COLOMBIE: Multiples manifestations contre la réforme fiscale malgré le Covid

 

À Bogota, des milliers de manifestants, protégés de masques, ont rallié le cœur historique de la capitale pour protester contre une réforme jugée néfaste pour la classe moyenne.

Des dizaines de milliers de manifestants ont protesté mercredi en Colombie contre un projet de réforme fiscale du président de droite Ivan Duque, en pleine troisième vague de l’épidémie de Covid-19 qui affecte gravement la quatrième économie d’Amérique latine.

«Nous n’acceptons pas la réforme fiscale, nous pensons à nos enfants, à nous-mêmes (…) Nous mourons du virus ou nous mourons de faim», a déclaré à l’AFP Victor Cordoba, un cordonnier de 33 ans, portant un T-shirt aux couleurs jaune, bleu, rouge du drapeau colombien.

Plusieurs syndicats d’ouvriers, d’enseignants, ainsi que des associations indigènes et d’autres secteurs rejettent ce projet en cours d’examen au parlement, estimant qu’il porte préjudice à la classe moyenne et qu’il est inopportun en pleine crise sanitaire.

À Bogota, des milliers de manifestants, protégés de masques, ont rallié en plusieurs cortèges, la plupart pacifiques, le cœur historique de la capitale, où se trouvent le siège de la présidence et le parlement.

Au son des tambours et arborant des pancartes avec des slogans tels que «Vive la grève nationale» ou «Pas plus d’impôts, pas plus de TVA», certains bloquaient la circulation sur des avenues de la ville, notamment des dizaines de taxis, de camions et de motos qui défilaient en klaxonnant. La mobilisation était importante aussi dans d’autres villes, notamment à Medellin (nord-ouest) et Cali (sud-ouest).

«Compromis et solutions»

Au cours de son intervention télévisée quotidienne, Ivan Duque, qui termine son mandat de cinq ans en août 2022, s’est engagé en fin de journée à rechercher «des compromis et des solutions» afin que la réforme soit approuvée. Mais le président, dont la popularité est au plus bas à seulement 33%, a déploré «la violence» des manifestations et qu’elles aient eu lieu «en plein troisième pic de la pandémie».

La Colombie a enregistré mercredi un nouveau record de décès quotidiens avec 490 morts, alors que les unités de soins intensifs des hôpitaux sont sous pression. Avec plus de 2,8 millions de cas de Covid-19, c’est le troisième pays d’Amérique latine le plus affecté après le Brésil et l’Argentine. Il se place derrière le géant brésilien et le Mexique pour le nombre de décès, plus de 72’200.

La réforme fiscale prévoit notamment d’imposer les personnes gagnant l’équivalent de plus de 596 francs par mois, dans un pays où le salaire minimum n’est que de 225 francs et dont le PIB a chuté de 6,8% en 2020, avec un chômage à 18,1% en février. Cette journée de mobilisation était organisée à l’appel du Comité national de grève, initiateur depuis 2019 de multiples manifestations pour exiger un changement de politique du chef de l’État conservateur.

Les manifestants sont descendus dans la rue en dépit de l’ordre d’un tribunal administratif de reporter la protestation, et des recommandations du Défenseur du peuple, entité publique de protection des droits humains, qui avait souligné «l’inconvénient de convoquer des mobilisations sociales en cette période si risquée pour la santé et la vie».

«Nous sommes las des abus envers la population (…) que notre président ne fasse rien contre ça. Le gouvernement nous fait plus peur que le virus», a souligné Felipe Zapata, 24 ans, qui manifestait à Bogota.

Nouvel appel à protester

Selon le ministère de la Défense, qui avait déployé 47’500 agents des forces de l’ordre dans l’ensemble du pays, la journée s’est soldée par 26 arrestations et 44 policiers blessés, ainsi que des bus des transports en commun, des banques et des supermarchés «saccagés».

La plupart des troubles se sont produits à Cali, où des indigènes de l’ethnie Misak ont en outre renversé la statue du conquistador espagnol Sebastian de Belalcazar, et où le couvre-feu, instauré en raison de l’épidémie, a été avancé à la mi-journée jusqu’à dimanche en fin d’après-midi.

La mobilisation s’est poursuivie au cours de la soirée dans les principales villes de Colombie, avec des concerts de casseroles, tandis que les leaders ont appelé à manifester à nouveau jeudi. Alors qu’il protestait à Bogota, Felipe Ospina, un cinéaste de 23 ans, a assuré qu’il continuerait «jusqu’à ce qu’ils démontent cette réforme fiscale».

Bien que le président ait présenté son projet comme un outil pour mitiger l’impact économique de la pandémie, avec la collecte de quelque 6,3 milliards de dollars supplémentaires entre 2022 et 2031, il se heurte à des obstacles au parlement faute de majorité. Selon Yann Basset, professeur de sciences politiques à l’université du Rosario, «chaque secteur y voit un motif de mécontentement dans un moment où la situation économique est visiblement très difficile pour tout le monde».

(AFP)