera. «Cela affecte tout le monde».

(AFP/NXP)