Espace et environnement: Tourisme spatial: pollution à l’horizon?

 

 

Vivre l’extase de l’apesanteur, avec vue sur la Terre et sans penser à son avenir: le tourisme spatial compte encore pour quantité négligeable en matière de pollution. Mais à l’heure du changement climatique, des questions émergent sur l’empreinte carbone de cette activité qui pourrait décoller rapidement.

Le 11 juillet, le milliardaire britannique Richard Branson s’envolait avec succès pour quelques minutes à la frontière de l’espace. Mardi, ce sera au tour de Jeff Bezos, l’homme le plus riche du monde, d’aller visiter le grand vide avec sa capsule Blue Origin. Ces vols privés «suborbitaux» constituent sans doute un tournant dans l’avènement du tourisme spatial: la société de Richard Branson, Virgin Galactic, a déjà vendu 600 billets, entre 200 et 250.000 dollars, et ambitionne à terme de mener 400 vols par an.

Avec quel impact sur la planète? Difficile à évaluer, tant ce hobby pour ultra-riches reste ultra-marginal, encore loin des radars des défenseurs de l’environnement. Mais le problème se posera si ce tourisme devient massif. «Si on voulait envoyer demain 50’000 touristes par an dans l’espace, il y aurait un vrai sujet environnemental», déclarait vendredi le PDG du Cnes (l’agence spatiale française), Philippe Baptiste, sur une radio française.

Un «frémissement de discours critique, étouffé jusqu’ici par l’enthousiasme des débuts, commence à monter», relève Arnaud Saint-Martin, un sociologue français des sciences. «A l’heure du changement climatique, ça n’est clairement pas le moment de lancer une activité qui va accroître certaines émissions», ajoute la chercheuse finlandaise Annette Toivonen, auteure de «Tourisme spatial durable». Le scientifique américain Martin Ross, qui a comparé les technologies des deux milliardaires, a montré que le véhicule de Jeff Bezos utilise un mélange d’hydrogène et d’oxygène, considéré comme moins polluant.

CO2 et suies

Le vaisseau de Richard Branson apparaît en revanche particulièrement polluant, car sa technique de propulsion à carburant solide produit du CO2 (principal responsable du changement climatique) et crache des suies en traversant la stratosphère. «C’est comme si vous brûliez un pneu» dans une zone de l’atmosphère où l’air, moins dense, se recycle moins vite, relève Christophe Bonnal, de la direction des lanceurs du CNES.

Interrogé par l’AFP, Virgin Galactic a assuré être «engagé dans une démarche visant à réduire l’impact sur l’environnement, en vue d’un développement durable» de son activité. Et indique que l’empreinte carbone d’un de ses vols «équivalait à celle d’un voyage individuel en classe affaires à bord d’un vol Londres-New York» en avion. Les émanations restent effectivement modestes «si on les compare aux 915 millions de tonnes de CO2 émises en 2019 par les 4,5 milliards de passagers des vols commerciaux», relevaient plusieurs scientifiques français, sur le site The Conversation en septembre 2020.

Mais les virées suborbitales de Virgin Galactic représentent tout de même «4,5 tonnes de CO2 par passager», soit «deux fois l’émission individuelle annuelle permettant, selon le Giec (groupe d’experts climat de l’ONU, NDLR), de respecter l’objectif du +2 °C de l’accord de Paris» de 2015, selon ces scientifiques.

A ces questions écologiques, se greffent des considérations morales et politiques, qui fustigent des «manèges de luxe» pour très riches en quête de sensations. «Dans un contexte d’urgence climatique et de pandémie –où des modèles de développement plus sobres sont discutés, notamment l’avion vert–, on peut se demander si ces voyages ne sont pas un besoin superfétatoire», avance Arnaud Saint-Martin du CNRS.

La Lune à l’horizon

A ses débuts aussi, l’aviation était perçue comme un «sport de riches», note Christophe Bonnal. A la différence près que les premiers vols d’Alberto Santos-Dumont ou Louis Blériot «ont permis les progrès menant à l’aéronautique d’aujourd’hui». «Or ce qui me choque dans les vols de Richard Branson, c’est qu’il n’y a pas d’horizon derrière», argue l’expert. Jeff Bezos, lui, «joue a priori sur un autre terrain que le tourisme de masse: il voit grand, il vise la Lune, et plus loin encore avec l’humanité quittant la planète». D’ici là, les (riches) fans d’espace soucieux de leur bilan carbone pourront tester des voyages en ballons «à zéro émission», que proposera notamment la société française Zephalto dès 2024.

A 25 km d’altitude, propulsés par de l’hélium – un gaz neutre -, les passagers plongeront dans l’obscurité de l’espace pour y admirer la courbure de la planète bleue. «On espère que le spectacle fera réfléchir, car ce que disent les astronautes, c’est qu’une fois qu’on a vu l’atmosphère si fine au-dessus de la Terre, on prend conscience de sa fragilité», déclare le directeur de la start-up, Vincent Farret d’Astiès.

(AFP)