Nouvelle politique de confidentialité de WhatsApp : Les partis politiques en danger

 

 

Le géant américain WhatsApp a annoncé à ses deux milliards d’utilisateurs ses nouvelles règles.  Prévue pour le 8 février, puis repoussée au 15 mai, l’application de messagerie compte partager les données de ses utilisateurs à Facebook. Un coup sur les règles de confidentialité qui peut être lourd de conséquences pour les partis politiques sénégalais, qui fonctionnent tous avec des groupes WhatsApp.

On ne peut pas la louper. Diffusées à grand renfort médiatique, l’annonce des nouvelles règles de confidentialité de WhatsApp – dont l’entrée en vigueur était prévue le 8 février avant d’être différée au 15 mai prochain – a eu un retentissement mondial. Aux Etats-Unis, sur la terre des géants du Web comme au Sénégal où le niveau de connexion Internet est des plus élevés dans la sous-région ouest-africaine, la décision a suscité un tollé chez les utilisateurs de l’application, qui craignent que les données ne soient transmises à la maison-mère. A Facebook, plus exactement, dont le niveau de sécurité laisse à désirer. Moyen rapide d’interaction et de partage fiable de données, WhatsApp est devenue au Sénégal, en un laps de temps, un outil incontournable de travail collaboratif entre collègues et professionnels. Mais aussi et surtout entre responsables politiques ou militants qui se partagent des données et interagissent à travers des groupes. Un mode de communication très prisé et très huilé qui pourrait, désormais, engendrer de fâcheuses conséquences pour les formations politiques dont les données personnelles de leurs membres peuvent être utilisées à des fins illicites. Ou même permettre au parti au Pouvoir, grâce à des hackers, d’identifier des soutiens à l’opposition et de leur mener la guerre.

«Réfléchir sur comment améliorer les choses»

Porte-parole de Pastef/ Les patriotes, le parti de Ousmane Sonko, El Malick Ndiaye est conscient du danger qui pourrait provenir de la nouvelle politique de confidentialité de WhatsApp. «Nous continuons à utiliser WhatsApp comme tout le monde. Nous ne nous sommes pas encore réunis pour évoquer ce sujet parce que nous avons différents canaux de communication», dit-il. Mais cela ne veut pas dire pour autant que cette nouvelle politique de la messagerie instantanée ne sera pas prise en compte par les Digital-Managers de la formation politique. «Le moment venu, enchaîne-t-il, nous verrons comment gérer tout cela. Nous analyserons tout cela pour voir si nous allons continuer à utiliser WhatsApp ou si nous allons trouver une alternative. L’important, c’est de pouvoir s’adapter à toute nouvelle donne.» Laquelle ? Une question de forme sur laquelle El Malick Ndiaye ne souhaite pas s’épancher. «La forme en dit long sur le fond. En matière de communication interne, c’est purement privé. Je ne vais pas épiloguer sur comment nous allons assurer cette confidentialité. Ce que je peux vous dire, c’est que nos interattractions nécessitent une certaine confidentialité que nous gérons bien à notre manière. Et nous nous adaptons à toute situation. Tout parti politique a sa façon de gérer sa communication interne à travers WhatsApp ou d’autres voies de communication. Le moment venu, nous verrons ce que nous allons faire. Nous laisserons les professionnels de la communication digitale gérer cela. D’ailleurs, nos Digital-Managers sont toujours en train de réfléchir sur comment améliorer les choses. C’est un travail continue qui se fait en interne», fait savoir le porte-parole de Pastef.

«C’est très sensible»

Au sein du parti «Rewmi», on apprécie également l’enjeu des modifications annoncées par WhatsApp. Mais pour le Dr Babacar Mar, Secrétaire national chargé de la communication digitale du parti «Rewmi», il n’y a pas lieu de paniquer. «Peut-être que WhatsApp va trouver des créneaux de protection par rapport à ces données, parce que c’est très sensible, explique-t-il. La communication digitale est devenue un outil de travail pour toutes les organisations. Le digital est incontournable. Au sein de notre parti, nous n’avons pas soulevé la question. Nous allons écouter WhatsApp pour voir au fond ce qui se fera dans la mesure où la plateforme a déjà différé la première date de couplage des données personnelles. Et s’il y a une question à traiter, elle sera discutée en interne et chacun donnera son avis. Je reste toutefois optimiste et je continue de croire que WhatsApp va trouver des créneaux pour protéger les données personnelles. Nous écoutons pour voir l’attitude à adopter.» Mais il ne faut pas compter sur ce responsable digital du parti pour avoir une idée de l’alternative à WhatsApp qui pourrait être utilisé par «Rewmi». «La communication digitale, ce sont des stratégies que nous ne pouvons dévoiler», lance-t-il, taquin.

«On devra faire recours à une autre plateforme»

Alioune Badara Diouck, porte-parole adjoint de l’Alliance des forces de progrès, lui, compte saisir le président de la commission afin de mener des discussions sur la question. «Nous avons une commission communication et elle ne s’est pas encore réunie pour apprécier cette nouvelle donne. Je vais saisir le président de la commission pour qu’elle puisse se réunir afin de voir les différents mécanismes qui s’offrent à nous, pour pouvoir continuer la communication du parti en ce temps de pandémie. Nous avions opté de communiquer à travers WhatsApp pour la confidentialité qu’elle offrait. Il y avait plus de confidentialité que Facebook. WhatsApp nous permet de toucher beaucoup de monde en un temps record. Entre responsables des départements, des régions et de la diaspora, nous pouvons avoir une réaction très rapide sur un sujet donné. Maintenant, si WhatsApp partage les données avec Facebook, on devra faire recours à une autre plateforme pour continuer la communication interne du parti. Surtout que nous disposons d’un groupe WhatsApp qui regroupe les membres du Secrétariat exécutif politiques et les différents responsables départementaux ou régionaux. Nous partageons des informations sur une plateforme où chacun peut réagir sur un sujet donné ou des préoccupations du parti. Des informations qui engagent directement le parti. Comme WhatsApp a décidé de changer les règles du jeu, nous devons nous y adapter jusqu’à retrouver une autre plateforme qui permettrait de sécuriser nos échanges. Nous n’avons pas encore trouvé une plateforme de partage entre les responsables nationaux et ceux qui se trouvent dans la diaspora, surtout en cette période de pandémie où il est difficile de réunir le Bureau politique ou bien le Secrétariat exécutif national. Cela pose problème. Il y a des choses que nous partageons uniquement au niveau de cette plateforme», explique Alioune Badara Diouck.
Même si WhatsApp a différé l’échéance reprogrammée pour le 15 mai afin de limiter la saignée vers d’autres plateformes telles que «Signal» principalement et «Télégramme» pour colmater temporairement la brèche, certains partis politiques sénégalais pensent déjà migrer vers d’autres applications pour sécuriser leurs données. «Si la confidentialité n’est plus assurée avec WhatsApp et que nous trouvons une nouvelle plateforme qui pourrait permettre nos membres de pouvoir échanger sur les préoccupations du parti, nous allons probablement choisir cette alternative», souligne Alioune Badara Diouck.

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L’application Whats’App a annoncé le changement de ses conditions de confidentialité et évoque un partage de données avec Facebook. Quels sont les dangers de ces nouvelles règles pour les formations politiques ?
Les politiques qui ont choisi Facebook ou Whats’App pour faire un travail de communication, n’ont pas compris les contours et paramètres de la confidentialité de la vie privée. Ils ne sont pas les champions de la confidentialité. Whats’App n’a fait que rendre public et officialiser ce qu’elle faisait déjà, c’est-à-dire exploiter les données des utilisateurs. Whats’App a publié la mise à jour de sa politique de confidentialité juste pour se dédouaner. Son annonce a éclairé la lanterne des utilisateurs qui ont compris, dans cette communication, qu’il n’y avait pas assez de sécurité. Le premier danger, c’est la perte de la confidentialité. Rien n’est confidentiel, tout est accessible à un tiers, à des organisations marketing et commerciales et d’autres sociétés. L’autre conséquence est liée à l’activité politique. Certains initiés ont la possibilité d’accéder à ces données et de les utiliser contre ces entités. C’est ce qui s’est passé aux Etats-Unis avec le Cambridge Analytica qui a utilisé les données rendues accessibles par Facebook à des fins politiques, car ils ont compris quelles étaient les orientations politiques des Américains, leurs positions, leurs fréquentations et de faire le portrait-robot d’un partisan, d’un non aligné ou d’un opposant au pouvoir. Après, ils ont organisé un contenu ciblé pour ces personnes-là. La troisième conséquence, c’est que si ces données ne sont pas stockées et gérées par ces applications de façon sécurisée, toute personne qui a la possibilité de hacker et d’interférer dans des communications électroniques en passant par les réseaux pourrait les intercepter. Et elles pourraient être utilisées contre ces personnes. Les conséquences, il y en a. Je voulais insister sur le fait qu’à côté de chaque plateforme, il y a d’autres qui offrent le même service et qui proposent plus de sécurité.

Lesquelles ?
Il faut utiliser d’autres plateformes que celles qui ne sont pas sécurisées. Mais une fois qu’on valide les termes d’utilisation et conditions de confidentialité, on les a signés. On n’a plus la possibilité de porter plainte ou de faire des recours parce qu’on a autorisé la plateforme d’accéder à nos données. La voie de recours dans ce cas, c’est d’utiliser des plateformes qui sont plus sécurisées et qui permettent d’avoir cette confidentialité de la vie privée. Ces plateformes existent, seulement, dans nos usages, on préfère souvent les outils les plus connus, les plus célèbres et les plus utilisés, parce que tout le monde y est. Mais à côté, il y a d’autres outils qui font mieux, qui proposent plus et qui ne sont peut-être pas connus du grand public.

Comme Signal par exemple ?
Signal garantit la sécurité en chiffrant les données qui sont partagées en essayant de rester le plus neutre possible. L’application ne vous connaît pas. Elle ne connaît qu’un numéro de téléphone. Et ce numéro est appliqué à une clé publique et une clé privée. Ce numéro de téléphone ne peut pas envoyer d’informations à Signal et Signal ne peut pas savoir ce qu’on fait dans sa plateforme. La différence, c’est qu’avec Signal, on peut donner une durée de vie au contenu que nous envoyons et elle nous permet d’établir des communications cryptées. Le grand public a commencé à s’intéresser à cette application et à l’utiliser. Par contre, le danger, c’est de penser que cela règle le problème de la sécurité et de l’utiliser comme on faisait avec Whats’App, sans essayer d’en savoir plus.

Comment gérer la migration vers d’autres plateformes ?
Ces groupes peuvent utiliser une méthode assez rapide, en imposant l’outil et exiger son usage à tous les membres. Cela va changer les habitudes certes. Il y en a qui vont rater des communiqués, d’autres des messages importants. Mais cela permettra de faire rapidement la migration. Il peut y avoir aussi des pertes, des découragements. Certains vont quitter, d’autres ne vont plus interagir. D’autres vont penser qu’on leur impose juste un outil par choix et pas forcément par nécessité. Il y a des risques, surtout pour les mouvements qui ont énormément de personnes connectées. Whats’App, au delà d’être un outil de communication directe entre deux personnes, c’est un outil de travail collaboratif où on crée des groupes, organise des réunions. Si, aujourd’hui, ils font la migration vers une autre application et connaissent une baisse du rythme de participation et d’intervention, cela pourrait porter préjudice aux activités du mouvement ou parti politique.

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