Tambacounda: voyage à Missirah sur les traces des émigrés clandestins

 

 

Ces dernières semaines, le Sénégal a fait face à une recrudescence de l’émigration clandestine. Chaque nuit, plusieurs pirogues quittent les côtes sénégalaises pour tenter de rallier l’Europe. C’est le cas de centaines de jeunes de la commune de Missirah dans le département de Tambacounda. Malgré les difficiles conditions de voyages, les traitements subis à Nouakchott, ces jeunes rentrés récemment au bercail, comptent repartir. Au prix de leur vie.

Quand leur pirogue a coulé au fond des océans, Sayba Sylla, 20 ans, conducteur de moto Jakarta a vu le pire. Mais sa volonté de rejoindre l’Europe n’a pas failli. Entouré d’une bande de copains, tous candidats malheureux à l’émigration, le conducteur de Jakarta n’en finit pas d’étaler ses misères. Il dit : «Ici, nous sommes pratiquement sans réelle perspective d’avenir. Les métiers que nous exerçons ne sont plus prometteurs à Missirah. Nous pensons qu’il vaut mieux, pour nous autres, d’aller en Europe où l’on peut trouver une bonne situation. Nous avons été chassés des côtes mauritaniennes, mais cela n’émousse pas mon ardeur. Je suis décidé à y retourner. Quoiqu’il m’en coûte !» El Hadj Sylla, 17 ans, soudeur, Souleymane Kanté et Badioula Touré, Lassana Fofana, 18 ans, soudeur métallique, Mamadou Sylla, 17 ans, électricien, Mamadou Kanté, 17 ans, soudeur métallique, ses compagnons de galère, acquiescent : «Toutes nos tentatives de réussite au pays se sont soldées par des échecs. L’école comme les petits boulots ne nous ont pas réussi. Raison pour laquelle, nous croyons qu’il est aujourd’hui grand temps pour nous d’aller tenter notre chance ailleurs.» Ces copains trouvés sous un arbre, autour des «trois normaux», viennent de rentrer après un périple qui les a menés, pas plus loin que les côtes mauritaniennes, Obnubilés par leurs parents migrants qui ont réussi à franchir les portes de l’Occident, ces candidats ont jeté leur dévolu sur deux pays : la France et l’Espagne pour s’ouvrir grandement les portes de l’eldorado tant convoité.

«A Missirah, l’immigration clandestine a infecté, comme un «virus», une bonne partie de la jeunesse», ironise la présidente du mouvement des jeunes, Bineta Sylla. «Chaque fois que les forces de l’ordre mauritaniennes les chassent, c’est comme s’ils sont plus déterminés à y aller. Ils entonnent tous ce refrain : «Même s’il faut y laisser notre sang, nous irons de l’avant. Nous allons revenir et nous irons en France ou en Espagne.» La commune de Missirah logée dans le département de Tambacounda est sans doute l’une des localités du Sénégal où l’on dénombre le plus de jeunes déçus par leur vécu quotidien et qui finissent par opter pour l’émigration clandestine. Une situation de désespoir dont profitent des individus véreux qui ont étendu leurs tentacules dans cette localité à fort taux d’émigrés où des milliers de jeunes garçons et femmes ne jurent que pour et par l’émigration. Une aubaine pour les convoyeurs sans scrupule dont le seul souci est de se remplir les poches. La plupart du temps, il font naufrage au large des côtes de Lampedusa. S’ils ne sont pas simplement rattrapés et renvoyés chez eux.

«J’ai été transformée en esclave sexuelle pendant 8 mois»

Mamadou Sylla est un jeune électricien de 17 ans. A l’image de ses camarades, il a versé la somme de 500 000 FCFA à un passeur pour espérer rejoindre l’Europe. «Nous avons tous versé 500 000 FCFA à un passeur du nom de Fofana, originaire de Missirah, mais établi en Mauritanie. Nous étions 50 jeunes de Missirah à bord d’un bus en partance pour Dakar, avec des Maliens, Guinéens et autres. Ce sont nos parents qui nous ont donné cet argent. Certains ont vendu leur bétail, (vaches, chévres moutons…) pour nous payer le billet. Une fois en Mauritanie, nous travaillons pour pouvoir manger et continuer notre aventure», confie-t-il. En Mauritanie, c’est le début de la galère. Obligés de travailler comme des forçats pour se nourrir et payer le reste de la traversée, Mamadou et ses camarades ont sué sang et eau. «C’était difficile, mais c’était cela ou le retour. Et retourner au pays les bras ballants était inconcevable pour nous. Plutôt mourir.» M. Diaby, une rescapée de l’aventure clandestine, elle, aurait préféré y rester. La jeune femme, âgée de 32 ans et mère d’un petit garçon de 7 ans, a vécu l’enfer dans le désert du Sahara. Décidée à y retourner, malgré une première tentative ratée, la jeune femme a récidivé. La deuxième tentative, loin d’être la bonne, a viré au cauchemar. Transformée en esclave sexuelle, M. Diaby n’en est pas sortie indemne. Les yeux exorbités, elle souffle : «Ce furent les 8 mois les plus longs de ma vie. J’ai cru que je ne m’en sortirai jamais vivante.» Perdue dans le désert, M. Diaby est capturée par un nomade touareg prénommé Mouhamed. «Il était si énorme et si méchant», pleure-t-elle. Elle baisse le regard, prend une courte pause et reprend : «Il m’a dit : «Tu es noire, donc une esclave. Tu seras la mienne. Vous venez de l’enfer et je peux disposer de toi à ma guise.» Terrifiée, perdue, M. Diaby, sans aucune issue, se plie. Mais elle n’était pas au bout de sa peine. Non seulement, elle devait assouvir les besoins libidinaux de son ravisseur, mais aussi ceux de ses amis. «Chaque soir, Ahmed en faisait venir un nouveau et leur disaient : «C’est mon esclave, vous pouvez en disposer comme bon vous semble. Quand je me rebellais, il me battait, me torturait ou pis, me brûlait les cuisses avec des mégots de cigarettes. Je n’avais pas le droit de sortir et pour éviter que je m’échappe, il m’enchaînait. C’était horrible.» M. Diaby ne devra son salut qu’à sa bonne étoile. Un jour, alors que son ravisseur, repu et ivre, avait baissé la garde, M. Diaby put s’échapper. Son répit sera de courte durée. Kidnappée à nouveau par des trafiquants, elle sera emprisonnée en Algérie. Elle sera relâchée au bout de 6 mois de brimades, viols et tortures. Libérée du joug de ses ravisseurs, M. Diaby reviendra au bercail, traumatisée, avec la ferme résolution de ne plus reprendre la mer. Elle va vite déchanter. «Après près de deux ans passés loin des miens, j’étais si heureuse à l’idée de retrouver ma mère et mon fils, de rentrer enfin chez moi et de retrouver ma famille, mais leur accueil a été si glacial que j’aurai préféré ne pas rentrer.» La première flèche sera décochée par son frère. «Il a été le premier que j’ai appelé une fois au pays, mais sa réaction m’a terrifiée. Il m’a craché à la figure : «Tu n’aurais pas dû rentrer à la maison. Tu es la honte de la famille.» Après cet accueil, je n’ai pas eu le cœur d’aller voir ma mère». Ni celui de retenter l’aventure migratoire.

«Tu aurais mieux fait de rester là où tu étais ou y mourir»

Un rejet qui pousse la plupart des jeunes de Missirah à reprendre la mer. «C’est malheureux, mais c’est notre triste réalité», geint Lassana Fofana. Le jeune homme de 18 ans a pris la pirogue il y a deux mois, mais il ne verra pas les côtes espagnoles. Sauvé des eaux après son odyssée funeste, Lassana est rentré chez lui, déçu, mais avec l’espoir de se requinquer auprès des siens. Leur réaction le prendra de court. «Contrairement aux idées reçues, le retour des migrants, bien que salvateur dans un contexte marqué par l’esclavage des migrants, peut avoir un goût amer. Dans notre localité, les rapatriés sont souvent rejetés par les leurs. Parce que nous avons échoué, nous sommes considérés comme des loosers et des vauriens. Chez moi, l’accueil réservé par mon père a été très cruel. Je l’indisposais carrément et j’ai lu dans ses yeux un profond écœurement. Dès qu’il m’a vu, il m’a lancé en pleine figure : «Tu m’as déçu. Nous nous sommes saignés pour que tu partes et c’est ainsi que tu nous récompenses. Toutes nos économies ont été englouties dans les flots. Tu aurais mieux fait de rester là où tu étais ou y mourir car tu n’as rien apporté.» Désappointé, le moral dans les talons, Lassana n’a trouvé refuge qu’auprès de sa mère et au sein de leur mouvement de jeunes. Le seul endroit où il se sent, aujourd’hui, vraiment chez lui. En attendant de défier, à nouveau le grand large. «En retentant l’émigration clandestine, j’ai 50% de chance de mourir dans le désert ou dans l’Océan et 50% d’atteindre mon objectif. Or, en restant au pays, je suis presque sûr de mourir à petit feu.» S’il le dit !

SEKOU SYLLA, INSPECTEUR DE L’EDUCATION A LA RETRAITE : «Malgré l’échec et du fait de la pression familiale, ces jeunes sont tentés de récidiver, d’avis que la fin justifie les moyens»

«Les émigrés qui réussissent et qui reviennent au pays sont perçus comme des modèles de réussite. Ils circulent à bord de belles voitures, possèdent les plus grandes maisons. Ils font étalage de biens matériels acquis en Espagne ou en France. Ces signes extérieurs de richesse poussent de plus en plus de jeunes à vouloir s’expatrier. Dans nos sociétés, les émigrés sont portés en haute estime. Beaucoup de familles qui vivent décemment comptent des émigrés parmi leurs membres. Et cela a un impact très important sur la mentalité des jeunes et leur famille. Beaucoup pensent qu’il leur faut aller en Europe pour réussir dans la vie et la pression familiale n’est pas pour arranger les choses. Ces familles se mobilisent et se privent pour financer le voyage de leurs enfants. C’est pourquoi, lorsqu’ils échouent et reviennent au pays, ils sont considérés comme des moins que rien et constituent une honte. Donc, ces jeunes, malgré l’échec et du fait de la pression familiale, sont tentés de récidiver car pour eux, la fin justifie les moyens. L’Etat doit prendre des mesures pour pousser les jeunes vers l’agriculture, les doter de matériels agricoles et les accompagner. On parle de bilan macabre dans d’autres localités. A Missirah, plus de 25 jeunes sont morts en tentant d’émigrer. Les corps de plus d’une dizaine de ces jeunes n’ont pas été retrouvés.»

PAPE OUSSEYNOU DIALLO / lobs.sn /