Agression en France voisine: «Ce racisme interroge avant tout la France»

 

L’affaire des insultes racistes, proférées par une cliente – qui se définirait comme «Africaine» – à la caissière noire d’un magasin Carrefour situé à Annemasse (Haute-Savoie/F), à deux pas de la frontière franco-genevoise, a rencontré un large écho dans l’Hexagone depuis la diffusion d’une vidéo vendredi dernier. Celle-ci a été vue plus de 1,1 million de fois. L’auteure présumée des injures comparaîtra début juillet, a indiqué le procureur de Thonon-les-Bains à l’issue de sa garde à vue, mardi soir (voir encadré plus bas). Elle sera «jugée pour les faits d’injures publiques commises à raison de l’appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion et pour ceux de tentative de vol en état de récidive légale», a précisé le procureur à l’issue de la garde à vue, mardi soir, comme l’ont relaté les médias français.

«Dans un espace public devant témoins»

Sollicitée, SOS Racisme dit se féliciter de la garde à vue «car l’agression était violente et a créé une émotion évidente. Deux raisons qui nécessitaient une réponse prompte de la part des autorités», déclare Dominique Sopo, président de l’association. Il souligne que les faits sont d’autant plus graves qu’ils se sont tenus «dans un espace public devant des témoins visibles et par le fait que cette femme tient des propos virulemment anti-Noirs manifestement en présence de ses enfants, ce qui montre bien comment le racisme peut survivre génération après génération.»

Des «actes quotidiens bien réels»

Quant à la mise en ligne de vidéos pour dénoncer ce type d’incidents, Dominique Sopo explique que «pour notre part, nous ne mettons en ligne des vidéos que si les victimes sont d’accord qu’elles le soient, indique-t-il. Cela n’est pas le cas ici, ce qui est dommageable car la victime n’avait manifestement pas envie d’être prise au milieu de cette tempête médiatique. Pour le reste, rendre publique l’expression de ce racisme en actes est bénéfique afin de montrer que nous ne sommes pas dans le délire lorsque l’on parle de racisme mais qu’il s’agit d’actes quotidiens bien réels.»

Des «personnes qui ont grandi en France»

Questionné sur les explications que la mise en cause aurait données dans une vidéo en déclarant notamment «je suis de conviction musulmane, je suis Africaine comme elle», le président de SOS Racisme observe que «le racisme n’a pas de frontières. L’imaginaire esclavagiste concerne également le monde arabo-musulman au sein duquel très peu de travail est observé sur cette réalité. Je note cependant que cela bouge. Je pense notamment à ce qui se passe en Tunisie avec une association comme Mnemty, qui travaille sur le racisme anti-Noirs dans ce pays. Mais nous sommes ici en France, et l’on parle de personnes qui ont grandi en France, quand bien même elles se référeraient – pour se disculper de tout racisme – à leurs origines africaines. Ce racisme interroge donc avant tout la France. Gardons-nous de ces tentatives d’«externaliser» le problème en disant, comme le fait l’extrême droite, que c’est un problème issu de l’immigration. Et gardons-nous également d’occulter une autre réalité: les personnes en situation de discriminer sont celles qui ont le pouvoir entre les mains. Et celles qui le subissent sont celles qui en sont privées. C’est en cela que la relation Blancs-Noirs interroge particulièrement, sans qu’elle n’épuise le sujet des relations conflictuelles, oppressives ou ostracisantes.»

«Dégradation» du débat public

Pour Dominique Sopo, l’ampleur prise par cette affaire «relève de la combinaison entre l’agression raciste subie par deux personnes noires à Cergy (ndlr: fin mai, un livreur s’était fait frapper et insulter, tout comme une femme qui avait filmé l’agression ), ainsi que sa médiatisation par les réseaux sociaux. Mais le tout n’est pas de diffuser des images. Pour que cela prenne, il faut une sensibilité forte sur le sujet. C’est aussi ce que montre le «buzz» provoqué par cette diffusion. Alors, d’où vient cette sensibilité? Elle vient de la réalité des agressions racistes subies par soi-même ou par ses proches. Mais elle vient également de la dégradation du débat public dans lequel la stigmatisation raciste a désormais pignon sur rue, comme le montrent les émissions et les chroniqueurs de chaînes comme CNews.»

«Pas une opinion mais un délit»

Avocat et membre du Conseil de l’Ordre des Avocats de Paris, Me Yassine Yakouti estime que si la vidéo n’avait pas été diffusée sur les réseaux sociaux, l’auteure présumée des injures n’aurait pas été mise en garde à vue si vite. Jusqu’à présent, explique-il, les Parquets étaient frileux par rapport à l’application ordinaire des règles de droit commun concernant les insultes raciales, mais aujourd’hui la société change, l’opinion publique valorise les lanceurs d’alerte, et la vidéo constitue une preuve, ce qui simplifie la procédure de justice. «Ces décisions rappellent qu’en droit français, le racisme n’est pas une opinion mais un délit», souligne le pénaliste.

Interdite de paraître à Annemasse

L’auteure présumée des insultes sera «jugée pour les faits d’injures publiques commises à raison de l’appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion et pour ceux de tentative de vol en état de récidive légale», indique l’AFP. Deux plaintes pour injures ont été déposées par des employés du supermarché. Le groupe Carrefour a lui déposé une plainte pour tentative de vol, selon le Parquet. Dans l’attente de l’audience où elle sera jugée pour la totalité des faits, elle a été placée sous contrôle judiciaire. Il lui a été en outre interdit de paraître à Annemasse et d’entrer en contact avec les employés du magasin.

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