France : «Emprise» islamiste dans les écoles, prof menacé: la polémique enfle

 

Les sorties médiatiques répétées d’un professeur de la banlieue parisienne, qui dit être attaqué pour avoir pris la défense de l’enseignant Samuel Paty assassiné en octobre par un jihadiste, ont rallumé cette semaine la polémique sur le poids des islamistes et pris un tour très politique.

«Foyer de jihadistes»

Cheveux longs et verbe haut, Didier Lemaire enseigne depuis vingt ans la philosophie dans un lycée de Trappes, une ville d’une trentaine de milliers d’habitants qui s’enorgueillit du succès de ses enfants prodiges -l’acteur Omar Sy, l’humoriste Jamel Debbouze ou le footballeur Nicolas Anelka.

Mais le départ de dizaines de ses jeunes vers la Syrie lui vaut aussi une réputation de «foyer de jihadistes».

La notoriété de Didier Lemaire dépasse les grilles de son lycée en novembre, lorsque l’hebdomadaire «L’Obs» publie une lettre ouverte que ce professeur a écrite afin de dénoncer «la progression d’une emprise communautaire toujours plus forte» à Trappes et, plus généralement, «l’absence de stratégie de l’Etat pour vaincre l’islamisme».

Il réapparaît il y a quelques jours sur les plateaux de télévision au moment où les députés débattent d’un projet de loi sur le «séparatisme» ayant notamment pour objectif de renforcer l’arsenal contre l’islamisme.

Même s’il concède ne pas «vivre dans la peur», Didier Lemaire affirme être la cible de «propos haineux» et d’«attaques» depuis l’assassinat de Samuel Paty.

«On nous a signalé des inquiétudes vis-à-vis du professeur à l’encontre duquel des menaces auraient été proférées», confie, lundi, à l’AFP, le parquet de Versailles dont dépend Trappes et qui a ouvert une enquête à ce sujet.

Devant son lycée placé sous la protection de la police, les avis sont partagés.

«Un bon prof», juge une élève sous couvert d’anonymat. «Il est sympa, gentil, normal quoi», renchérit une autre, pas franchement étonnée par ses propos : «il nous avait déjà donné son avis sur les islamistes». «Je ne suis pas d’accord avec lui quand il dit qu’il ne se sent pas en sécurité à Trappes», lâche à l’inverse Joanna, 18 ans. «C’est ridicule», s’indigne même Yasmine.

«Huile sur le feu»

«On ne peut pas nier le phénomène de rupture et de radicalisation dans certains quartiers», dit l’islamologue franco-marocain Rachid Benzine, qui a grandi à Trappes, mais «cela reste une petite partie de la ville».

Pour lui, «il y a un travail de fond de la mairie, des associations, un travail de lutte contre le repli identitaire. Il faut nuancer» le discours de Didier Lemaire.

Le maire de Trappes Ali Rabeh, quant à lui, rejette viscéralement les propos de ce dernier.

Ancien membre du Parti socialiste ayant rejoint le mouvement Génération.s de Benoît Hamon, l’ex-candidat socialiste à la présidentielle de 2017, il dénonce à l’AFP les «mensonges» et les «contre-vérités» du professeur.

Le préfet Jean-Jacques Brot, le représentant local de l’Etat, confie à son tour au quotidien «Le Monde» qu’il est «inquiet» des «outrances et de «certaines inexactitudes» de Didier Lemaire qui «met de l’huile sur le feu», même si ses propos «ont fait l’objet d’interprétations, pour certaines malveillantes».

Le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin entre à son tour dans l’arène en proposant une «protection rapprochée» à cet enseignant. «L’Etat est au rendez-vous de sa protection», lance-t-il sur Twitter à l’adresse de tous ceux qui reprochent au gouvernement d’avoir abandonné l’enseignant.

Le ton monte encore lorsque le maire distribue jeudi une lettre devant le lycée pour mettre en cause le bien-fondé des paroles du professeur et apporter son «soutien» aux élèves «heurtés, blessés par la violence» de la polémique.

«Instrumentalisation»

Le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer s’en offusque et accuse Ali Rabeh d’«intrusion» dans le lycée, envisageant même un temps, selon une source proche du dossier, de porter plainte contre lui.

En soirée, l’affaire est abordée au cours d’un débat télévisé entre Gérald Darmanin et Marine Le Pen, la présidente du Rassemblement national (extrême droite) dont le numéro deux, Jordan Bardella, se rend le lendemain à Trappes. «Il y a dans notre pays de plus en plus de petites républiques islamistes», y assure-t-il, «nos élus ferment les yeux».

Valérie Pécresse (droite), la présidente de la région Ile-de-France où est située Trappes, dénonce alors à son tour «l’intrusion» du maire dans le lycée, exigeant sa «révocation».

Ali Rabeh l’accuse d’»instrumentaliser cette affaire à des fins politiciennes» pour soutenir son «poulain» Othman Nasrou, candidat malheureux contre lui à l’élection municipale de 2020 qui vient d’être annulée par la justice administrative. M. Rabeh a fait appel.

Le maire affirme être victime depuis le début de l’affaire d’«insultes racistes» et déclare avoir porté plainte pour des «menaces de mort».

Une enquête a en conséquence été ouverte par la justice et l’élu bénéficie dorénavant d’une protection policière. Comme Didier Lemaire.

(AFP)