Pérou: Présidentielle: la classe moyenne sans candidat naturel

 

 

Entre Keiko Fujimori qui prône une économie ultra-libérale et Pedro Castillo qui s’adresse aux plus indigents, la classe moyenne péruvienne, passée de 46 à 34% de la population en raison de la crise économique, n’a pas de candidat naturel vers lequel se tourner dimanche pour la présidentielle.

Jusqu’à l’arrivée du coronavirus, qui a dramatiquement touché le pays (180’000 morts pour 33 millions d’habitants), l’économie péruvienne affichait des taux de croissance supérieurs à la moyenne latino-américaine, élargissant la classe moyenne du pays. Mais la pandémie a anéanti ces acquis. La contraction de l’activité économique péruvienne, quasi paralysée pendant plus de 100 jours de confinement, a fait chuter le produit intérieur brut (PIB) de 11,12% en 2020.

«Annulation d’une décennie de progrès»

Les restrictions prolongées dans un pays où le travail informel représente plus de 70% de l’activité a fait grimper la pauvreté à un plus haut en dix ans, en hausse de dix points de pourcentage par rapport à 2019, selon l’Institut national de la statistique et de l’informatique (INEI). «Trois millions de nouveaux pauvres, c’est l’annulation d’une décennie de progrès économique», rappelle à l’AFP l’analyste politique Augusto Alvarez Rodrich, chroniqueur du quotidien La Republica.

Dans ce scénario complexe, les Péruviens de la classe moyenne se retrouvent face à un choix cornélien entre deux candidats aux programmes économiques antagonistes, dans lesquels leurs intérêts semblent peu pris en compte. D’un côté, celui de la candidate populiste de droite, vieille routière de la politique âgée de 46 ans, qui défend le libéralisme, ce qui lui vaut l’affection des milieux d’affaires et des familles aisées. De l’autre, celui du candidat de la gauche radicale, un institueur syndicaliste de 51 ans, qui prône un rôle économique actif pour l’État et obtient le soutien des plus pauvres et des milieux ruraux, dont beaucoup étaient auparavant des électeurs de Mme Fujimori ou de son père, l’ex-président Alberto Fujimori (1990-2000).

«Les oubliés»

Dans ce contexte déjà tendu, le massacre de 16 personnes la semaine dernière dans une vallée productrice de coca – attribué à des combattants isolés du Sentier lumineux, guérilla maoïste violente active entre 1980 et 2000 – a encore exacerbé les tensions. Certains Péruviens de la classe moyenne ne cachent pas leurs craintes.

«Nous avons tous peur que ce qui était autrefois le terrorisme refasse surface», a déclaré à l’AFP Daniel Herrera, propriétaire d’un salon de coiffure à Lima, qui craint également que Pedro Castillo n’ait l’intention de «prendre un pourcentage aux personnes qui ont de l’argent pour le donner aux personnes à faibles revenus».

Rudy Sequeiros, un habitant de Lima, craint surtout le retour des «traditions du parti politique de Keiko Fujimori, qui vient de la trajectoire de son père. Le parti de Castillo est nouveau, mais je ne sais pas encore pour qui voter».

«Le choix du moindre mal»

«Quand il y a une crise comme celle d’aujourd’hui, elle touche les ménages pauvres, les riches eux ne sont pas touchés. Aux deux extrêmes de la répartition des revenus, ceux qui se trouvent au milieu se retrouvent dans la pire situation, car ils ne reçoivent aucune aide de l’État. Ils sont les plus oubliés», souligne l’économiste Hugo Ñopo. «Pour la majorité de la population, c’est plutôt le choix du moindre mal. A voir qui de l’anti-fujimorisme ou de l’anticommunisme sera le plus fort», résume la politologue Jessica Smith.

Cecilia Yep, 52 ans qui avec son mari vendait des empanadas à domicile dans les quartiers chics de Lima, dit qu’elle «n’aime aucun des deux» candidats et se dit prise «entre le marteau et l’enclume». Elle vit grâce à ses économies, se réjouit du rabais consenti par le collège privé de son fils unique, et avoue finalement avoir déjà fait son choix, car elle ne veut «pas que le pays soit entre les mains d’un communiste».

(AFP)