Affaire du journaliste Pape Ndiaye : Un conte de faits

 

 

En attendant que jaillisse la vérité judiciaire, les faits collectés par la Sûreté urbaine de Dakar semblent confondre le journaliste Pape Ndiaye dont le procès est prévu lundi. Il invitait «ses victimes à lui verser de l’argent qu’il décharge sous forme de prêt» pour le remettre au procureur de la République et aux juges en charge des dossiers des plaignants, selon l’enquête préliminaire.

Par Ousmane SOW – Stagiaire : Placé sous mandat de dépôt mercredi pour escroquerie présumée et tentative de jeter le discrédit sur l’institution judiciaire, Pape Ndiaye attend son procès en flagrant délit prévu lundi prochain. En attendant, Le Quotidien en sait davantage sur son interrogatoire mené par les policiers de la Sûreté urbaine du Commissariat central de Dakar. Visé d’abord par une plainte de Ndèye Awa Ndir, Pape Khone Ndiaye à l’état civil a vu une autre se greffer dans son dossier, de la part de Pape Demba Diop, pour les mêmes faits. Dans sa plainte du 7 mai dernier, l’Informaticienne et gérante de la société «Seydi ordi», Ndèye Awa Ndir, a précisé que le propriétaire de l’entreprise en question est «présentement sous mandat de dépôt à la Maison d’arrêt et de correction de Rebeuss pour des faits de recel d’ordinateurs».
Selon la plaignante, son patron a été déféré par le commissariat de Grand-Yoff suite à un cambriolage perpétré par trois individus qui ont déclaré lui avoir cédé un des ordinateurs issu du butin. Assurant l’intérim de la direction de l’entreprise et résolue pour une liberté provisoire de son patron, Ndèye Awa Ndir a confessé avoir saisi un ami, un journaliste du groupe Walfadjri, pour l’aider à tirer d’affaire son patron. C’est ainsi qu’il a été mis en rapport avec Pape Ndiaye, journaliste et chroniqueur judiciaire à Walf Tv. Durant sa rencontre avec Pape Ndiaye dans le bureau de ce dernier à Walfadjri, Ndèye Awa Ndir affirme qu’il lui «a réclamé la somme d’un million de francs».
Le procès-verbal des services du commissaire Bara Sangaré ajoute : «Persuadée grâce à ses habitudes au prétoire, la dame a admis lui avoir versé un acompte de 500 mille francs et le reliquat du même montant devait être versé après l’élargissement de son patron. Ainsi, pour matérialiser cette remise, le sieur Ndiaye a établi le 20 mars 2020 une décharge attestant avoir reçu ladite somme en prenant la précaution de mentionner qu’il s’agit d’un ‘’prêt’’.» Troublée par la mention «prêt», l’accusatrice dit avoir demandé des explications au chroniqueur judiciaire. Mais, dit-elle, le mis en cause lui «a tout simplement signifié que l’essentiel est que le montant y figure, car l’argent est destiné aux autorités judiciaires». Le Sûreté urbaine est formelle : «En fait, le sieur Ndiaye a utilisé ses connaissances juridiques pour soutirer de l’argent à la dame pour ensuite se réfugier sur le caractère civil de la décharge afin d’échapper à la loi pénale. En agissant ainsi de la sorte, il a gravement porté atteinte à l’honorabilité du juge d’instruction, chargé du 2e cabinet, ainsi qu’à celle de tous les magistrats et de l’institution judiciaire d’une manière générale.»
Etant consciente qu’elle a été «bernée» par Pape Ndiaye avec le non élargissement de son patron, Ndèye Awa Ndir a déclaré avoir contacté le mis en cause via le réseau social WhatsApp le 6 juillet 2020 et le 29 avril 2021 pour «rentrer dans ses fonds, mais celui-ci a refusé de s’exécuter, préférant faire jouer au dilatoire». Par conséquent, la plaignante a décidé d’ester en justice après avoir fait constater les discussions WhatsApp par un huissier de justice. «L’exploitation du procès-verbal de constat en date du 6 mai 2021 a fait ressortir les discussions dans lesquelles le sieur Ndiaye avoue implicitement la réception de ses fonds en disant à la dame ‘’tu veux qu’on annule toute la procédure en cours et que je réclame l’argent aux gars pour restitution’’. Le ‘’gars’’, évoqué en l’espèce, ne devrait être en principe que le juge en charge de cette affaire. Pis, selon la dame, le sieur Ndiaye lui a déclaré ouvertement que c’est une affaire civile et personne ne pourrait le poursuivre pénalement», mentionne le procès-verbal de police.
Après avoir entendu le journaliste du groupe Walfadjri, facilitateur de la rencontre entre Ndèye Awa Ndir et Pape Ndiaye (il a confirmé les dires de la plaignante), la police a convoqué Pape Ndiaye. Ce dernier a été cueilli par la police après son refus de déférer à la convocation.
Concernant les 500 mille francs qu’il a reçus de la dame Ndir pour faire sortir son patron de prison, Pape Ndiaye a expliqué que c’est un prêt, même s’il était au courant de l’emprisonnement du sieur Cheikh Ahmadou Bamba Sèye. «Ses propos incohérents et illogiques ne cadrent pas avec les discussions qu’il a eues avec la plaignante sur WhatsApp où il reconnaît à demi-mot qu’il était en train de régler une procédure relativement à la somme encaissée. A ce propos, ses déclarations ont été contredites par son collègue journaliste dans le même groupe de presse. Ce dernier a déclaré que la dame l’avait sollicité pour une intervention suite au placement sous mandat de dépôt de son employeur», souligne la police.

«Un million qui devait être partagé entre le procureur et le juge d’instruction…»
Selon la police, les «revirements abracadabrantesques» prouvent le caractère fallacieux des déclarations ainsi que la mauvaise foi de Pape Ndiaye. Ayant les échos de l’arrestation de Pape Ndiaye, Pape Demba Diop a aussi déposé une plainte contre ce dernier pour les mêmes faits d’escroquerie. Il a soutenu que son frère était incarcéré à la Mac de Kaolack pour offre et cession de drogue. M. Diop a fait savoir que lors de la visite de son oncle Mamadou Lamine Mbengue à son frère détenu à Kaolack, ce dernier lui avait demandé de se rapprocher des services du journaliste Pape Ndiaye pour le faire sortir de prison, mentionne la police. Selon Pape Demba Diop, le chroniqueur judiciaire «a réclamé la somme d’un million de francs qui devait être partagé respectivement entre le procureur de la République et le juge d’instruction en charge du dossier avant de leur faire savoir que ces derniers sont tenus de le libérer après avoir reçu l’argent», relève le procès-verbal de police. La Sûreté urbaine de déduire : «Ces propos d’une telle gravité constituent des actes de nature à jeter le discrédit sur l’institution judiciaire et ces deux magistrats dont tout le monde connaît leur sens élevé de la responsabilité.»
Dans le désarroi et voulant à tout prix que leur frère recouvre la liberté, Mamadou Lamine Mbengue «s’est rendu au domicile de Pape Ndiaye à la date du 28 mars 2020 où, au terme de leur discussion, il lui a fait un transfert Orange money de 500 mille francs contre la remise d’une décharge matérialisant le dépôt avant de compléter le reste par un autre transfert le 4 avril 2020 par le même canal après s’être rendu au siège du groupe Walfadjri où il s’est entretenu à nouveau avec le sieur Ndiaye». Après ces versements, Pape Ndiaye «n’a pas honoré ses engagements. Pis encore, il a continué à réclamer des fonds supplémentaires pour soi-disant faire un rapport destiné aux organisations des droits de l’Homme (…)», a fait savoir le rapport de police.
Interrogé sur les raisons de la remise du montant d’un million par le sieur Mbengue, il a déclaré qu’il «s’agissait d’un prêt destiné à assurer ses dépenses quotidiennes». Sur le discrédit jeté sur les procureurs et juges en leur traitant de magistrats corrompus, Pape Ndiaye a déclaré «n’avoir jamais été de ses intentions». Les réquisitions faites au niveau de l’opérateur Orange money ont permis de prouver l’existence des transferts d’argent entre Pape Ndiaye et les plaignants. Au terme de sa garde à vue, la Sûreté urbaine a relevé que le modus operandi de Pape Ndiaye est «d’inviter ses victimes à lui verser de l’argent qu’il décharge sous forme de prêt avant de déclarer à ces dernières qu’il va remettre ces sommes au procureur de la République et aux juges qui ont en charge les dossiers».

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