[ÉDITO] Le Dieu de la Bible au féminin (Pierre Boubane)

 

 

La critique de certaines féministes est acerbe. La Bible est « Un livre masculin, écrit par des masculins, qui inculque des valeurs masculines ». Le féminisme émerge vers la fin du XIXe siècle. C’est un mouvement aussi vaste que complexe. Le but des féministes est de « définir, promouvoir et atteindre l’égalité politique, économique, culturelle, sociale et juridique entre les femmes et les hommes ». Car nos contemporains aspirent à des sociétés égalitaires où hommes et femmes sont égaux. La non-discrimination étant un droit fondamental pour toute personne. Dans les lignes qui suivent, nous nous concentrons sur l’engagement des féministes de culture judéo-chrétienne. Certaines d’entre elles s’appuient sur des versets bibliques pour défendre la thèse selon laquelle, la différence dans l’attribution des rôles sociaux entre l’homme et la femme n’est pas un projet divin à l’origine mais une « performance sociale ». Dans leur raisonnement le sexe de l’enfant ne conditionne pas sa future masculinité ou féminité. Il faut dès lors déconstruire la « Valence différentielle » qui fait de l’homme supérieur à la femme suggère, par exemple, l’anthropologue Françoise Héritier dans son livre Masculin, Féminin : La pensée de la différence, Paris, Odile Jacob, 2002, p. 229.

Le premier verset biblique auquel font référence les féministes est tiré du livre de la Genèse : « Homme et femme, Il les créa à son image » (Genèse chapitre 1, verset 27). Le deuxième est extrait du Nouveau Testament, plus précisément de la Lettre de Saint Paul aux Galates chapitre 3, verset 28. Nous lisons : « Il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus » (Ga 3, 28). L’enseignement de Jésus-Christ est que les différences n’ont aucune importance, pensent ces féministes. Car devant Dieu nous sommes enfants bien-aimés. Et quand les temps seront accomplis, nous nous présenterons devant le Dieu créateur comme des enfants sans différenciation sexuelle. Surtout, chacun sera jugé sur le degré d’amour qu’il aura vécu dans cette longue excursion que nous appelons la vie.

Aussi, selon ces féministes et leurs soutiens, si Dieu voulait établir une différence biologique (sexe), psychologique (orientation sexuelle) et de genre (construction sociale) entre l’homme et la femme, Il l’aurait fait depuis le Premier Chapitre du livre des origines (Genèse). Or la prise de conscience de la différence entre l’homme et la femme n’interviendrait qu’au chapitre 3 du livre de la Genèse (Gn 3, 6-17), estiment les féministes. En effet, pour avoir brisé l’ordre établi le Dieu créateur les punit à sa façon. « Le Seigneur Dieu dit à la femme : (…) c’est dans la peine que tu enfanteras des fils. Ton désir te portera vers ton mari, et celui-ci dominera sur toi » (Gn 1, 16). Ensuite, le Seigneur Dieu dit à l’homme : « Parce que tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as mangé le fruit de l’arbre que je t’avais interdit de manger : maudit soit le sol à cause de toi ! C’est dans la peine que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie » (Gn 1, 17).

Les féministes et leurs soutiens en concluent donc que c’est avec l’irruption du péché et la sanction attribuée à chacun, selon son sexe, qu’apparaît une forme de différence entre les deux créatures. Et c’est Dieu qui établit cette différence dans les sanctions qu’Il admoneste à ses créatures. Dieu a-t-il réellement permis à l’homme de dominer la femme ? En tout état de cause, pris à la lettre le verbe « dominer » suggère à l’homme de soumettre sa compagne. Ce verbe serait et ferait l’objet de toute sorte d’interprétations. Il serait même à l’origine de la souffrance des femmes. À partir de ces citations, la discrimination faite aux femmes semble trouver une justification scripturaire. Les études historiques, contextuelles et culturelles des textes bibliques semblent le confirmer. L’histoire d’Israël biblique est conduite par des hommes. La femme fut marginalisée dans la société juive. Même s’il y eut des femmes comme Ruth (cf. livre de Ruth chapitre 1-4) ou encore Tamar (cf. Genèse chapitre 38 verset 1 à 30)  qui firent la même expérience qu’Abraham celle de quitter leur pays par vocation. Chacune eut besoin d’un homme pour protection. Aujourd’hui, seule doit être retenue, estiment les féministes, la différence biologique entre l’homme et la femme. Les autres différences ayant été construites par des sociétés patriarcales fortement influencées par le judaïsme.

Personnellement nous constatons que la discrimination faite aux femmes sur l’attribution des fonctions est constitutive de l’histoire de l’humanité. Le phénomène a été favorisé par des structures à la fois sociales, politiques et religieuses. Pendant longtemps ces structures imposent aux femmes des fonctions sociales qualifiées aujourd’hui de secondaires. Ainsi, au nom de la solidarité humaine, d’une manière ou d’une autre, nous sommes tous responsables mais pas forcément coupables de cette injustice qui marque notre histoire. Capables du pire les hommes sont aussi capables du meilleur. Heureusement d’ailleurs ! Leur grandeur réside dans la capacité à reconnaître leurs erreurs individuelles et collectives. Cette grandeur, c’est aussi celle de se rectifier pour prendre un nouveau départ. Les hommes ont, en effet, cette capacité d’initier quelque chose de neuf. C’est dans cette capacité que repose la possibilité qu’advienne un monde nouveau. Il faut encourager la conversion des mentalités et des comportements pour plus de respect des femmes. Cela passe par une éducation qui insiste sur la formation des consciences notamment celles des nouvelles générations. Il s’agit de leur transmettre des vertus (habitus), c’est-à-dire une manière d’être et de faire que toute personne peut être en mesure de “cultiver” en elle sans une contrainte extérieure. Il est plus facile d’obéir à une loi bonne qui vient de l’intérieur de soi que d’obéir à une loi coercitive imposée de l’extérieur. Cela signifie qu’il nous faut renaître. Car la naissance, comme l’a écrit la philosophe Hannah Arendt, marque « La venue d’hommes nouveaux sur qui on peut compter » (H. Arendt, Condition de l’homme moderne, 1958). Les nouveaux sont toujours porteurs d’espoir.

A juste titre, le religieux dominicain belge, Ignace Berten fait remarquer ceci : « Le souci d’égalité fait qu’il n’est plus possible de penser le féminin et le masculin dans ce qu’ils ont de spécifiques : ils sont exclus du champ des pensables » (I. Berten, La théorie du genre, 2018, p.79). Pour notre part, nous regrettons que la question du genre soit abordée en termes conflictuels dans certaines sociétés modernes et démocratiques. Aujourd’hui l’essentiel est de prendre conscience de la responsabilité qui incombe à nous tous. Et plus particulièrement aux institutions scolaires, académiques, confessionnelles et universitaires qui doivent former des hommes nouveaux qui soient capable de panser les blessures du passé et surtout de penser le futur.

Du reste, le verset 27 du Chapitre Premier du livre de la Genèse : « Homme et femme, Il les créa à son image » (Gn 1, 27) nous inspire ce commentaire : les deux créatures sont dans une relation toujours en devenir dans la complémentarité. Car Dieu crée Ève la mère de tous les humains à partir de la côte de l’homme, c’est-à-dire d’Adam (Adam mot dont le sens est le Terrestre, voir 1 Corinthiens 15,47). C’est dans la complémentarité que la vie peut apparaître. Dieu étant lui-même cette complémentarité. Les débats au sujet des mouvements féministes vont dans tous les sens. Enfin, notre conviction personnelle est qu’homme et femme ont leur sens en Dieu quand il vient les visiter. Oracle du Seigneur Dieu : «Comme une mère console son enfant, ainsi je te consolerai » (Isaïe 66, 13). Au demeurant, les voix des féministes 2.0 nous invitant à davantage apprécier le côté féminin du Dieu de la Bible nous interpellent tous.

Pierre BOUBANE, Université Saint Joseph de Beyrouth (Liban) / Tambacounda.info /