“Histoire Secrète – Crise Sénégal/Mauritanie 1989 : le rôle des espions français” (Par Thierno Diop)

 

Comment le pire a été évité entre le Sénégal et la Mauritanie, qui étaient à un pas de la guerre en avril 1989 ? Des trésors de diplomatie ont été déployés pour désamorcer la bombe de la crise. C’est le président malien Moussa Traoré, le premier à initier une médiation. Celle-ci ne fut pas concluante.

Le raïs égyptien Housni Moubarak a aussi initié une médiation, en envoyant son alors ministre des Affaires étrangères Boutros-Ghali. A en croire Abdou Diouf, Moubarak commis une erreur tactique. Ce dernier, dans sa conversation téléphonique avec Taya, son homologue mauritanien, lui fit comprendre que le président sénégalais était dans son bureau et qu’il était d’accord avec le plan proposé. « Taya dut certainement se dire qu’il y avait un piège quelque part, et se garda de donner une suite à cette tentative de médiation », soupçonne Abdou Diouf.
Finalement, c’est la médiation française qui sera payante.

Le 23 mars 1989, Claude Silberzahn, jusque-là préfet et homme de cabinet effacé, est promu directeur de la Direction générale de sécurité extérieure (DGSE). C’est l’amorce d’une nouvelle politique du service secret français, qui inaugure l’ère des médiations.

Au lendemain du déclenchement de la crise entre le Sénégal et la Mauritanie, qui causé un exode croisé (170 Mauritaniens chassés du Sénégal et 70 000 Sénégalais chassés de la Mauritanie), Silberzhan, qui a connu Abdou Diouf à l’ENFOM , est camarade de promotion de Christian Valentin, Babacar Bâ et Cheikh Hamidou Kane. Le patron de la DGSE manœuvre en sous-sol pour jouer une mission de bons offices entre les deux pays.

Dans ses mémoires, Abdou Diouf raconte : « Il prit contact avec moi un jour pour me dire : « Cher frère, je vois que tous ceux qui ont essayé de régler ce problème ont échoué. Personne n’y arrivera tant que les déclarations des médiateurs seront publiques, parce que vous avez vos opinions publiques derrière vous, et ce sera toujours une impasse ».
Parlant de pression de l’opinion publique, le principal leader de l’opposition, Abdoulaye Wade, ne préconisait-il pas la méthode forte contre Nouakchott ? En tout cas son appel fut bien accueilli par une bonne partie de l’électorat hostile au PS, qui sortait de la contestation post-« électorale de 1988.

Ensuite, chaque camp a envoyé un représentant personnel et les négociations commencèrent à la caserne Mortier, siège de la DGSE à Paris. Le Sénégal était représenté par le chef d’état-major particulier du président Abdou Diouf, le général Doudou Diop et la Mauritanie par le conseiller diplomatique du président Taya. « Ils se rencontrèrent en toute confidentialité et aplanirent toutes les difficultés, sans que personne le sache », rapporte l’ancien président de la République du Sénégal.

« En effet, après le conflit, lorsque tous les esprits recouvrèrent leur calme, nous apprîmes que les Forces armées mauritaniennes étaient en réalité bien mieux armées que les militaires sénégalais. Saddam Hussein les avait équipés en missile et autres armements sophistiqués, et selon leur plan, si le Sénégal prenait l’initiative d’un affrontement, elles s’apprêtaient à détruire Saint-Louis et ensuite Dakar. J’ai eu la conformation du soutien de l’Irak à la Mauritanie grâce à mon ambassadeur à Paris, Massamba Sène qui lui-même a eu l’information de la bouche de l’ambassadeur d’Ierak à Paris », rappelle encore le président Diouf.

En clair, le président Mouad Ould Taya était idéologiquement proche du parti Baas, dont le destin est incarné en Irak par Saddam. Après ces malheureux évènements de Djawara, le gouvernement français accordera des budgets pour la réparation des destructions de part et d’autre du fleuve Sénégal. L’année suivante, Abdou Diouf envoie des troupes au sein de la coalition internationale pour déloger l’Irak du Koweït.

Dans son ouvre, « Au cœur du secret » publié en 1995, Claude Silberzahn montre à quel point la concurrence a été rude à l’intérieur de l’appareil d’État français. La DGSE y a subi une hostilité très forte du Quai d’Orsay. Car les diplomates n’aiment pas beaucoup qu’on vienne marcher sur leurs plates-bandes.

Par Thierno DIOP, Journaliste, texte tiré de sa Page Histoire Secrète