Sénégal/États-Unis : Le grand retour aux fondamentaux.

 

Le secrétaire d’État américain Antony Blinken et son homologue sénégalais étaient face à la presse ce samedi 20 novembre à l’occasion du deuxième jour de sa visite au Sénégal. Les deux ministres ont passé en revue plusieurs questions tournant essentiellement autour des relations diplomatiques entre les deux pays, des énergies fossiles, de la sécurité dans le Sahel, de la perception des États-Unis par les africains, mais aussi du nouveau redéploiement des États-Unis vers le continent noir.

C’est presque en début d’après-midi ce samedi 20 novembre que le face à face annoncé un peu plus tôt a démarré. Le secrétaire d’État américain qui est arrivé ce vendredi à Dakar en provenance du Nigeria avait un agenda très chargé. Antony Blinken devait rencontrer le président de la République, signer des accords avec différents ministres avant de se prêter à l’exercice questions-réponses prévu au ministère des Affaires étrangères. Malgré l’attente, les journalistes ne sont pas rentrés bredouilles en informations. Aïssata Tall Sall et Antony Blinken ont joué le jeu et se sont livrés à la presse malgré le nombre limité de journalistes qui ont été autorisés à poser des questions. C’est le lieu de dire.

Repartir sur de nouvelles bases 

La ministre sénégalaise des Affaires étrangères s’est dite très satisfaite de la venue de son homologue américain au Sénégal. Mais Aïssata Tall veut plus. « Nous voulons que les Etats ouvrent les deux yeux, gros ouverts sur le Sénégal. Les Etats Unis soutiennent le Sénégal. Nous avons ensemble beaucoup de chantiers. Il a cité le MCA ; nous venons de signer le deuxième compact avec le gouvernement des Etats-Unis et ça va être consacré à l’Energie, comment apporter l’électricité dans nos villages, dans nos villes, partout où il y a nos populations. C’est un grand défi de développement pour nous et les Etats Unis, à travers le MCA, vont nous aider à cela. Il a également cité l’initiative Build Back Better pour construire un nouveau monde, un monde meilleur après ce que nous avons connu. Les Etats Unis prennent une part extrêmement importante et le Sénégal entend également prendre sa part. Quelques programmes sénégalais vont être soumis à cette initiative. Je peux donner comme exemple le rail ou nous pensons que nous pourrons obtenir un financement pour ouvrir la voie ferrée entre nous et le Mali et pourquoi pas plus loin, l’autoroute du nord qui va aller jusqu’à Saint-Louis » , a décliné la cheffe de la diplomatie sénégalaise qui ouvre une page pour plaider la cause des énergies fossiles.

Défense des Énergies fossiles 

« Nous sollicitons le soutien des Etats-Unis à la transition climatique. Le Sénégal est maintenant devenu un pays pétrolier qui va produire beaucoup de gaz. S’il se trouve que la communauté internationale pense que le gaz est une énergie fossile, qu’allons-nous faire avec tout cela ? Comment faire seulement avec les énergies alternatives, l’éolienne, le solaire pour financer le développement ? », s’interroge Aissata Tall Sall qui pense que « nous pensons que ça ne sera pas suffisant parce que nous avons atteint notre plafond en énergie propre » et « qu’il faudrait soutenir le gaz comme une énergie de transition ». 

La cheffe de la diplomatie sénégalaise rappelle à ce propos que « le Président Macky Sall a beaucoup évoqué cette question avec le secrétaire d’Etat ». « Mais là où nous attendons les Etats-Unis, c’est encore sur cette grande relation entre l’Afrique en tant que continent dans sa diversité et les Etats-Unis en tant que leader stratégique dans le monde », a ajouté Aissata Tall Sall selon qui, « cette relation est fondamentale », tout en saluant le retour des Etats Unis dans le multilatéralisme dans toutes ces instances internationales où sa voie, son poids économique et son soutien comptent.

Pour sa part, le secrétaire d’Etat américain fait savoir que son pays est plus que déterminé à être un partenaire efficace pour « nos partenaires en Afrique ». Il reconnaît qu’il existe une nécessité extraordinaire d’investir en Afrique » et qu’il y a des milliers de milliards de dollars en jeu. Mais ces investissements doivent se faire de manière à s’assurer qu’il ne faille pas des années pour que les choses décantent, souhaite-t-il. « Avec notre initiative Build Back Better, nous allons nous tourner vers l’Afrique et nos partenaires pour ces investissements ».  À l’en croire, « ce n’est pas seulement une question de quantité de ressources fournies, mais de comment ces ressources sont fournies ».

« Il s’agit du principe qui les accompagne.  Il faut s’assurer de ne pas faire en sorte que les pays aient trop de dette, une dette insoutenable. Ce ne sera pas possible parce que les pays se retrouvent face à un choix impossible qui consiste à rembourser la dette ou à emprunter ailleurs », a insisté le secrétaire d’Etat qui relève que les investissements doivent profiter aux communautés et que la corruption ne doit pas avoir droit de cité dans le paysage. Une philosophie qui n’écarte personne, ratisse Antony Blinken qui ne veut pas surtout pas que l’on croit que les Etats Unis cherchent à faire choisir aux africains leurs partenaires. Car pour lui, quand les gens ont des choix, le bon choix est fait. La ministre des Affaires étrangères du Sénégal va dans le même sens. « Il y a un choix et des choix (…) Pour nous Sénégal, nous avons une diplomatie de souveraineté de laquelle nous n’excluons personne mais dans laquelle nous avons des amis classiques, des partenaires historiques. On ne va pas jeter les anciens pour les nouveaux. On fait avec tout le monde, chacun selon ses intérêts, eux leurs intérêts propres, nous nos intérêts propres.

L’essentiel, c’est que nous puissions nous entendre sur comment coopérer, comment avancer ensemble parce que ce que les Etats Unis vont faire pour le Sénégal, ils vont le faire et pour le Sénégal et pour les Etats-Unis. Ils le font pour le monde, pour la paix du monde, ils le font pour le développement de nos peuples respectifs (…) le meilleur choix, c’est d’être ensemble », clame Aissata Tall Sall. La patronne de la diplomatie sénégalaise ajoute que « l’Afrique est une opportunité mais elle peut être dangereuse ». « Faisons en sorte que l’opportunité ne soit jamais un danger et qu’elle profite à tout le monde ».

Crises au Sahel

La transition s’impose d’elle-même pour évoquer les crises que traversent la sous-région ouest-africaine. Et dans ce chapitre, le Mali occupe le haut du pavé. Le secrétaire d’Etat américain admet que ce pays reste un élément essentiel pour la stabilité du Sahel. Une stabilité brinquebalante qu’il ne faudrait pas fragiliser davantage avec des crises socio-politiques. Il est important de noter que pour le secrétaire d’Etat, le retour à la conformité constitutionnelle est essentiel au Mali et son pays agit dans le sens de ce rétablissement de l’ordre normal des choses.

C’est d’ailleurs à cet effet que les Etats Unis qui ont dénoncé les velléités de groupes privés de sécurité comme Wagner de s’immiscer dans la résolution des conflits en Afrique de l’Ouest, soutiennent les initiatives de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Et le déplacement du secrétaire d’Etat américain au siège de la CEDEAO est, selon Aissata Tall Sall, un signal fort dans la conception de cette institution sous régionale pour les partenaires internationaux.

« A Abuja il s’est adressé au Nigeria, mais il s’est aussi adressé à la CEDEAO. Et quand il est parti à la CEDEAO, on a vu comme un signal pour une puissance d’aider les africains dans leurs instruments d’intégration et de rassemblement. Il vient de le faire à un moment où l’opinion africaine pense beaucoup plus à tort qu’à raison que la CEDEAO est faible. Or, la CEDEAO n’est pas faible. Elle est devant des situations compliquées où nous vivons de coup d’Etat à coup d’Etat. Et d’avoir un Etat comme les Etats-Unis qui viennent dire je veux parler à la CEDEAO parce qu’il est convaincu que la solution aux affaires africaines, doit d’abord être une solution africaine. C’est extrêmement important. C’est beaucoup de reconnaissance des Etats-Unis vis-à-vis des Africains et c’est pour cela et c’est comme cela que l’influence des Etats-Unis se construira. Parce que plus ils donneront de la crédibilité aux Etats africains et aux institutions africaines, plus la coopération pourra aller dans le sens que nous souhaitons », appuie Aissata Tall Sall. Qui s’est livrée à un cours magistral sur la diplomatie telle que vue et appliquée par le Sénégal.

La diplomatie sénégalaise en exergue

« La diplomatie ne change pas, c’est de l’art, c’est une profession. Les fondamentaux restent les mêmes dans tous les pays, mais le Sénégal a une particularité, c’est de d’abord définir la priorité diplomatique comme une diplomatie de bon voisinage parce que nous considérons que la paix chez nous, autour de nous est quelque chose de fondamentale et que notre diplomatie doit nous apporter cela avant de se déployer ailleurs. Une autre règle fondamentale, c’est celle de la non-ingérence.

Le Sénégal n’intervient pas quand c’est des questions dévolues à des Etats amis. Mais c’est une diplomatie ouverte sur l’Afrique avant d’aller s’ouvrir dans le monde. Mais c’est surtout une diplomatie de souveraineté qui permet de faire des choix d’opportunité, de pertinence, des choix pour ce que le Sénégal pense pouvoir faire pour le bien-être de ses populations. La réponse oui, c’est que la diplomatie doit s’ajuster aux défis du monde. Nous avons quitté le dialogue d’état à état à un dialogue parcellaire. Quand la question sécuritaire se pose, ce n’est pas avec des Etats, c’est avec des groupes, c’est avec des terroristes, c’est avec d’autres intervenants qui ne sont pas authentiques.

La diplomatie doit s’ajuster à cela. La lecture que nous devons avoir sur le Mali, ce n’est pas Ce n’est pas une lecture entre Sénégal –Mali, entre CEDEAO-Mali. C’est une lecture qui doit prendre en considération tous les acteurs qui sont sur le champ malien, aussi bien étatique, non étatique et bien évidemment nos partenaires internationaux. La question sécuritaire est devenue complexe du fait que ce sont plus les Etats qui jouent mais les Etats avec d’autres acteurs qui ont fait irruption sur la scène. C’est aussi la santé qui est devenue une question complexe. Comment avons-nous fait pour être le pays africain à pouvoir produire un vaccin ? C’est la diplomatie, c’est la volonté politique du président Macky Sall. Mais derrière, il a fallu aller trouver des partenaires, aller négocier, avoir les Etats-Unis, les laboratoires à nos côtés. Je peux citer d’autres exemples comme la question de l’eau. Les conflits de demain tourneront autour de l’eau. Dakar va abriter au mois de mars 2022 le forum mondial de l’eau et ces questions-là seront discutées », développe la ministre des Affaires étrangères.

Le modèle sénégalais en question

Ce beau tableau dépeint de la diplomatie sénégalaise n’omet pas la nécessité de revoir de discuter de certains points noirs à l’image de la négation des droits de certaines figures de l’opposition. La question a été mise sur la table par un journaliste de l’AFP. Sur le sujet, le secrétaire d’Etat américain a reconnu que le Sénégal est une démocratie forte et un pays qui a toujours connu des transitions pacifiques. Mais de la même manière, il s’accorde qu’il ne faut pas prendre ces valeurs pour acquis. A son avis, il faut continuer à les protéger.

Aïssata Tall Sall rebondit sur la question. « Le Sénégal est vu comme un modèle de démocratie. Mais ce n’est pas qu’une perception, c’est une réalité », assure la ministre. Tel ne serait pas le cas, notre pays ne serait pas convié à la conférence que les Etats-Unis organisent avec les pays africains sur la démocratie, semble-t-elle renchérir.

A l’en croire, le Sénégal sera à ce rendez-vous et parlera de son « modèle dans ce qu’il a d’écrit et d’institutionnel, mais aussi dans ce qui n’est pas écrit et qui est dans la tête des sénégalais ». « Et qui sont des ressorts sociaux tellement forts que quand ce ressort-là s’exprime, tout peut se régler au Sénégal. L’alpha et l’Omega de la question, c’est de faire de telle sorte qu’est que la stabilité revienne dans toutes les démocraties au monde et, particulièrement dans le Sahel », défend-elle.

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