Au Sénégal, l’enfer des mines d’or pour des centaines d’enfants

 

Dans le sud-est du pays, la ruée vers le précieux minerai attire des familles entières. Les plus jeunes désertent l’école, rêvant d’argent facile. Assis dans la terre argileuse, un jeune garçon fouille le sable et la poussière. Ici, à Kharakhéna, dans le sud-est du Sénégal, à quelques dizaines de kilomètres des frontières avec le Mali et la Guinée, tout est jaune : la terre qui s’infiltre partout, teintant tee-shirts et pantalons ; et les rêves d’or qui poussent l’enfant et des milliers de personnes à creuser le sol à la recherche du précieux minerai.

Adama, une douzaine d’années, dit-il, n’est pas le seul gamin à travailler sur le site d’orpaillage. D’autres, à peine plus âgés, portent l’eau indispensable pour lutter contre la chaleur, ou tirent les cordes qui s’enfoncent dans des puits profonds de vingt à vingt-cinq mètres – les orpailleurs traditionnels n’ont officiellement pas le droit de dépasser quinze mètres – afin de remonter les seaux emplis de terre. Au fond de l’étroit boyau où l’air ne pénètre que grâce à une sorte de cheminée en toile, celui qui creuse est la plupart du temps un adulte.

Les enfants sont nombreux sur la colline mitée par quelque 600 trous. Venus des villages voisins avec leur famille, ou seuls, arrivés en camion du Mali, de Guinée, de Guinée-Bissau, du Burkina Faso et même de Côte d’Ivoire, ils ont déserté l’école, mais beaucoup disent qu’ils n’y allaient plus. Familles trop pauvres pour assurer leur scolarité, établissement trop éloigné de leur maison. Ils sont là désormais avec l’espoir de gagner un argent facile.

« LE PREMIER PROBLÈME, C’EST L’EAU »

Kharakhéna était un petit village traditionnel qui comptait en 2011 vingt-cinq maisons et moins de 200 habitants. Aujourd’hui, ils seraient près de 12 000. Les maisons sont en paille, en bois, collées les unes aux autres sur plusieurs hectares. Les risques d’incendie sont énormes.

« Le premier problème, c’est l’eau, explique Keita Seiba, le chef du village. Il n’y a qu’un puits potable. » Les problèmes sanitaires sont immenses. Un seul infirmier fait des visites régulières. On dénombre au moins trois accidents par jour liés aux éboulements ou aux chutes dans les trous. « A Saraya, dix-neuf élèves ont déserté le collège », déplore Pape Ndao, préfet du département qui porte le nom de la bourgade. L’homme dit aussi avoir intercepté un camion rempli d’enfants en provenance de la Guinée.

Sur la route qui mène de Saraya à Kharakhéna, juste avant le Mali, un panneau un peu rouillé proclame : « Je veux aller et réussir à l’école. » Comme des dizaines d’autres disséminés le long des pistes terreuses à proximité des écoles, il a été financé voici quelques années par l’Unicef. Dans cette région ignorée des touristes qui préfèrent la Casamance, plus au sud, ou le magnifique parc du Niokolo-Koba, à quelque 800 kilomètres de Dakar, le conflit est ouvert : des adultes mènent bataille pour extirper les enfants des mines et les ramener chez eux, à l’école ou en formation.

« COMMUNAUTÉS OBNUBILÉES PAR L’OR »

« Zéro enfant dans les sites d’orpaillage d’ici à 2017 », c’est l’objectif de l’association La Lumière, créée en 1999, qui agit à Tampa, Kolda, Ziguinchor et à Kédougou où elle est implantée depuis 2003. Elle y a ouvert un centre d’accueil, d’orientation et de réinsertion socioprofessionnelle pour les enfants soustraits à l’orpaillage. « Les animateurs expliquent aux chefs de village, aux enseignants, à tous ceux qui leur permettront de s’adresser aux familles, les buts poursuivis et la nocivité du travail des enfants. Ils rappellent que le Sénégal a ratifié les conventions de l’Organisation internationale du travail sur ce thème », dit Amady Bousar Thiam, coordinateur de l’ONG.

La Lumière a aidé à la constitution de quatorze comités de protection des enfants (CPE) dans le département de Saraya. Sur la zone de Kharakhéna, la plus active, les responsables de l’association racontent « les difficultés qu’ils ont eues à s’installer car les communautés sont obnubilées par l’exploitation artisanale de l’or ». Une pépite de cinq grammes se vend 100 000 CFA environ (152 euros).

Les animateurs se rendent sur les sites pour repérer les enfants, essaient de les identifier, de savoir d’où ils viennent. Puis arrive l’étape, délicate, de la médiation : dialoguer et convaincre les parents des dangers liés au travail des enfants dans les mines d’or. Enfin vient le temps du retrait, c’est-à-dire « la rupture de l’enfant avec la mine ».

APPRENTISSAGE

Entre décembre 2013 et février 2014, La Lumière a visité quatorze sites d’orpaillage : soixante-quinze enfants et adolescents ont été identifiés. Si vingt-cinq d’entre eux dépassaient les 16 ans, quinze avaient entre 7 et 10 ans, treize entre 10 et 13 ans et vingt-deux de 13 à 16 ans. Le centre de Kédougou, ouvert depuis début 2014, en a accueilli trente-quatre pour des projets d’insertion professionnelle et d’apprentissage (mécanique automobile, menuiserie métallique, électricité…). Presque tous les autres ont rejoint une école. Des aides ont été versées pour soutenir les familles.

Dans un atelier de mécanique à Kédougou, Tassilima Sakharoka, 17 ans, apprend le métier de soudeur. Après deux ans passés sur un site d’orpaillage, il s’est laissé convaincre de reprendre une formation en apprentissage. « Au bout d’un certain temps, le responsable du trou m’a donné un peu d’argent, 20 000 CFA [une trentaine d’euros]. Cela ne faisait pas assez, alors j’ai préféré arrêter », dit-il.

Sory Danfaka, 50 ans et six enfants, chef du CPE de Bembou, petit village au coeur d’une savane arborée, non loin de Saraya, raconte ses trois jours d’expédition à Kharakhéna avec La Lumière : « On a réussi à convaincre le chef du village de nous aider et on a pu ramener dix-huit enfants en leur proposant d’apprendre un métier. On ne peut laisser seuls les parents qui n’ont pas les moyens de s’en occuper. Je les ai convaincus en leur disant que cette richesse était momentanée. »

A Samékouta, près de Kédougou, un autre site d’orpaillage reste en effervescence. Jusqu’au printemps 2013, ils étaient entre 5 000 et 7 000 pour une petite localité d’un millier d’habitants en temps normal. Beaucoup de ces trous sont aujourd’hui inexploités, mais plusieurs centaines de personnes continuent de creuser.

A la rentrée scolaire 2013, les enfants des villages voisins se pressaient au bord du site. Sur les soixante-dix candidats à l’entrée en sixième au collège, aucun ne s’est présenté. «Tous préféraient l’argent facile du site d’orpaillage. La monnaie circule, tout le village en profite. Et quand l’or n’y est plus, tout le monde repart», témoigne Sambou Denfakha, le père de Moro, 14 ans. «En pleine crise d’adolescence, il faisait ce qu’il voulait, raconte-t-il. Je n’arrivais pas à m’en occuper. Le marabout a prié pour que j’arrive à dompter Moro.»

Rémi Barroux / lemonde.fr /