Reportage – Trekking à Kédougou : une escalade à couper le souffle (Par Mame Woury Thioubou)

 

Par Mame Woury THIOUBOU – lequotidien.sn

Le Sénégal est un pays généralement plat. Et les excursions touristiques privilégient souvent le confort. Mais pour aller à l’assaut des montagnes de Kédougou, endurance physique et volonté sont nécessaires. Loin des photos glamours et des images idylliques partagées par les randonneurs, ce parcours tient plus du stage de survie. Efforts physiques, expérience de l’humilité et de la vie simple des habitants de ces contrées oubliées sont autant de leçons apprises au cours des 5 jours que dure le périple !

Le village de Dindéfello semble se blottir dans les bras de la montagne. Les petites maisons aux toits parfois colorés sont éparpillées. La route qui traverse le village passe devant ce qui ressemble au cœur de cette localité de la région de Kédougou, célèbre pour ses attractions touristiques. Des femmes sont installées devant des cantines. Elles s’apprêtent à lancer la cuisson des repas. Une jeune fille est occupée à découper des légumes, une vieille maman assise sur un banc garde l’œil sur ses jeunes protégées, prête à intervenir. Des hommes en petits groupes discutent. A l’entrée du village, un groupe de 5 jeunes gens écoutent joyeusement Sitya Loss de Eddy Kenzo. Le volume est fort, mais cela donne un air de fête. Comme un colosse, la montagne observe tout et voit tout. Bientôt, il faudra se lancer sur ses pentes. Mais avant cela, le groupe se pose pour un petit debrief au Musée communautaire de Dindéfello. Djibril Camara explique les règles de l’ascension et présente les différents sites à visiter. Ensuite, le guide désigné, Saliou, prend la tête du cortège qui se forme. On s’arrête une nouvelle fois au pied de la montagne, dans un campement tenu par les jeunes du village. La voiture ne peut pas aller plus loin. Il faut marcher pour rejoindre le point de départ de la piste qui escalade la montagne. L’air est vif et la chaleur, malgré l’heure, reste supportable. La file se reforme et en route pour 5 à 6h de marche, d’escalade et de trekking. Travel With Ziggy (Twz), une start-up orientée sur le voyage, organise chaque année une randonnée dans ces contrées. Loin des sentiers battus, l’expérience fait appel à l’endurance.

A flanc de montagne
Le sentier qui permet d’arriver au sommet de la montagne est tracé à flanc de colline. Comme des escaliers, mais ici, ce sont les rochers qui en forment les marches. Les premiers mètres franchis, la montée se fait sentir. Les muscles commencent un long travail. Les premiers mètres sont sans doute les plus difficiles. Surtout pour les corps non entraînés. Sous la frondaison des arbres, le chemin s’étire et c’est en colonne que l’on poursuit la montée. Au bout de quelques petites minutes, les respirations se font sifflantes, le souffle devient laborieux ! Il faut convaincre le guide Saliou, un natif de Dindéfello, de marquer une pause. Elles vont beaucoup se répéter durant l’heure qu’il aura fallu pour arriver au sommet de la montagne. Il faut dire que les natifs des lieux n’en auraient eu que pour un quart d’heure au plus. D’ailleurs, des élèves font le trajet tous les jours pour aller en classe au bas de la montagne. Et tout au long du chemin, il arrive de croiser un homme lourdement chargé. Les marchandises, les vivres doivent tous emprunter ce chemin pour parvenir à Dandé, un des villages installés sur le plateau. Une dame, bébé au dos, un sac posé en équilibre sur la tête, nous dépasse, le pied léger. Elle descend dans la vallée, escortée par un jeune garçon portant sa valise. Sur la piste, la végétation est dense et toutes sortes de terreurs commencent à surgir. Mais avec la fatigue, elles seront finalement reléguées très loin. L’esprit se concentre sur les obstacles. Une roche escaladée après l’autre. Difficile de lever le regard sur ce qui nous entoure sous peine de trébucher. Il faudra attendre d’arriver à un des observatoires que la nature a aménagés à flanc de colline. La vue est à couper le souffle. Au loin, les montagnes de la Guinée sont nimbées d’une belle couleur bleue, les nuages semblent toujours leur murmurer de belles histoires. Au bout de longues minutes d’escalade, on arrive enfin au sommet du plateau. La beauté que l’on découvre efface instantanément les souffrances. L’impression de surplomber le monde est encore plus présente quand on arrive aux Dents de Dandé. Un plateau rocheux surplombe le site et le regard ne peut se rassasier de cette vue. Les dents sont une formation rocheuse en pointe qui évoque justement des dents. Les roches, de couleur ocre, sont parsemées de végétation. Le calme est olympien. On s’entend vivre et respirer. La communion avec la nature est totale.

Dandé, le village dans la montagne
Avant d’arriver à ce lieu enchanteur, il aura fallu marcher, encore escalader des rochers et crapahuter au cœur d’une nature généreuse. Sur le plateau par contre, le bowal et ses champs d’herbes ondulent au vent. Sur les versants, des bruits de rires. Ce sont des villageois qui travaillent sur leurs champs de Tigua (arachide) et de fonio. Cette céréale miraculeuse ressemble fortement à de l’herbe. Mais ses tiges sont chargées de minuscules graines. Ce sont elles qu’il faudra battre pour en ressortir cette petite graine blanche qui constitue la base de l’alimentation. Procédé difficile par lequel les femmes sont contraintes de passer. Pas d’électricité dans ces zones, mais un forage au village de Dandé où nous arrivons au bout de quelques heures de marche pour remplir les bidons. L’eau coule à gros débit et le plaisir est immense de s’en asperger la tête. Pour arriver aux grottes de Dandé, la piste serpente dans la brousse. Tantôt nous traversons des marécages ou des sols gorgés d’eau, tantôt c’est sous les arbres qu’il faut se frayer un chemin. Si vous vous demandez pourquoi les villageois marchent toujours à la queue leu-leu, l’explication est là, la piste ne permet pas à deux personnes de passer de front. Il faut passer par une descente périlleuse pour arriver aux grottes de Dandé. Il y a de nombreuses années, Bassaris et Bedicks avaient occupé ces grottes pour échapper aux hordes guerrières de Alpha Yaya, le conquérant peul venu de la Guinée voisine et décidé à islamiser ces populations de religion animiste. Sanguinaires, les envahisseurs n’hésitaient pas à enlever les femmes et à tuer les vieillards. Les hommes valides étant réduits en esclavage ou massacrés sur place. C’est pour échapper à cela qu’ils trouvèrent refuge dans ces grottes. Largement ouverte sous le flanc de la montagne, la première grotte où l’on arrive après une descente périlleuse, s’ouvre sur quelques mètres. Le sol est recouvert d’argile fine. Et du fond, partent des cavités. Ce sont, paraît-il, des tunnels qui courent sur des kilomètres, sous la montagne. Certains disent même qu’ils vont jusqu’en Guinée. Mais personne n’est allé vérifier. Il faudra attendre que des spéléologues viennent s’en assurer. Encore plus bas, une cascade jette son filet d’eau du plateau surplombant les grottes. A quelques mètres en dessous, une autre grotte beaucoup plus grande. Les fuyards y passaient la nuit après avoir parcouru la brousse dans la journée pour chercher de la nourriture et surveiller les troupes ennemies. Une fois la visite effectuée, il faut remonter encore pour aller à la recherche des sources de la chute de Dindéfello. Comme pour les autres parcours, le chemin n’est pas simple. Il faut suer, beaucoup suer, pour espérer voir ces beautés cachées au cœur d’une épaisse végétation.

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