Bakel, un département enfoui dans les décombres de l’oubli

Excellence, M. le président de la République ;
J’écris ces mots sans avoir la certitude que vous les lirez et même si vous les lisez, s’ils suffiront à vous convaincre. En 2008, alors que le démon de la séparation avait fini de rompre votre compagnonnage politique avec votre ancien mentor Maître Abdoulaye Wade, en quête d’une légitimité populaire, vous avez, en son temps, entrepris une pérégrination qui vous avez conduit un peu partout à travers le pays. Jusque dans les contrées les plus éloignées du Sénégal.

Excellence, partout où vous avez eu à sillonner, votre délégation a eu droit à un accueil chaleureux voire enthousiaste. Mais au delà de ces ovations et raz de marrée adhérant à votre cause, on pouvait aussi lire sur le visage des populations, un sentiment d’espoir. Espoir qu’un nouveau soleil se lèvera. Espoir qui se traduirait par une meilleure condition de vie des populations, une baisse véritable des prix des denrées de première nécessitée, l’emploi aux jeunes, la résolution de la question de l’énergie etc. N’est-ce pas, Excellence, que cette tournée a été une occasion pour vous, de vous enquérir de la dure réalité quotidienne de nos concitoyens.  Par la grâce d’Allah, Maître incontesté, depuis le 25 mars 2012, vous êtes élu président de la République du Sénégal. De ce fait, vous devez pour les cinq années à venir présider aux destinées du Peuple sénégalais. Au nom du principe de l’égalité et de votre slogan : «la Patrie avant le parti»,

Excellence, M. le président de la République,
J’ose espérer que vos passions politiques ne vous détourneront guère du chemin tracé, de votre volonté de faire du Sénégal un pays émergent. Alors pour ce faire, il va sans dire que vous ne soyez pas un Président partisan. Autrement dit, que vous accordez sans parti-pris le même traitement à tous les citoyens. Autant qu’ils sont et où qu’ils se trouvent (citoyens des villes et ceux des campagnes).

M. le président de la République, détenteur temporaire du pouvoir,
Bakel manque de tout. Ba­kel est laissé en rade par l’Etat du Sénégal. Nonobstant qu’il soit toujours représenté par ses fils dans les différents compartiments de l’Etat, notre département est laissé pour compte par tous les régimes qui se sont succédé. De Senghor à votre magistère, notre localité à toujours eu des représentants dans les différentes sphères de l’Etat. Je peux citer entre autres M. Abdoul Khadre Cissokho, plusieurs fois ministre sous l’ère socialiste, ancien président de l’Assemblée nationale qui faisait de lui dans l’ordre protocolaire, la deuxième personnalité de l’Etat après le Président Abdou Diouf ; le Pr Abdoulaye Bathily plusieurs fois ministre et député, actuellement ministre-conseiller, crayonné d’être un abonné des démissions ; Dr Aminata Diallo, ex-ministre de la Santé de votre gouvernement d’alors, député-maire. Ces responsables politiques n’ont jamais su transcender leurs ambitions personnelles, leur égo pour la défense des intérêts du département. Ils nous rendent visite qu’à de rares occasions et même ça c’est pour venir solliciter notre électorat et après disparaître. Je trouve qu’il est si honteux, voire suicidaire, de voir un responsable politique se désolidariser de sa base.

Excellence M. le Président,
La population du département de Bakel a été parmi les premières à vous soutenir alors que vous étiez encore en campagne électorale et avait malgré tout, très tôt tourné le dos à l’ancien chef de l’Etat parce que portant beaucoup d’espoir à votre personne. Un an après votre élection, cet espoir semble s’émousser. Et de plus en plus les populations du département de Bakel s’enfoncent dans un trou de désespoir trop profond qu’elles n’ont jamais d’ailleurs quitté. Elles sont souvent oubliées par tous les régimes. Jadis ignorées par les régimes de Senghor, Diouf et Wade, elles sont dans la logique de toujours rester dans le lot des contrées coupées du reste du Sénégal. En effet, les fléaux les plus graves auxquels est confronté notre département sont : Un manque criard de services sociaux de base dans tous les domaines.

M. le président de la République,
Dans le domaine de la santé, avec une population de plus en plus croissante, un seul district sanitaire situé dans la ville de Bakel, chef lieu du département, polarise toute  la zone. Ce district est dans un état vétuste et présente un plateau médical délabré avec un manque de personnel qualifié. Une situation dangereuse qui rend difficile l’accès aux soins primaires et par la même occasion prive les populations de bonne santé. C’est pourquoi les pauvres gens, pour recevoir des soins de qualité, sont obligés de parcourir des kilomètres et des kilomètres. Cet état de fait, est la source de nombreux cas de décès de nouveaux nés et/ou souvent de leurs mamans qui généralement accouchent dans des conditions abominables. Il arrive que des malades meurent en cours de route du fait de manque criard de moyens de locomotion. Dans cette partie du territoire, M. le président de la République, le saviez-vous ? Certainement pas ! Les malades sont transportés à dos d’âne, en charrette ou taxis-brousse, faute d’ambulances. Sur le plan de l’agriculture, Excellence, notre zone peut fortement contribuer au développement du Sénégal. Zone située sur la vallée du fleuve, le département dispose de vastes domaines arables. Il dispose également d’une hydrographie abondante nécessaire à l’agriculture. Mais il y a un manque notoire d’outils agricoles, d’aliments de bétail, de semences et d’engrais. Ce manque a considérablement ralenti la production. Nos braves mamans qui ont besoin d’être financées ne disposent pas du plus petit engin devant leur permettre de générer des revenus pour au moins assurer leur ration alimentaire. C’est ici l’occasion pour moi de rendre un vibrant hommage à tous mes parents émigrés à qui nous devons aujourd’hui, en partie, notre honorabilité. Ces hommes et femmes ont fondamentalement contribué à l’amélioration de nos conditions de vie. Ils ont construit dans les villages des écoles, des dispensaires, des forages et font entrer par an dans l’Economie nationale des milliards en termes d’investissement direct étranger.

M. le président de la Répu­bli­que ;
Dans le cadre d’une politique économique sous-régionale, l’Etat du Sénégal gagnerait à créer un programme de développement global dans cette zone stratégique, autour des secteurs tels que le tourisme, le commerce et l’agriculture pour jeter les bases du développement du département en particulier et du pays en général. Ceci permettra au département d’être le maillon fort du commerce entre les pays limitrophes et par conséquent booster l’Economie nationale. Au niveau du secteur de l’éducation, à l’instar des autres départements, Bakel rencontre également d’énormes difficultés dans ce domaine. En effet, notre zone est considérée comme une zone de test ou de sanction pour les nouveaux pratiquants du métier de l’enseignement. On constate que de nombreux enseignants refusent d’aller servir dans cette zone sous prétexte qu’elle est loin ou qu’il y fait chaud. Ainsi, la quasi-totalité du personnel enseignant est composé de volontaires et de vacataires dont la formation reste à améliorer. Ce qui impacte gravement sur le niveau des élèves. Une autre conséquence de cette situation est le fait que tout le système est paralysé dès que ces corps émergents sont en grève. Or un fonctionnaire de l’Etat doit être prédisposé à servir son pays partout où le devoir l’appelle. A la décharge de mes maîtres et professeurs, qui ont pleinement participé à ma formation intellectuelle, je dois dire qu’il y a parmi eux de vrais enseignants, qui ont toutes les connaissances requises pour exercer le métier. Je salue aussi le courage de certains qui, pour leur engagement, acceptent par conviction et par amour d’aller servir dans des zones reculées comme Kéniéba, avec tous les risques que cela peut engendrer. Zone, trop enclavée où tu risques d’être bloqué, si jamais les premières pluies t’y surprennent.  Depuis quelques années maintenant, l’orientation du système éducatif par les décideurs est axée sur la revalorisation des filières scientifiques. Mais il me semble que cette mesure n’a pas concerné le département de Bakel. Dans la mesure où, aucun des lycées ne dispose en son sein de série S1. En plus des moyens humains, il y a le matériel pédagogique qui fait défaut. Les établissements scolaires sont sous-équipés ; il n’y a ni laboratoires pour l’encadrement des élèves ni bibliothèques encore moins d’outils informatiques. Des matières comme économie familiale, musique, technologie et gestion qui ont aussi leur importance dans la formation d’un homme, ne sont pas enseignées faute de professeurs.

Sur le plan des infrastructures routières, Excellence, M. le président de la République ;
De tous les maux qui gangrènent notre département, l’absence de routes de qualité est le mal qui se fait sentir le plus. C’est certainement, cette partie du «corps» du département où la situation va, de plus en plus, de mal en pis. Le voyageur dès qu’il emprunte la voie jusqu’à ce qu’il arrive à destination son cœur n’arrête jamais de battre la chamade. Cet affolement et cette grande peur d’emprunter nos routes ont fini par devenir aujourd’hui un secret de polichinelle dépassant même les seuls habitants de la zone pour pénétrer dans les cortèges des candidats en campagne électorale. Je crois que votre allié Moustapha Niasse ne me démentirait point. Car lui en avait fait les frais. Le candidat de la coalition Bennoo siggil Sénégal est un témoin oculaire de l’état défectueux de nos routes. En effet, le 16 février 2012 de retour de Bakel, à 52km de la ville les véhicules 4X4 de la coalition Bennoo siggil Sénégal et le minibus des journalistes allumèrent subitement des feux de détresse occasionnant du coup des pertes en vies humaines (bilan 3 morts). Ainsi comme la zone ne dispose pas de caserne de sapeurs-pompiers, l’attente des premiers secours a été longue, très longue même. Et la grue tant désirée pour dégager les corps ne venant toujours pas. Face à son impuissance, Niasse n’avait pas d’autre choix que d’observer cette tragique scène qui se déroulait sous ses yeux. J’ai encore en mémoire ce cri du cœur de Mme Penda Mbow réagissant sur les ondes de Radio Sénégal international (Rsi), qui était émue en découvrant l’état dans lequel se trouve l’impraticabilité de nos routes. Le pont, reliant Bondji à Bakel, est dans un état de délabrement avancé et fait chaque année des victimes. Pendant l’hivernage, le déplacement des habitants est souvent bloqué car ce phénomène qui est d’une extrême gravité cause à ces derniers beaucoup de dommages. M. le président de la Répu­blique, je ne saurais terminer sans évoquer l’aspect sécuritaire. En effet, dans notre zone, l’insécurité règne en maître et ceci est d’autant plus vrai qu’à chaque fois que le nom de notre département apparaît dans un journal, c’est dans la rubrique des faits divers et avec comme champ lexical : viol, mariage forcé, excision, homicide etc. Mais jamais un programme de développement local pour le département. C’est pourquoi, il urge aujourd’hui, d’installer dans notre zone des commissariats de police, de brigades de gendarmerie, pour lutter éventuellement contre le banditisme, la grande délinquance, la criminalité ou le vol de bétail qui sont un casse-tête pour la population ainsi que des casernes de sapeurs-pompiers.

 

Source lequotidien.sn /