Abiboulaye Niang, directeur du Centre culturel régional : «Kédougou a le potentiel naturel pour développer le tourisme culturel».

 

Titulaire de plusieurs Masters en histoire, gestion et valorisation du patrimoine, Abiboulaye Niang est le directeur du Centre culturel régional de Kédougou. Dans cet entretien qu’il a accordé au journal «Le Quotidien», il revient sur les goulots d’étranglement qui plombent le développement du secteur culturel et freinent l’employabilité des jeunes de la région de Kédougou. Abiboulaye Niang lance un appel pressant pour la finalisation et l’équipement du Centre culturel régional qui tarde à être réceptionné. Ce joyau devrait abriter le premier festival des 72h de slam et poésie de la région de Kédougou prévu en juin prochain.

Comment se porte la culture à Kédougou ?
Ce serait un peu prétentieux pour moi de vouloir faire l’économie de la culture au niveau de la région. Depuis mon arrivée dans cette belle région, j’ai pu constater et déceler de nombreuses potentialités artistiques et culturelles non exploitées. Kédougou est une région culturellement riche. Sa richesse, ce n’est ni l’or encore moins les richesses de son sous-sol qui sont périssables et tarissables. C’est plutôt ses hommes, son paysage luxuriant, la diversité des expressions culturelles. Cette richesse unique et universellement reconnue reste une marque déposée de Kédougou, la terre des hommes. Et elle est à préserver et à sauvegarder. Mais beaucoup de choses restent à faire. Il faut dans un premier temps aider les acteurs culturels à se formaliser et à se professionnaliser. C’est ce qui va leur permettre de bénéficier des fonds mis en place par l’Etat du Sénégal pour accompagner les initiatives culturelles au niveau national et régional. Les acteurs sont confrontés à un réel problème d’écriture de projets viables et réalisables. Pour ce qui est du Fonds pour la promotion de l’industrie cinématographique et de l’audiovisuel (Fopica), aucun projet n’a été soumis et financé pour la région de Kédougou depuis le démarrage des activités de ladite entité. Pour le Fonds de développement des cultures urbaines (Fdcu), seuls deux acteurs ont pu bénéficier simultanément de financements.

Est-ce qu’un encadrement et une bonne organisation du secteur culturel ne permettraient pas de trouver de l’emploi et un revenu décent aux jeunes de Kédougou ?
Lors du Comité régional de développement (Crd) récemment tenu, sous la présidence du gouverneur de région, on a étudié ensemble les possibilités et les niches de création d’emplois qui existent dans la région. La culture n’a pas été en reste, car elle est un secteur pourvoyeur surtout qu’elle est composée essentiellement de jeunes. Kédougou a le potentiel naturel pour développer le tourisme culturel. C’est un sous-secteur potentiellement riche en termes de création d’emplois. Quand bien même, il faut le dire, il y a un manque réel d’infrastructures. Kédou­gou souffre vraiment du man­que de formation, malgré le potentiel qui existe. Et pourtant, les jeunes sont très créatifs et talentueux. Pour preuve, lors de la campagne de lutte contre la pandémie du Covid-19, beaucoup de jeunes rappeurs ont fait des compilations. Les endroits ou lieux où se produisent les jeunes sont rares, quasi inadaptés et ne permettent pas une bonne expression culturelle. S’y ajoute également un sérieux problème de logistique (sonorisation de grande puissance, lumières, tours et podiums etc.). Les jeunes qui évoluent dans la culture urbaine sont confrontés à un sérieux problème de studio d’enregistrement. Il n’existe pas dans toute la région un studio digne de ce nom, pouvant permettre aux jeunes de faire leurs enregistrements dans de bonnes conditions. Ils sont obligés de se déplacer à Tambacounda ou Dakar. La mise en place d’un circuit touristique est une opportunité non seulement pour vendre la destination Kédougou, mais aussi constitue une source de création d’emplois. Au-delà de la promotion du tourisme culturel, l’artisanat d’art etc., il sera un prétexte économique pour préserver la diversité des expressions culturelles et cultuelles etc.

Vous avez énuméré les problèmes qui asphyxient la culture à Kédougou, parmi lesquels le manque d’infrastructures. Le Centre culturel de Kédou­gou est en construction et devait être réceptionné depuis quelques mois maintenant. Qu’est-ce qui retarde ce chantier tant attendu par les acteurs culturels ?
On a toujours espoir de voir l’aboutissement de ce projet. Des démarches ont été faites, car depuis septembre les travaux qui avaient été suspendus ont redémarré. Malheu­reuse­ment, cela a coïncidé avec la fin de l’année budgétaire qui a ralenti les travaux. On a bon espoir que d’ici un à deux mois maximum, le centre culturel flambant neuf et bien équipé sera inauguré. La demande est pressante et les acteurs culturels attendent ce cadre pour avoir un lieu d’expression. Le nouveau Centre culturel régional de Kédougou disposera d’une bibliothèque, un espace dédié au livre et qui fera aussi bien la promotion du livre et de la lecture, mais aussi celle des auteurs de la région. Il est prévu un espace multimédias qui permettra de faire des formations dans les différents domaines du numérique. Il y est prévu, en outre, une salle polyvalente qui fera office de salle de spectacles et de salle d’expositions, entre autres. Les travaux sont très en avance et nous gardons bon espoir que le chantier sera livré dans les meilleurs délais. D’ailleurs, on prévoit d’y tenir le Festival de slam et poésie de Kédougou qui se profile à l’horizon.

La culture est une compétence transférée aux collectivités territoriales. Au regard des problématiques qui ont été énumérées, on est tenté de se demander où passe l’argent alloué à la culture et qui transite par ces collectivités. Est-ce que ces fonds vous parviennent ?
Effectivement ! Conformément à la loi 96-07 du 22 mars 1996, la culture fait partie des compétences transférées aux collectivités territoriales. Depuis mon arrivée, j’ai eu à travailler avec le président du Conseil départemental ainsi que le maire de la commune de Kédougou. C’est grâce à lui vraiment qu’on a pu réussir la journée du 21 juin de l’an passé, coïncidant avec la fête de la musique. Avec le Conseil départemental de Kédougou, on a déjà tenu un forum qui a permis de faire un diagnostic sans complaisance des maux dont souffre la culture à Kédougou et de dessiner des perspectives. Ce serait peut-être trop tôt de parler ou de se focaliser sur des fonds qui sont alloués à la culture parce que l’année 2020 a été marquée par la pandémie du Covid-19. A tort ou à raison, certaines collectivités ont donné et d’autres, sous le couvert du Covid-19, n’ont pas attribué les fonds destinés à accompagner la structure culturelle régionale.

La culture est traitée en parent pauvre dans le traitement et la mise en œuvre des politiques pu­bli­ques pour ne pas dire que les autorités, notamment territoriales, n’accordent pas une grande importance à ce secteur. Est-ce par ignorance ?
En fait, je pense que c’est une conception qui est un peu générale qui est donnée à la culture. Certains pensent que la culture se résume uniquement au folklore et, malheureusement, c’est parfois avec la complicité des acteurs eux-mêmes. Ces derniers s’adonnant à des activités plus ou moins folkloriques. Ce qui peut faire penser que la culture ne sert qu’à amuser la galerie. Alors que c’est loin d’être le cas. Les pays qui ont eu à comprendre très tôt les enjeux économiques liés à la culture ont pu développer ce qui est convenu d’appeler aujourd’hui l’industrie culturelle et créative. C’est vrai que depuis un certain temps, les autorités ont compris cela. Les fonds injectés dans le secteur du cinéma ont donné une satisfaction mondiale et continuent au niveau sous-régional et continental. Le commun des Sénégalais se doit de se départir de cette caricature et comprendre que la culture ne se résume pas au folklore qui n’est qu’une expression du patrimoine immatériel. Nous avons les nouveaux métiers liés aux numériques, contenus dans l’industrie culturelle et créative. Il y a beaucoup d’opportunités. Toutefois, il y a un effort qui doit être fait par les acteurs et les autorités qui, du reste, ont désormais compris l’importance de la culture dans le processus de développement d’une Nation. Elle peut contribuer efficacement à l’essor économique et social de notre pays.

Il est prévu la tenue d’un Festival de slam et poésie en juin à Kédou­gou. Qu’est-ce qu’une telle initiative peut apporter à la région ?
Le Festival de slam et de poésie est une bonne initiative qui entre dans le cadre de notre mission qui est de promouvoir le livre et la lecture. Ce sera vraiment une grande première, car il sera question d’allier le livre et la lecture, et ce qu’on peut appeler le patrimoine immatériel moderne par le biais de la poésie et tout ce qui tourne autour. Nous espérons de tout cœur disposer de logistique, notamment le Centre culturel régional, pour accompagner et réussir cette grande première qui, je l’espère, sera inscrite dans l’agenda culturel régional, mais aussi dans celui national.

Propos recueillis par Pape Moussa DIALLO (Correspondance particulière)