ENQUÊTE Lutte contre le trafic de bois en Casamance : LA VENN BATAILLE

 

Malgré la suspension des permis de coupe, les trafiquants parviennent à se frayer un chemin pour transporter le bois rose en Gambie. A Médina Yoro Foulah, Bounkiling, Kolda, Sédhiou, Ziguinchor et Bignona, le dispositif des Forces de défense et de sécurité n’a pas réussi à freiner le trafic. Ce pillage organisé courrouce les défenseurs de l’environnement. Le Quotidien, en collaboration avec la Fondation Heinrich Boll Sénégal, a mené l’enquête dans les régions de la Casamance et en Gambie.

Sur la piste latérite, qui mène à Médina Yoro Foulah, les arbres s’affaissent sous l’assaut des coupeurs. En quittant Kolda, il faut faire 80 km à moto à partir de Kolda pour parcourir cette forêt où ils dictent leur loi. La végétation s’efface peu à peu pour laisser place au désert. Cette masse poussiéreuse obstrue la vue au milieu de la broussaille de ce département de la région de Kolda. Enfouie dans la Casamance, Médina Yoro Foulah est une ville rurale, implantée au cœur d’une jungle. Mais, elle incarne l’élégance de la région naturelle du Sud du Sénégal. Dans ces forêts cohabitent une multitude d’espèces, qui risquent de perdre leur habitat naturel. De Bounkiling à Sédhiou en passant par Ziguinchor et Bignona, le constat est triste : les arbres implantés, qui poussent depuis au moins 50 ans, sont abattus. Les feuilles de bois mort jonchent le sol noirci par une exploitation du charbon. Les feux de brousse laissent échapper une fumée blanche qui se propage dans tous les coins de la forêt. Sec et accablant, le temps annonce la canicule en ce mois de février. Le changement climatique serait en train de faire ses effets à cause de la course effrénée au bois rose. Médina Yoro Foulah perd sa verdure, des hameaux servent d’accueil aux trafiquants. Dans les vastes formations de steppe de la région, il y a du maïs séché, un tapis herbacé jauni, à cause de la chaleur excessive qui sévit depuis février. La diversité d’espèces végétales et fauniques constituant le charme de ces forêts. «Avant de venir, les Gambiens se renseignent si le bois recherché -bois rose- existe dans la zone. Ils vont chez le chef de village appelé «jarga» pour lui donner 300 000 francs ou 500 000 francs Cfa. Ensuite, ils vont aller voir le maire qui va leur donner son consentement. Ils coupent tout ce que bon leur semble pour trans­porter ce bois en Gam­bie», explique Dikory Baldé, écologiste, habitant à Kolda.
Par de petites allées tracées au cœur de la brousse, les trafiquants tiennent leurs pistes déjouant les Forces de l’ordre postées dans les frontières administratives. Au niveau des «boders», déformation de l’anglais Border signifiant frontière, les charrettes ne désemplissent pas. La scène se déroule à Sara Moussayel situé au niveau de la frontière gambienne. Les charretiers traversent la frontière avec leurs troncs. Avec une tranquillité déconcertante. Sans la présence des agents des Eaux et forêts. Ils transportent le bois vers la Gambie. A Burko, Niaming, Faffacourou, Saré Moussael et Saré Bodion… faisant partie des 11 communes du département de Médina Yoro Foulah, les dépôts ou «boders» constituent les lieux de négoce, le théâtre des marchandages entre Sénégalais et Gambiens. Les premiers coupent le bois et les seconds les récupèrent en échange de sommes d’argent ou de motos Jakarta.
Dans ces zones hostiles, le journaliste est obligé de cacher son identité. «J’ai obtenu ma moto grâce à un tronc d’arbre que j’ai transporté jusqu’à Saré Moussayel. Il n’y a rien à faire dans ce département où les gens vivent dans une extrême pauvreté. Si j’ai une autre occasion d’avoir encore une moto Jakarta, je suis prêt à entrer dans la forêt pour couper le bois. C’est une question de survie», se justifie Boubacar qui fait la navette Kolda-Médina Yoro Foulah en moto.

Saisie importante à Coumbacara
Dans l’autre bout de la brousse, la route menant à Dabo vers le département de Vélingara, les forêts classées commencent à recevoir la visite des coupeurs de bois rose. Le 27 décembre dernier, l’Observatoire sur les territoires (Oster) découvre 3 dépôts avec 98, 73 et 42 troncs dans la forêt classée de Koudora à Sare Héry et Sinthiang Yaya situé à une cinquantaine de km de Kolda. Dans cette zone, le Forum civil a mis en place des équipes de contrôle formées par les populations à travers l’Oster. «Ce sont de gros troncs. Les trafiquants ont des tracteurs dans la brousse. Les Eaux et forêts ne savaient même pas qu’il y avait d’autres dépôts. Lorsqu’on a découvert ces dépôts, on a directement prévenu la gendarmerie», révèle Moudjibou Rahmane Baldé, coordonnateur régional du Forum civil à Kolda.
Dans cette forêt située dans la commune de Coumbacara, les dépôts ont été saisis par la brigade locale des Eaux et forêts. Un juge d’instruction est aujourd’hui en train d’enquêter sur les responsabilités alors que le présumé trafiquant court toujours. «On n’arrête que les délinquants de seconde zone, à savoir les chefs de village et les charretiers. Sinon, les vrais trafiquants ne sont jamais inquiétés», se désole le coordonnateur régional du Forum civil. Dans son discours, il pointe en filigrane des complicités jamais inquiétées. «Parfois on se demande si les agents des Eaux et forêts ne sont pas complices. Moi, j’achète du bois de fraude mais à chaque fois que les Eaux et forêts saisissent mes pièces de bois, ils les revendent à d’autres menuisiers», accuse Ndiaga convaincu que certains trafiquants «bénéficient de la complicité d’agents de l’Adminis­tration qui ferment les yeux sur certains actes». Vers la fin du mois de février, un camion venant de la Gambie a été intercepté par les Eaux et forêts à Tambacounda.

Un camion gambien intercepté à Tamba
Dans la forêt classée de Kanoulayes, dans le département de Bignona, une importante partie de l’écosystème a disparu à cause des coupeurs clandestins. En attestent ces espaces vides qui font juste apparaître des pieds d’arbres abattus. C’est le cas à Oudacar, Sédhiou et Bounkiling, où les palmiers surplombent les habitations. L’herbe, qui pousse et jonchant les souches d’arbres, est dévorée par les vaches tandis que les amoncellements de bois mort s’étalent le long de la Route nationale. Après la tragédie de Bofa Bayotte (13 morts), en janvier 2018, le président de la République avait décidé de suspendre les permis de coupe du bois. De plus, le ministre de l’Environnement et du développement durable a indiqué que le nouveau Code forestier, voté le vendredi 2 novembre 2018, définit mieux le concept de trafic de bois en y ajoutant la notion de commanditaire et une nouvelle incrimination qu’est l’association de malfaiteurs. Alors que les peines infligées aux trafiquants de bois passeront désormais de quatre à dix ans avec des sanctions pécuniaires pouvant atteindre 30 millions de francs Cfa. En apparence, ce durcissement des peines n’a pas dissuadé les coupeurs au moment le Sénégal perd 40 mille ha de forêt par an.

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