Colombie : L’étonnant festival où le «blackface» est un «patrimoine de l’Humanité»

 

Aux Etats-Unis ou en Europe, c’est une pratique infamante héritée de l’esclavagisme et jugée raciste. En Colombie, le «blackface», qui consiste à se grimer le visage de noir, a son carnaval annuel, particulièrement populaire et qui célèbre «la fraternité humaine».

Inscrit à l’Unesco

«Bienvenue à la seule fête où la peinture sur le visage est un patrimoine de l’Humanité!» clament sur leur site internet les organisateurs du festival de Pasto, capitale du département de Narino, dans le sud-ouest du pays. Le «carnaval des Noirs et des Blancs» rassemble chaque année, du 28 décembre au 6 janvier, des milliers de personnes en liesse, dans cette région de la côte Pacifique, frontalière de l’Equateur sur les contreforts de la cordillère des Andes.

Inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’Humanité de l’Unesco, reconnu également comme un «patrimoine culturel de la Nation», le carnaval est l’un des plus importants festivals de Colombie. Il se déroule depuis plus d’un siècle dans une région fortement marquée par les inégalités raciales et économiques, où vivent de nombreux Afro-Colombiens et diverses communautés indigènes.

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«Raviver la fraternité humaine»

Les célébrations commencent par des batailles d’eau géantes, avant des bûchers le 31 décembre, la crémation de pantins en bois ou paille et un défilé des «colonies», célébration costumée de toutes les communautés de la région. L’événement culmine par deux jours d’apothéose, les 5 et 6 janvier, où «tout le monde, quelle que soit son origine ethnique, s’enduit le visage de maquillage noir le premier jour, puis de talc blanc le jour suivant», résume l’Unesco.

«Le jour des Noirs» est une «pratique ludique (…) qui consiste à se peindre le visage à la peinture noire comme un rituel de liberté» dans le but de «raviver la fraternité humaine». Lors du «jour des Blancs», qui correspond à l’épiphanie, habitants et touristes se lancent des nuages de talc ou des jets de mousse blanche lors d’un défilé sur sept kilomètres avec chars, carrosses, figurines et marionnettes multicolores.

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«Tout le monde participe»

Ici, contrairement aux Etats-Unis et en Europe, pas de controverse et d’accusation de racisme autour du «blackface». Tout au contraire. «Le carnaval des Noirs et des Blancs célèbre la fraternité humaine. Nous sommes un seul peuple», sourit Milton Portilla, directeur de la culture pour le département de Narino. «Ce carnaval nous donne une grande leçon: il ne faut pas parler de races, il ne faut pas parler de différence, il n’y a que des êtres humains qui recherchent tous la joie, la fraternité et la solidarité», se félicite-t-il.

«Tout le monde participe, c’est un miracle, c’est magnifique!» s’étonne James Eisel, un touriste américain, chapeau de paille sur la tête et maquillage noir sur les pommettes. «Aux Pays-Bas, cette pratique est très controversée. J’ai demandé ici si c’est la même chose. On m’a dit que non, cela fait partie de la culture locale», s’enthousiasme Toby Boecker, venu d’Allemagne, lui aussi le visage grimé de noir.

Conjectures nombreuses

Le carnaval serait une réminiscence des fêtes d’esclaves au 17e et 18e siècles, tolérées par la couronne espagnole pour tenter de contenir les révoltes. Pour Leonardo Sanson Guerrero, qui fut pendant plusieurs années l’un des responsables de l’événement, ce dernier est «l’expression d’une identité culturelle». «Le jour des Noirs a pris de l’ampleur dans la dernière décennie du 19e siècle», tandis que le jour des Blancs a été institutionnalisé en 1912. «Le maquillage et la peinture sur le visage sont des pratiques culturelles universelles», rappelle-t-il, expliquant que les conjectures sont nombreuses sur l’origine des jours des Noirs et des Blancs.

(AFP)