GRANDES GUEULES

 

Les grandes gueules envahissent les médias. Elles tiennent l’opinion en respect. Et se pavanent avec vanité sur toutes les scènes de l’espace sociopolitique. Ne doutant de rien, parce qu’orgueilleux, ces gens de même acabit, se sentent partout « chez eux », maniant l’outrance à l’excès et faisant de la démesure un code de conduite que rien, pour le moment, ne vient contrarier, ni altérer.

Espèce en voie d’extension, les grandes gueules se font les porte-voix de toutes les causes, de tous les combats en s’offrant les réseaux sociaux ou des chaînes de télévisions comme moyens d’amplification de leurs rageuses vociférations. Peu importe qu’ils en maîtrisent les règles, l’essentiel pour ces types est de paraître quitte à être vaseux dans le but ultime de monopoliser l’espace médiatique.

Le fait n’est pas nouveau. Ce qui l’est en revanche c’est son ampleur. Laquelle, devenue un phénomène, traverse les médias comme une lame de fond sans susciter de part et d’autre des doutes ou des craintes. A l’image des éléphants dans un magasin de porcelaine, ils officient sur les plateaux en mandarins de la parole qu’ils arrachent pour la garder ou qu’ils polluent en la couvrant d’apostrophes, d’algarades ou d’onomatopées. Ils ne cherchent pas à avoir raison mais à effrayer plutôt en semant la terreur verbale, technique redoutable pour faire renoncer à autrui son temps d’antenne ou à le réduire au silence pour déséquilibrer le débat. Débat ?

L’agitation qui est l’ADN des grandes gueules s’oppose à la tempérance, à la retenue, indispensables à la sérénité des joutes. Mais, depuis longtemps la contradiction a quitté la scène politico-médiatique sur la pointe des pieds, cédant le pas à la virulence des propos, à l’incontinence, aux altercations impétueuses. L’injure et l’insinuation rythment les échanges devant des modérateurs impuissants pour recadrer, incapables de redresser la trajectoire des discussions en cas de nécessité absolue. Un comble quand des journalistes courbent l’échine devant ces croisés de la parole libre.

Et pourtant ils l’accaparent en niant la liberté d’expression qui est un attribut de la presse libre. L’hypocrisie a de beaux jours devant elle puisque des franges de l’opinion plébiscitent ces imprécateurs du soir. Une fois les projecteurs éteints, ils courent vers d’autres scènes, cette fois sous les néons, avec le verbiage en moins mais pour plastronner et sentir le retour des impactés de leurs formules magiques.

Partout, ils sont bien en cours. Ils signent des autographes, s’échangent des cartes de visites et se prennent en selfies avec des followers ébaubis. Reconnaissables dans les cérémonies par leur allure ostentatoire, ils roulent des mécaniques et reniflent le charme qu’ils opèrent ou diffusent. Malheur aux indifférents ! Vite repérés dans l’assistance, ces derniers passent de mauvais quarts d’heures, victimes des paroles à la cantonade. Certains s’éclipsent aussi vite qu’ils étaient arrivés, d’autres, le nez sur le guidon, essuient des revers de fortune et laissent passer l’orage.

Au bûcher des vanités, les grandes gueules n’ont pas leurs pareils. Assurément fâchés avec la réalité, donc la vérité, ils s’épuisent à ériger le mensonge, donc le déni, au rang des beaux-arts. Ils tiennent la vedette parce que les réseaux sociaux accentuent leur rôle d’instigateurs d’autres pratiques que la morale réprouve. Ils n’aiment pas le temps long, propice à la construction. La déconstruction, sûrement. Adeptes de l’esbroufe, ils prétendent incarner l’irrévérence et la prétention sans aucune base de légitimation toutefois. Mais les amitiés tissées ici ou là les confortent dans la voie empruntée.

Côté cour, ils sont introduits. Côté jardin, ils sont adoubés. Sourires, agapes, chaudes poignées de mains et tapes à l’épaule accréditent une proximité de façade pour valider un statu de VIP ou s’acheter une renommée socialement payante. Les flashes crépitent. Les sites, les youtubers et les photographes se bousculent sur leur passage. Sur les plateaux de télévision, les amabilités circonstanciées servent d’immunité avant le déclenchement nourri de salves de diatribes distribuées en-veux-tu-en-voilà à de paisibles citoyens voulant vivre heureux et cachés. L’absurde procès qui leur est intenté à chaque fois crée une accoutumance dont raffolent des Sénégalais.

On se délecte des histoires qui se racontent sans consistance, sans épaisseur. Des récits abscons dépourvus de liens et de liant, circulent abondamment. Le seul verbe conjugué n’est autre que : partager. A l’infinitif, pour faire court ! Comment ne pas s’inquiéter de ces dérives quand l’ivresse s’empare de toutes les couches sociales et entraîne une confusion difficile à démêler ? Pourquoi laisser ces pratiques répréhensibles prospérer ? A l’école, à l’Université, dans les foyers religieux, dans l’entreprise, les usines, les marchés, les partis, les syndicats, les morgues et les cimetières, la médisance et la méchanceté s’étalent au grand jour.

Le désordre du microcosme atteint des proportions inquiétantes. Qui y a intérêt ? L’opinion adore les informations invraisemblables. Elle goûte peu aux démentis quand c’est justifié, préférant toujours s’accrocher à la rumeur, à l’ivraie. Cette même opinion, aveuglée par l’illusion, passe outre les excuses publiques des supports épinglés. Un coin de voile se lève sur une affaire ténébreuse, un contre-feu s’allume aussitôt pour brouiller les repères. S’ensuivent des affaires qui enflamment la médiasphère dans le but évident d’étouffer la bonne graine. Les réseaux sociaux trouvent toujours de bruyants relais pour condamner ou sauver des « soldats égarés ».

Quand certains crient leur indignation, d’autres savourent leur victoire en se frottant les mains. Les médias, au milieu de ces bras de fer, voient leur pouvoir d’attraction s’effilocher. Les bruits des coups de gueules évacuent les préoccupations en ramenant tout à une gestion de l’immédiat. Plus d’un s’alarment de l’affaiblissement du jeu politique et de l’appauvrissement du débat démocratique dans notre pays. Il s’y ajoute un furtif rejet d’une partie de la classe politique manquant de cohérence et de vision pour ne s’agripper qu’aux échéances électorales en vue.

Le pays se trouve ainsi pris dans un dilemme : le socle démocratique repose sur le pluralisme des opinions, mais le libre accès aux moyens d’expression l’anéantit. Tout le monde revendique le droit à la parole. Et l’obtient. Elle perd de son pouvoir de persuasion et ouvre un large boulevard d’aventures. Faudra-t-il, un jour, extraire la mauvaise graine ? Comment sortir de ce cercle vicieux et pernicieux à la fois ? C’est à croire que plus personne ne défend la démocratie. A moins d’être un Mohican, le dernier de surcroît…

Les franchises universitaires, ça vous dit ? Revendiquée de longue, elle est obtenue au prix d’un combat héroïque et épique au sein de l’Université de Dakar devenue Université Cheikh Anta Diop. La police, même en civil ne franchit pas le Rubicon. Zone de non droit ? Les étudiants, cessant d’être armés de la pensée de Mao, de Lénine, de Marx ou de Hodja, trouvent quand même moyen de ranger sous les matelas quantité de coupe-coupe, de coutelas et de machettes. Sommes-nous au PK5, à Kolwézi ou dans le repli des Banyamulenge ? Le Pharaon dort. Le campus cesse-t-il d’être ce temple de savoir ? Bien entendu quand Pawlish entre, sort Souleymane Bachir Diagne ! Par ici la porte…

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