Éditorial – Par Mamadou Ndiaye: ENTRE DOUTES ET CRAINTES

 

Un évènement sportif de portée mondiale se déroule en ce moment au Cameroun. Puisqu’il s’agit de football, le pays organisateur en est à sa seconde édition après celle tenue en 1972. Mémorable, car il y avait un certain Salif Keïta, le Domingo du Mali défait en finale 3 buts 2 contre le Congo Brazzaville. Certes les Lions indomptables -le sont-ils toujours d’ailleurs ?- ont été plusieurs fois sacrés champions d’Afrique, mais jamais ils n’ont remporté le trophée chez eux. Cinquante ans après, ce rendez-vous sportif a gagné en ampleur, en audience et en notoriété, toutes choses qui aiguisent les appétits ou suscitent des convoitises. Mieux, il draine du monde et attire des intérêts parfois convergents, souvent divergents. La compétition change de dimension sous la pression de divers acteurs qui ont des lectures différenciées voire des approches contradictoires basées sur des rapports de forces qui varient au gré de l’importance qu’acquiert le football en Afrique. Le continent vibre à l’unisson dans les divers stades.

Ces infrastructures, de plus en plus modernes, reflètent l’évolution du football perçu désormais comme la vitrine de progression d’une discipline populaire et à enjeux multiples. Le premier tient à l’effort fait pour doter les pays d’installations sportives de bon niveau. A cette fin, l’abîme s’éloigne quand on connaît l’état des terrains, deux décennies plus tôt, qui ressemblaient à des champs de patates. Il n’y avait même pas de projecteurs pour organiser des rencontres en nocturne. De nos jours, les nations ne rivalisent pas que pour gagner la Coupe d’Afrique. Elles s’engagent aussi à faire éclore les talents sportifs dont regorge le continent. Dans les grands championnats européens, de jeunes Africains brillent à l’image du Senegalais Sadio Mané, de l’Egyptien Mohamed Salah, du Gabonais Aubameyang, des stars du Maghreb, de l’Afrique australe, entre autres. Faits saillants : ces vedettes aiment leurs pays respectifs et pour rien au monde, elles ne voudraient rater cette haute compétition, creuset des liens et attachement au drapeau national qu’ils brandissent non sans fierté.

Naturellement les joutes prennent une autre tournure chez certains chefs d’Etat qui parlent de “la victoire ou la mort”. Ils oublient ou feignent d’ignorer que le foot ne divise pas. Il rassemble. Les différences se gommant au profit d’une fraternité toute africaine. La compétition, loin d’être un “mortal Kombat”, constitue un moment de grande fraternité entre des équipes, des entraîneurs et une kyrielle d’autres acteurs de premier plan. Elle forge un esprit si cher aux pères fondateurs de l’OUA devenue par la suite l’Union Africaine.

Les joueurs aiment le maillot national et le mouillent pour mériter davantage de reconnaissance et de considération. Ensuite intégrer l’équipe nationale et se qualifier pour une phase finale offre une grosse visibilité en tapant, grâce au petit écran, dans l’œil des sergents recruteurs qui, pour rien au monde, ne ratent ces occasions uniques de remplir des carnets de commandes pour le compte des grands clubs. Lesquels sont des puissances financières capables d’acheter des joueurs d’exception pour garnir leurs feuilles de match des saisons durant. Les enjeux s’étoffent davantage. A coups de chéquiers, les plus riches offres remportent des jackpots et finissent par imposer la “loi du plus fort”. Encore que cette règle demeure aléatoire en ce qu’elle fluctue au gré des conjonctures qui prévalent.

Pendant la CAN, les coachs n’ont d’yeux que pour les joueurs en forme du moment. Leurs moindres gestes sont disséqués, analysés et soumis à des grilles d’analyse pour de probables incorporations dans les championnats les plus relevés d’Italie, d’Angleterre, d’Allemagne, des Pays-Bas, de la Belgique, de l’Espagne et de la France. A Paris, la valeur des joueurs atteint les cimes. Il en est de même à Liverpool, à Arsenal, à Madrid, à Turin, à Manchester, à Liège. Dans tous clubs huppés évoluent des joueurs africains de renom plébiscités chaque jour par les médias (classiques et nouveaux), les réseaux sociaux ainsi que les plateformes qui alimentent à flux continu les pages digitales. Ces lieux d’exposition contribuent à augmenter la côte des footballeurs dont les moindres caprices sont satisfaits à coup de millions d’euros ou de dollars. Tout en eux s’exprime en valeur marchande. Le jeu, qui en vaut la chandelle, change d’échelle en se mesurant maintenant à l’aune des performances agrégées du collectif constellé d’individualités marquantes.

Le contexte se modifie. Les médias découvrent les talents et les valorisent. Ils attirent plus de monde autour des projets de jeu des équipes nationales. De plus en plus nombreux, les annonceurs sillonnent le continent en quête d’opportunités de placement. Leurs intérêts pour certains joueurs dont le coefficient d’influence est saillant les incitent à miser gros. Très gros même. Les clubs repèrent et opèrent des ciblages affinés. Puis intervient le mercato qui, non seulement fixent les coûts et les marges, mais déterminent également les termes et les modalités des transferts en protégeant toutefois les footballeurs souvent victimes de mirages et de voracité. Le marché s’organise ainsi sur ces facteurs oscillant entre incertitudes et approximations sans que personne ne s’en alerte. Bien que circonscrite, les fraudes et les manipulations fleurissent encore à l’ombre d’une régulation qui peine à s’imposer dans un univers ouvert mais très peu assaini. Progressivement, le système se bonifie alternant avancées et reculs.

Du reste, sur ce registre, la polémique enfle notamment sur les droits dits “exclusifs” octroyés à certains et refusés à d’autres dans des conditions pas très explicites. Si les droits télévisés ne souffrent d’aucune ambiguïté, il en est tout autrement des droits conférés aux radios. Plusieurs radios, dont celle de notre Groupe, ont été privées de commenter les matches en s’appuyant sur les images réceptionnées. Or ce qui est refusé aux stations sénégalaises est permis aux radios étrangères disposant de puissants relais au Sénégal. Cette rupture d’équilibre fausse la règle et tue le jeu par l’enjeu financier avec l’afflux de liquidités aux desseins inavoués.

Faut-il entreprendre d’ores et déjà une réflexion éthique sur ces aspects d’intermédiation ? Qui commercialise les droits ? A qui appartiennent-ils ? Quelles sont les règles de cession ? Quel contenu revêtent ces contrats ? Auprès de quelle instance contester ces modes désuets d’acquisition pour de dévolution ? Qui est lésé ? Qui s’en frotte les mains ?

Autant de questions qui méritent des réponses circonstanciées pour éviter de subir des avatars conjoncturels. Sait-on que de colossales fortunes s’apprêtent à préempter le sport africain ? Ils tablent sur la jeunesse africaine qu’ils considèrent comme un réel vivier de talents à formater en vue de répondre aux exigences de la haute compétition. Les multinationales n’excluent pas d’investir massivement en Afrique perçue comme un formidable relais de croissance. A leurs yeux, point de doute : les fonds à injecter seront les vecteurs des rentabilités futures. Que cela n’étonne personne si, demain, des hommes acquièrent des droits, d’autres des stades et d’immenses aires de jeu et que d’autres encore ne deviennent propriétaires exclusifs de spectacles africains, réalisés en Afrique par des Africains mais vendus à des marchés friands d’exotisme venu d’Afrique.

L’Asie, l’Arabie, l’Amérique sont de vastes aires économiques qui prospèrent à vue d’œil. Ils sont de gros consommateurs de compétitions internationales. Certains jeunes footballeurs africains choisissent ces destinations pour mieux s’exporter. Partis dans des conditions peu formelles, souvent leurs aventures se terminent en mésaventures ponctuées de déceptions en raison de l’espoir que ces jeunes représentaient pour les familles en termes de revenus et de pouvoir d’achat accrus. Doit-on accepter de ne percevoir le continent africain que comme un réservoir de joueurs ? Faut-il s’orienter vers des options de réalisations de soi sur place ? Il y a lieu d’envisager cette perspective ne serait-ce que pour freiner la saignée et endiguer les déperditions.

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