Pakistan: Le trafic de faucons boosté par la demande des pays du Golfe

 

 

Muhammad Rafiq était adolescent quand il a appris à attraper au Pakistan des oiseaux vivants. Un talent qui a fait sa fortune, car la demande en faucons des pays du Golfe ne s’est jamais démentie, même celle pour les espèces menacées.

Un seul de ces rapaces peut se vendre plusieurs dizaines de milliers de dollars sur le marché noir. Grâce à cette manne, Muhammad Rafiq a pu faire rénover sa maison cette année.

«Chaque saison, des vendeurs de Karachi laissent leur contact et nous les rappelons si nous attrapons quelque chose», explique le «chasseur» de 32 ans.

Muhammad Rafiq, qui vit dans un village voisin de la capitale économique du Pakistan, sur le littoral, a récemment capturé un faucon pèlerin au terme d’une semaine de traque. «J’avais tellement besoin de cet argent», explique-t-il. «Et Dieu m’a entendu.»

Voilà des années que le Pakistan est le centre névralgique du commerce des faucons, d’une part en tant que vivier pour se procurer ces oiseaux, et de l’autre en tant que lieu où aller chasser avec son rapace.

Capturer des faucons est officiellement interdit, mais la demande en rapaces augmente, selon la branche pakistanaise du Fonds mondial pour la nature (WWF).

L’organisation estime que 700 faucons ont été illégalement capturés et sortis du pays en 2020, généralement par des réseaux du crime organisé.

Les clients viennent essentiellement de pays arabes du Golfe qui ont une tradition ancienne de fauconnerie.

«Les maquereaux des Arabes»

Certains traitent les oiseaux «comme leurs propres enfants», observe Margit Muller, directrice de la clinique pour faucons d’Abou Dhabi, qui soigne 11’000 oiseaux par an, un chiffre qui a plus que doublé en 10 ans.

Certains fauconniers recherchent les oiseaux capturés dans la nature plutôt que ceux élevés en captivité car ils pensent qu’ils sont de meilleurs chasseurs, une conviction qui n’est cependant étayée par aucune preuve scientifique.

Beaucoup d’oiseaux sont ensuite amenés chaque hiver à revenir dans les déserts pakistanais avec des riches princes du Golfe dans le cadre de vastes chasses à l’outarde houbara, pourtant rangée parmi les espèces menacées.

Voilà des décennies que les Etats du Golfe accordent au Pakistan des prêts très généreux, en attendant notamment d’Islamabad qu’il continue à les laisser chasser dans les déserts pakistanais.

En décembre, le puissant prince héritier Mohammed ben Salmane et deux autres membres de la monarchie saoudienne ont reçu du gouvernement du Premier ministre Imran Khan l’autorisation de venir chasser l’outarde, une décision typique du soft power pakistanais que M. Khan fustigeait quand il était dans l’opposition.

Il arrive aussi qu’Islamabad offre des faucons aux dirigeants étrangers lors de visites.

«Nos dirigeants sont les maquereaux des Arabes», dénonce sous couvert de l’anonymat un responsable du gouvernement pakistanais.

Faucon contre moto

Sur pressions de l’exécutif, la Cour suprême avait en 2016 annulé l’interdiction de la chasse à l’outarde interdite quelques mois plus tôt.

Des organisations de protection de la faune sauvage ont saisi la Haute Cour d’Islamabad d’un recours pour réguler l’exportation de faucons.

Chaque année, les faucons migrent entre la Sibérie et des climats plus chauds l’hiver, comme le Sud du Pakistan. Et c’est à ce moment que des trafiquants se rendent dans les villages des bords de la mer d’Arabie pour inciter les pêcheurs à quitter leurs bateaux pour aller capturer ces rapaces.

«Nous leur donnons des avances, nous envoyons de la nourriture à leurs familles, et s’ils attrapent un oiseau précieux, nos pouvons très bien l’échanger contre des motos», a déclaré à l’AFP, sous couvert de l’anonymat, un de ces trafiquants.

Les techniques de capture varient, certains utilisent des filets, de la colle ou, plus généralement, emploient des oiseaux plus petits comme appâts.

Les braconniers recherchent en particulier le faucon pèlerin, dont les populations restent stables, et le faucon sacre, qui est menacé.

Bob Dalton, qui milite de longue date pour la protection des faucons, a participé à la prise en charge de dizaines de rapaces qui avaient été saisis par les autorités pakistanaises en octobre, et dont la valeur à la revente cumulée dépassait le million de dollars.

«Le commerce illégal se développe, il y a de plus en plus d’argent qui est dépensé», confie-t-il à l’AFP. «A l’exception d’une ou deux espèces, la plupart des populations de faucons sont en déclin, ou sur le point de l’être».

(AFP)