Liban: A Beyrouth, quartiers plongés dans le noir et nids-de-poule

 

 

Jusqu’à nouvel ordre, les lampadaires de Beyrouth ne s’allumeront plus à la tombée de la nuit et les nids-de-poule ne seront pas rebouchés. Avec l’effondrement de la monnaie nationale, le budget de la capitale libanaise ne vaut plus rien et les entreprises la boudent. La municipalité a récemment lancé un appel d’offres pour l’entretien de l’éclairage public. Mais personne ne s’est présenté aux réunions organisées en mars pour réceptionner les dossiers. «Aucun entrepreneur ne veut travailler avec nous», se désole un responsable municipal sous couvert d’anonymat.

Depuis des décennies, le pays souffre d’infrastructures en déliquescence. Mais la situation a empiré à partir de fin 2019, avec un effondrement économique dont les stigmates sont de plus en plus visibles. La nuit, quasiment toutes les rues sont désormais dans le noir, en raison du manque d’entretien des lampadaires mais aussi des délestages d’Electricité du Liban (EDL), fournisseur public, qui empirent. Sur les routes, les voitures slaloment entre les nids-de-poule. Aux carrefours, les conducteurs redoublent de vigilance: les feux en panne provoquent des accrochages quasi quotidiens.

Prestataires en fuite

Depuis près d’un an et demi, les contrats passés avec des entreprises privées pour l’entretien des chaussées ou des feux n’ont pas été renouvelés. La municipalité a dénoncé des vols de plaques d’égout, subtilisées pour en revendre la fonte. Même phénomène pour le cuivre des câbles électriques. Si Beyrouth peut se targuer d’avoir le plus gros budget municipal du pays, sa valeur a plongé avec la livre libanaise: le taux de change officiel reste à 1507 livres pour un dollar, mais au marché noir, il dépasse les 12’000.

Les contrats de la municipalité, obligatoirement établis en monnaie locale, ne sont plus jugés rentables, les entrepreneurs ayant vu leurs coûts exploser du fait des importations en dollars. «Si nous devions signer des projets» au taux réclamé par les prestataires, «il n’y aurait plus d’argent dans les caisses», rétorque le responsable municipal.

La compagnie Ramco, déjà chargée de la collecte des déchets, réclame comme d’autres un taux plus avantageux. «Le contrat est toujours en vigueur, mais ponctuellement l’entreprise menace de cesser son travail», admet le responsable. Avant la crise, son contrat valait environ 14 millions de dollars annuellement, contre deux millions aujourd’hui avec la dépréciation, reconnaît le président de la municipalité, Jamal Itani.

Après l’explosion du 4 août au port de Beyrouth, qui a fait plus de 200 morts et ravagé des quartiers entiers, ce sont principalement les particuliers et des ONG qui ont pris en charge les reconstructions, même si les autorités ont versé des indemnisations. La municipalité a été chargée de restaurer certains bâtiments répartis en 15 groupes, selon le niveau des dommages. Mais «nous n’avons réussi à signer des contrats que pour quatre», reconnaît Jamal Itani. Et les sociétés engagées se plaignent: à la signature, le taux était plus avantageux.

«Beyrouth est triste»

«Les entreprises privées ne veulent pas travailler avec des institutions publiques. Personne ne veut de projets qui font perdre de l’argent», résume Jad Tabet, président de l’Ordre des ingénieurs. Et cela sans parler de l’incurie légendaire des hauts fonctionnaires, du copinage et des attributions douteuses de marchés publics. Une source au fait du fonctionnement de la municipalité évoque des «cahiers des charges rédigés pour correspondre à un prestataire» préalablement sélectionné.

Des soupçons de corruption avaient été évoqués en 2019, lorsque le grand public avait appris que la municipalité ne percevait aucun revenu des parcmètres. Une procédure judiciaire a été ouverte, mais le dossier piétine. En principe, les dépenses fixes de la municipalité sont de 300 milliards de livres par an (charges salariales et services notamment). Mais ses revenus ont chuté, assure le responsable. La municipalité a notamment perdu une ressource essentielle avec l’effondrement des demandes de permis de construire: en 2020, quatre seulement ont été délivrés, contre plusieurs dizaines les années précédentes, d’après la même source.

«Si la situation persiste, la municipalité va faire faillite, comme le pays», ajoute le responsable. Un après-midi dans le quartier animé de Hamra résume le délabrement de la ville. Depuis le mouvement de contestation antipouvoir d’octobre 2019, les manifestants y brûlent sporadiquement des pneus et des bennes à ordure. Nombre de ces bennes restent sur place, calcinées, débordantes de déchets. A certains endroits le goudron a fondu sous les pneus incendiés.

Dans sa boutique de sacs à main, Alissar attend des clients qui ne viennent plus. «Beyrouth est triste», déplore cette commerçante de 49 ans qui «maudit les responsables»: «De la municipalité, aux ministres, aux députés, tous ont manqué à leurs devoirs».

(AFP)