Venezuela: «Salaire de la faim» dans les hôpitaux vénézuéliens

 

 

Johany Perez, brancardier, 30 ans, dont déjà 14 passés à travailler à l’hôpital clinique universitaire de Caracas, touche un salaire mensuel de 2,2 dollars. C’est la réalité des hôpitaux au Venezuela, frappé par une crise économique sans précédent et qui a vu le pouvoir d’achat des salariés se réduire comme peau de chagrin avec l’hyper-inflation. «Nous avons un salaire de la faim. On l’appelle salaire minimum mais c’est moins que minimum: on ne peut pas manger avec ce salaire», affirme Johany, qui continue pourtant à travailler et annonce haut et fort: «j’aime mon hôpital».

Avec ce salaire «on n’arrive à rien, même pas à venir au travail», explique Matilde Lozada, infirmière de 54 ans dont 24 ans de service. Ces quelques dollars ne paient que trois allers-retours… Médecins, infirmiers, aides-soignants, personnel de ménage… Tous pourtant continuent à travailler, refusant de «quitter le bateau» à la dérive, dit-elle.

Le dollar

Le salaire d’un haut fonctionnaire de l’administration ne dépasse pas 10 dollars et la hausse spectaculaire de près de 300% de tous les salaires décrétée en mai par le président Nicolas Maduro n’a pas changé grand-chose. Les salariés payés en bolívars, la monnaie locale complètement dépréciée, souffrent alors que le dollar est désormais utilisé pour la plupart des transactions. Le salaire minimum de 2,2 dollars ne suffit pas, ne serait-ce pour acheter un kilogramme de viande de bœuf. Le secteur privé s’est d’ailleurs complètement détaché de la référence publique, et les salaires au plus bas échelon avoisinent plutôt les 50 dollars.

Les 3,3 millions de personnes travaillant dans la fonction publique touchent donc des émoluments ridicules et beaucoup vivent grâce à des activités au noir ou un second emploi. La population active tourne autour de 14 millions de personnes pour une population totale de 30 millions environ.

«On vient par vocation»

«On vient par vocation», explique sous couvert de l’anonymat une infirmière qui survit grâce aux soins à domicile, facturés entre 10 et 15 dollars par visite. Une autre infirmière raconte qu’elle travaille 7 jours sur 7, cinq à l’hôpital public en semaine, et le week-end dans une clinique privée. Une autre vend des parts de tartes et des gâteaux achetés entiers à une voisine pour pouvoir subvenir à ses besoins. L’hôpital de l’Université Centrale du Venezuela (UCV), joyau architectural inscrit au patrimoine de l’Unesco, se détériore à vue d’œil. Murs sales et craquelés, sols en mauvais état, ascenseurs hors service… Seuls deux des huit services chirurgicaux fonctionnent.

Le gouvernement invoque les sanctions internationales imposées depuis 2019, notamment par les États-Unis, pour tenter d’évincer le président Maduro du pouvoir, mais le pays vient de traverser huit années de récession économique.

Manque de masques

Une patiente qui avait survécu à un cancer est décédée d’une infection urinaire faute d’antibiotiques. Les services de soins sont pauvres, manquant de tout: gants, fils pour les points de suture et même les masques alors que le pays est actuellement touché par une deuxième vague de coronavirus qui fait des ravages. Le personnel paie lui-même les produits ménagers, explique un médecin sous couvert de l’anonymat. «On fonctionne grâce aux dons. C’est un hôpital détruit. On est comme McGyver, on répare tout», souligne-t-il en allusion à une série télévisée dont le héros se débrouille toujours avec les moyens du bord. Lui, vit grâce à un travail dans une clinique privée.

«Nous avons remis des rapports à l’État, aux Nations Unies, à de nombreuses entités», rappelle Chaira Moreno, syndicaliste, qui travaille dans les services administratifs. En vain. «J’ai construit ma maison avec mon salaire. Je pouvais me permettre de manger dans la rue. Ça fait huit ans que je ne l’ai plus fait», explique-t-elle. Pour vivre, elle sous-loue deux chambres de sa maison pour 20 dollars par mois et travaille sur ses heures de repos comme surveillante dans un lycée privé. Il y a quelques jours, elle s’est offert un petit luxe: un soutien-gorge. «Ça m’a coûté 5 dollars, j’ai sué pour me l’acheter», dit-elle en tirant une des bretelles sous sa blouse.

(AFP)