Tambacounda : Père Xec Marquès plaide pour l’augmentation de la subvention dédiée à la formation professionnelle

 

Tambacounda, 23 déc (APS) – Le père Xec Marquès est un Salésien de Don Bosco, une congrégation religieuse de l’Eglise catholique. Depuis quatre ans, il dirige le centre de formation professionnelle Don Bosco, situé dans le quartier Médina Coura, à Tambacounda (est). Depuis 1987, ce centre joue un rôle important dans la formation des jeunes de cette région qui ont abandonné l’école. Avec ses 199 élèves inscrits cette année, le centre en passe d’atteindre sa capacité d’accueil, devant une demande croissante de formation, veut se réinventer. Il reçoit des bénéficiaires des bons de formation du 3FPT, le Fonds de financement de la formation professionnelle et technique, offre des prestations de courte durée aux organisations non gouvernementales, aspire à devenir une école-entreprise et trouver un espace capable de contenir ses pensionnaires. Dans un entretien avec l’APS, son directeur plaide pour l’augmentation de la subvention octroyée par l’Etat aux centres de formation professionnelle. Le centre de formation professionnelle Don Bosco veut aussi former ses pensionnaires aux métiers des mines, à l’entretien des véhicules et des chemins de fer.

 

De l’envoyé spécial de l’APS, Alioune Diouf

Pouvez-vous nous présenter le centre Don Bosco que vous dirigez ?

Le centre de formation Don Bosco de Tambacounda existe officiellement depuis 1987. Il compte deux filières de formation: l’électricité et la mécanique automobile. Le centre abritait aussi un atelier de construction métallique, qui est fermé depuis quatre ans. Nous avons maintenant deux filières. Nous délivrons un brevet d’études professionnelles (BEP) et un certificat d’aptitude professionnelle (CAP). L’année 2022 a vu sortir la dernière promotion de ce que l’on peut désormais considérer comme un ancien système, à savoir la programmation par objectif. Depuis 2012-2013, le ministère de la Formation professionnelle s’est orienté vers l’APC, l’approche par les compétences. Elle n’aboutit pas à un examen, mais à une certification de compétences professionnelles. C’est la tendance actuelle, qui consiste à faire de la formation professionnelle un dispositif de développement des compétences professionnelles, le but étant d’arriver à l’insertion professionnelle du bénéficiaire. Pour ce faire, il faut connaître les compétences demandées par le marché du travail et, en fonction des métiers reconnus, élaborer des référentiels de formation et de certification. Nous sommes déjà entrés de plain-pied dans l’approche par les compétences. Cette année, nous avons la première promotion, qui va passer la certification pour les diplômes du CAP et du BEP. Nous dépendons de l’Office national de l’enseignement catholique. Nous avons débuté nos formations avec le site de l’actuelle maison des œuvres,  avec de petits ateliers informels de menuiserie et de soudure.  Par la suite, nous avons eu l’autorisation d’ouvrir un centre, sous couvert de l’Office national de l’enseignement catholique, puisque nous sommes dans l’enseignement privé catholique. C’est en 2000 que nous avons obtenu la reconnaissance juridique. Puis en 2016, notre établissement est un centre d’examen pour le CAP industrie, qui reçoit les candidats de Kédougou (sud-est) et de Kidira (est). C’est grâce à un projet de l’Agence espagnole pour la coopération internationale au développement que nous avons pu construire et équiper nos salles de classe et nos ateliers.

Combien d’apprenants compte le centre Don Bosco ?

Dans ce centre, nous avons actuellement 199 apprenants répartis entre la mécanique et l’électricité, dont 12 filles. Ce que nous constatons en regardant le tableau de l’effectif de la troisième année, c’est qu’il y a une augmentation progressive de la demande de formation professionnelle. Par exemple, en électricité, en troisième année, nous avons 39 élèves. Mais en première année, il y en a 87. Pour la mécanique, nous avons 19 élèves en troisième année et 27 en première année, par exemple.

Quels sont les critères d’admission à ce centre ?

Nous n’avons pas beaucoup de critères d’admission en droite ligne de la mission donnée aux centres de formation, qui est  d’élargir la cible. Nous constatons qu’il y a des adolescents qui quittent précocement l’enseignement général et se retrouvent sans aucune formation. Nous avons des adolescents de 15 ans. Certains de nos pensionnaires ont 22, voire 23 ans.

Grâce à un test d’orientation auquel l’apprenant est soumis, nous pouvons définir son curriculum de formation et son profil de sortie… Son parchemin lui permet déjà d’entrer dans le marché du travail comme stagiaire, aide-ouvrier dans l’entretien automobile, etc. Il comporte cependant une délimitation très claire des compétences professionnelles de son titulaire.

Quel est le profil de ceux qui sollicitent une formation dans votre structure ?

Nous avons des élèves qui ont échoué à l’examen du baccalauréat. L’année dernière, nous avions une bachelière, des jeunes venus des ‘’daara’’, qui veulent avoir une formation professionnelle leur permettant au bout de deux ou trois ans d’entrer dans le monde du travail. Le service que nous rendons est un service que l’enseignement général ne peut pas assurer.

Vous limitez-vous à la formation classique ?

Nous sommes en train d’offrir une formation de plus de trois cents heures à 23 détenus de la maison d’arrêt et de correction (prison) de Tambacounda et trois agents de l’administration pénitentiaire. C’est dans le cadre d’un accord entre le ministère de la Justice et le 3FPT que nous formons ces détenus, pour renforcer leurs compétences professionnelles et aider à leur insertion dans le monde du travail. C’est la filière mécanique automobile qui assure actuellement cette formation au terme de laquelle la maison d’arrêt et de correction va se doter d’un minimum d’équipements et de compétences professionnelles pour assurer de petites réparations et l’entretien des véhicules… Aux 199 inscrits pour les formations courtes il faut ajouter les 60 apprenants en état d’arrestation… Nous sommes aussi sollicités par certaines organisations non gouvernementales intervenant dans l’électrification rurale, dans la région de Tambacounda… Actuellement, la GIZ (l’agence chargée des services de la coopération allemande), par le biais d’un programme, a sollicité notre centre pour la formation de quatre cohortes de 20 bénéficiaires. Elle durera vingt et un jours pour chaque cohorte. Il s’agit d’une formation en électricité domestique de base, en maintenance et entretien des installations solaires en milieu rural. Il y a aussi une petite ONG, Ambe Koun Solidarité, qui nous sollicite pour former des personnes capables d’assurer la maintenance des forages où sont installées des pompes solaires. Pour toutes ces raisons, nous ne sommes pas un centre de formation classique. Nous sommes en concertation avec le monde du travail et sommes appelés à développer les compétences professionnelles dont le monde du travail a besoin.

Quelles sont vos sources de financement ?

Jusqu’en 2021, nous avons bénéficié de l’aide de VIS, une ONG qui avait un programme de quatre ans. Son aide nous a permis d’assurer des dépenses de fonctionnement et d’équipement. Son aide nous a permis de sortir financièrement de la zone rouge en payant nos dettes. Pour cette année, c’est heureux que le 3FPT ait augmenté le nombre de bons de formation, dont une partie a été utilisée pour régler la scolarité des apprenants… Cela nous a valu un taux de recouvrement de la scolarité de 70 % au moins. Avec les frais d’inscription. La prestation de service pour les ONG permet d’abord aux formateurs de travailler davantage et d’avoir des revenus supplémentaires. La GIZ a accordé une subvention de 1 million de francs CFA au centre pour l’aider à assurer ses activités de formation. Nous espérons, cette année, que la GIZ va nous aider à boucler le financement. C’est le lieu de faire le plaidoyer auprès du ministère de la Formation professionnelle, pour qu’il allège la machine par le biais des mécanismes de financement, pour qu’on puisse commencer les cours à temps et augmenter le nombre de bénéficiaires des bons (selon les prérogatives du ministère).

Depuis quelques années, le 3FPT est un de nos partenaires privilégiés. Il donne l’opportunité à beaucoup de jeunes d’avoir des bons de formation. Nous sommes un centre privé, où l’on paie 52.000 francs CFA à l’inscription et 17.000 francs par mois. Soit 178.000 au total, ce qui ne couvre que 60 % du coût de la formation. Tous les élèves inscrits sont subventionnés par le centre, parce que la part du coût de formation que le 3FPT peut se permettre de supporter est de 300.000 francs CFA, dont 10 % pris en charge par les bénéficiaires. Les 90 % étant assurés par les bons de formation.

Est-ce que vous arrivez à vous en sortir ?

Heureusement, grâce au 3FPT, le compte peut se porter mieux, même si les subventions de l’Etat sont un peu modestes.  Notre budget annuel est de 48 millions. Cette année, les primes d’examen et la subvention ne font que 3.551.000 francs CFA. Nous luttons contre les impayés de la scolarité. Mais à un moment donné, il faut comprendre que des gens traversent des situations difficiles. Le centre Don Bosco, je le dis toujours aux parents des apprenants, aux tuteurs et aux élèves, ne ferme pas la porte à un jeune qui est motivé. On n’exclut pas quelqu’un du centre à cause de problèmes financiers. Les postulants s’inscrivent sur la plateforme Sénégal Services. Ensuite, le 3FPT délibère et octroie les bons. Il faut dire que la machine est lourde. C’est l’une des limites du 3FPT. Nous avons commencé la première année au début de novembre. Mais nous n’avons pas pu stabiliser nos finances jusqu’à la semaine dernière, parce que les bons de formation sont arrivés tardivement. Il nous revenait de contacter ceux qui se sont inscrits sur la plateforme pour vérifier s’ils étaient toujours disponibles ou non pour la formation, puisqu’ils avaient postulé depuis août ou juillet. Voyant que les bons n’arrivaient toujours pas, ils auraient pu changer d’avis. Nous avons introduit une liste d’apprenants inscrits au centre, sans être retenus parmi les bénéficiaires de bons. Ils sont confrontés à des difficultés financières…

Tous les apprenants sont-ils originaires de la région de Tambacounda ?

Les pensionnaires sont surtout originaires de la région de Tambacounda… Faute de structure d’accueil ou d’internat pour héberger les jeunes issus du milieu rural, ils ont souvent des tuteurs à Tambacounda.

Quel plaidoyer voudriez-vous faire à l’endroit des pouvoirs publics, à quelques jours du Conseil des ministres délocalisé de Tambacounda ?

Le ministère devrait augmenter sa subvention directe pour que les centres puissent investir et renouveler leurs équipements. Ce que nous demandons, c’est surtout d’être en phase avec le monde du travail. Depuis quatre ans, tout ce qui est mécanique automobile est en train de changer et les voitures diesel vont disparaître. Il y a de plus en plus de voitures  électroniques et les voitures électriques vont arriver. Les nombreux changements en cours nécessitent une mise à jour des formateurs et des équipements.

Par exemple, il nous est demandé, dans l’approche par les compétences, que tous les apprenants maîtrisent l’outil informatique à des fins professionnelles. Qu’ils soient en mesure d’établir des factures et d’utiliser certains logiciels. Les électriciens, eux, doivent pouvoir faire des schémas et faire des recherches pour avoir une documentation technique sur Internet, maîtriser le langage technique de leur métier en anglais. Ce sont des compétences nouvelles qui n’existaient pas dans les examens du CAP et du BEP. Et cela demande des équipements qui coûtent très cher.

Il faut féliciter l’Etat du Sénégal pour ce qu’il a fait dans le système de formation professionnelle. C’est vrai qu’il y a eu un financement ponctuel… Actuellement, dans les centres, nous avons un dispositif de gestion de la formation. Il est assez intéressant et est de qualité, mais il doit être réactualisé. C’est là que nous dépendons beaucoup des financements extérieurs. Cela a été possible par la coopération extérieure avec l’Organisation internationale de la francophonie, le Canada et le Luxembourg, qui ont beaucoup contribué au financement de ce travail. Je crois que c’est un travail qu’il faut poursuivre, pour que les centres de formation professionnelle puissent être en phase avec la demande du monde du travail.

A Tambacounda, nous avons engagé la réflexion, mais il nous manque des moyens. Il appartient au ministère et aux inspections d’académie de faire le travail d’analyse de tous les besoins de formation professionnelle en agriculture, un secteur en pleine mutation, avec l’accès à l’énergie solaire pour le système d’irrigation écologique ou la mécanisation. Dans la sous-région, nous voudrions que ce travail soit fait avec une prise en compte des compétences spécifiques au secteur minier.

L’Etat peut définir un référentiel de certification des métiers et compétences pour des formations courtes de six à neuf mois pouvant aider les jeunes de la région à avoir les compétences professionnelles nécessaires pour travailler dans le secteur minier de la région. Un autre domaine pour lequel il y a un besoin de formation,  c’est les gros porteurs. La formation doit être adaptée à la vocation de Tambacounda, qui est un carrefour. Le jour où le train reprendra du service, nous aurons aussi besoin de compétences dans ce domaine. Il y a un travail d’anticipation à faire par l’Etat pour que nous puissions mieux répondre à notre vocation de développement des compétences.

Je salue l’effort que l’Etat est en train de faire. Nous sommes prêts à être évalués. Qu’on reconnaisse la qualité de la formation et l’opportunité qu’on offre à beaucoup de jeunes de se former dans un milieu où il est difficile d’exiger des coûts  de formation élevés aux familles des apprenants. Le ministère de la Formation professionnelle ne prend pas en charge la construction et les équipements…

Cette situation crée-t-elle un blocage du fonctionnement de votre centre ?

Nous faisons tout pour qu’il y ait moins de blocages. L’alternative est de travailler avec le monde professionnel.  Nous avons, depuis des années, une cellule d’appui à l’insertion. Il y a des stages en entreprise, pendant les vacances, surtout pendant les week-ends… En électricité aussi, nous avons une équipe de formation qui est en contact avec le monde du travail. Nous pensons à créer un GIE (groupement d’intérêt économique) pour arriver à  l’école-entreprise… Pendant les vacances, une trentaine de nos anciens élèves électriciens, accompagnés d’un formateur, avaient travaillé avec la Senelec (Société nationale d’électricité du Sénégal) au remplacement de 1.000 compteurs dans les départements de Vélingara et de Kolda. Nous avons pu décrocher ce marché avec l’aide d’un de nos formateurs. L’hôpital régional a aussi accueilli nos stagiaires. Nous cherchons également à envoyer nos stagiaires à la Sodefitex (Société de développement et des fibres textiles), tout comme nous voulons nouer un partenariat avec Era, pour ce qui est de l’électrification rurale, justement pour combler le déficit du centre en termes d’équipements. Il y a un déficit que le centre ne peut pas combler. Nous cherchons à nous structurer, mais le tissu d’entreprises est ce qu’il est à Tambacounda. En tant que centre de formation, la structure doit inculquer des notions de protection de l’environnement, d’hygiène et de sécurité à ses pensionnaires…

Peut-on dire que le centre Don Bosco a atteint ses limites en termes de capacité d’accueil ?

Avec les infrastructures que nous avons, c’est peut-être en mécanique automobile que nous pouvons encore accueillir des apprenants… Nous avons presque atteint la limite, qui est de 200, voire 225 places. Nous avons un garage en ‘’stand-by’’ pour le moment. Nous allons aménager un espace dans ce garage, spécifiquement pour la formation dispensée avec le soutien de la GIZ. Mais il faut admettre que le centre est petit par rapport à la demande.