Entretien avec Tiziana Meretto, cheffe du projet Vis ” L’émigration régulière est certes difficile mais, pour autant, il ne faudrait pas se lancer dans la clandestinité pour risquer sa vie “

 

 

 

La cheffe du projet Vis n’est pas contre l’émigration des jeunes vers l’Europe  ou tout autre continent. Seulement, Tiziana Meretto veut que cela se fasse dans les règles de l’art et dans des conditions de voyage acceptables. Quoique cela nécessiterait car, à son avis, c’est ce qui peut réduire les risques élevés de pertes en vies humaines, de traite des personnes et surtout des violences subies par les candidats à cette aventure sur les routes et dans certains pays d’accueil. 

1) depuis quand êtes-vous implanté à Tamba et, en quoi consiste votre travail ?

Personnellement, je suis à Tamba depuis octobre 2018. Je suis ici pour coordonner le projet Vis. C’est un projet italien ” Volontariat International pour le développement “. On a commencé à travailler depuis 2014. Seulement de manière très stable, nous avons commencé en 2016. L’Ong est née en prenant la figure de Don Bosco comme référence sinon, elle est bien laïque. Nous sommes représentés dans plusieurs pays avec des domaines souvent variés. Même si, nous sommes beaucoup plus connus dans le domaine de la migration, nous abordons aussi les thématiques du développement de compétences, la formation professionnelle, la protection des enfants, entre autres. Au niveau du Sénégal, nous avons d’abord commencé à travailler en soutenant nos partenaires canadiens de Don Bosco. Nous avons constaté que le pays enregistre beaucoup de pertes en vies humaines du fait de l’émigration clandestine. Les jeunes partent en empruntant les mauvaises routes. Beaucoup d’entre eux, y laissent leurs vies. Ils y subissent toutes les formes de violences et de sévices. C’est pourquoi dans un premier temps, nous avions formulé un projet allant dans le sens de renforcer les capacités des acteurs locaux dans le cadre de la formation professionnelle à travers la thématique de l’émigration clandestine pour montrer aux jeunes les possibilités qu’il y a avec la formation professionnelle de s’insérer et de pouvoir vivre et rester chez soi

2) quelle est aujourd’hui la situation de l’émigration clandestine ?

Le constat fait est qu’il y a beaucoup de jeunes qui partent. Surtout au niveau des localités comme Goudiry, kidira, Tamba. Pourquoi maintenant ? Les réponses sont nombreuses. Pour avoir un avenir meilleur, pour pouvoir subvenir aux besoins des familles, pour chercher du travail. Les plus grands mouvements sont notés dans le Bakel, à Goudiry, kidira, Koumpentoum, Tambacounda. Ce sont les jeunes qui partent le plus dans cette aventure. Il y en a quelques fois, des femmes mais pas en grand nombre. C’est des jeunes de la tranche d’âge 18-35 ans qui sont le plus rencontrés dans cet exode risqué. Et généralement avec un niveau d’étude très faible ou même parfois non scolarisés. Toutefois, on en rencontre quelques-uns qui ont de grands diplômes. Malheureusement, il faut l’avouer, la voie dite régulière est très difficile. C’est pourquoi, entrer en Europe de façon régulière est très difficile raison pour laquelle, certains jeunes n’hésitent pas de tenter la mer ou braver certaines routes à hauts risques.

3) A votre avis, pourquoi Tamba reste une zone de départ ?

Tambacounda est grande région avec beaucoup d’opportunités. Malheureusement, elles ne sont inexploitées ou souvent mal exploitées voire peu visibles. Tambacounda est aussi une région très difficile. Déjà, au mois d’avril dernier, nous y avions lancé un appel à candidatures pour des projets de financement, des projets communautaires. Et malheureusement, on a constaté que la plupart des demandes tournaient autour des questions de forages, de demande d’eau. L’agriculture y est praticable mais c’est très difficile. Si les jeunes ne sont pas accompagnés financièrement, formés et capacités, ça va être très difficile et c’est ce qui bloque le développement. Ce qui fait qu’ils tentent l’aventure. Et malheureusement, en empruntant la mer, la plupart d’entre eux y laissent leurs vies. Dans la région, le tissu entrepreneurial y est très dynamique mais, ce que l’on constate, c’est des jeunes des autres régions du pays qui y sont les plus actifs. Les jeunes ne quittent pas Tambacounda parce qu’il n’y a rien. C’est faux ! C’est juste que le peu qu’il y a, est mal exploité. Et voilà que l’envie, la jalousie, le désir les poussent à partir et souvent, sans un bon projet de voyage et de manière clandestine. Voilà, le gros du problème.

4)  Quelle est la solution à ce problème, selon vous ?

Il faut qu’on s’asseye et qu’on discute. Nous, nous avons eu la chance d’être à plusieurs niveaux de la chaîne. Nous faisons de la sensibilisation, nous émettons des messages à l’endroit des jeunes et nous en captons aussi en retour. Déjà, nous avons fait la cartographie des offres et services dans la région en matière d’emploi et de formation pour pouvoir mieux orienter les jeunes. On les aide à avoir des travaux innovants. On les aide à identifier les types de travail et on le fait aussi savoir les financements disponibles. Il faut aussi que les différents acteurs qui gravitent autour du secteur mutualisent leurs efforts pour harmoniser leurs actions. Nous supportons la coordination de plusieurs tables de travail. On a un pôle migration et mobilité humaine où, il y a plusieurs acteurs qui s’y retrouvent pour voir quelle est la meilleure stratégie pour aider les jeunes. D’un autre côté aussi, on a plusieurs sessions de formation avec les acteurs de la formation professionnelle pour qu’ils aient mieux de possibilités à accompagner les jeunes. Ce qui fait que, s’ils ont une bonne formation, ils pourront trouver des emplois et rester ici chez eux. Pour cela aussi, il faut que les formations reçues soient en link avec les besoins du marché du travail. Cependant, il faut surtout une bonne coordination des différentes intervenants pour mieux circonscrire le fléau.

5) Qu’étes-vous en train de proposer aux jeunes pour les encourager à rester chez eux ?

Déjà nous avons réussi à offrir des financements à certains jeunes. Nous les avons identifiés et avons confié leurs dossiers à la Giz pour leur formation en business plan, en gestion des entreprises et dans d’autres domaines. Récemment, nous avons débloqué pres de 20 millions pour financer des projets de jeunes.

6) Combien de migrants de retour avez-vous enregistré jusque-là ?

C’est très difficile d’avancer des chiffres. Nous collaborons avec des associations de migrants de retour et même là, il est difficile d’avoir des chiffres exacts. D’ici à la fin du mois d’octobre, nous allons soutenir la direction d’appui des sénégalais de l’extérieur à recenser tous les migrants de retour ce qui nous aidera à disposer de données beaucoup plus fiables. Le plus gros problème c’est qu’il n’aura jamais un jeune qui te dira je vais en émigration irrégulière. C’est du jour au lendemain qu’il disparaît et puis voilà.

7) Avez-vous été impacté par le Covid19 dans votre mission?

La pandémie a certes ralenti nos activités. Sinon, nous avons au mois d’avril dernier, financé 28 projets de jeunes à hauteur de près de 20 millions. Nous avons des projets communautaires en attente de financement. A ce niveau c’est des projets assez consistants car c’est des projets de maraîchage et de création de forages. Nous y sommes.

8) Quels sont vos projets en cours ?

Il ya le projet italien dénommé ” vivre ici chez moi “. C’est un projet pour les régions de Tambacounda et de Kaolack. C’est un bon projet d’un coût global de plus de 2 millions d’euros. Il y en a un autre financé par la conférence épiscopale italienne ” vivre de sa sueur ” tous ceux-ci vont permettre de mieux accompagner les jeunes et les permettre de rester chez eux et d’y gagner dignement leurs vies. ” Investir dans l’avenir ” est aussi un projet multi pays toujours financé par la coopération italienne. Il mettra le focus sur la formation des jeunes dans la région de Tambacounda. Il mettra à la disposition des entreprises locales des bourses pour les stages des jeunes. Des sessions de formation en entreprenariat, en recherche personnelle d’emploi sont aussi prévues. Il y est aussi prévu des financements pour des kits de démarrage d’activités des jeunes après les formations. En résumé, il y a pas mal de projets en vue pour mieux soutenir les jeunes afin de les fixer dans les terroirs.

Par Abdoulaye Fall