Conséquences de la tuerie de Diyabougou : L’économie de tout un arrondissement suspendue

Dossier réalisé par Assane Diallo / envoyé Spécial à Diyabougou pour tambacounda.info /

Les populations du village de Diyabougou, dans l’arrondissement de Kéniéba, communauté rurale de Sadatou, département de Bakel ont battu le macadam dans les principales artères dudit village. La raison de leur courroux, l’arrêté du Gouverneur de la région de Tambacounda, à la date du 8 mars dernier, portant interdiction d’activités artisanales d’orpaillage dans l’arrondissement de Kéniéba. Selon Makha Diop, porte-parole d’un collectif créé dans la localité, « la fermeture d’activités ne fait qu’accentuer la pauvreté dans cette profondeur du Sénégal ». C’est ainsi qu’il invite les autorités à la réouverture des « diouras » pour la survie de toute la zone.

De réelles menaces de famine planent dans le village de Diyabougou, dans l’arrondissement de Kéniéba, communauté rurale de Sadatou, département de Bakel et région de Tambacounda. Pour cause : l’interdiction d’activités artisanales d’orpaillage dans l’arrondissement de Kéniéba a aujourd’hui changé la donne dans ce gros village, véritable meelting pot où se côtoyait la quasi-totalité des nationalités de la sous région avec une population de plus de 60.000 habitants. Aujourd’hui, l’atmosphère et la nature sont enlaidies à Diyabougou et ses alentours. De par le spectacle offert par les sacs pleins d’ordures qui parsèment l’entrée du village route et par les émanations nauséabondes de la décharge publique. Même les agglomérations voisines immédiates se plaignent de cet état de fait. Vécu. Ceux qui fréquentaient le village assistent à un phénomène nouveau : la forte pétarade démographique qui faisait la spécificité du village dans la zone n’en était pas une raison qui n’avait empêché la localité d’être bien organisée, telle une société sénégalaise bien classifiée à la tête de laquelle règne le très puissant chef de village, Mady Sané Makalou, assisté dans ses fonctions par un comité de sages, laisse place à un village morose avec des sacs entiers d’ordures débordent à l’entrée. Un spectacle désolant. Des témoins révèlent que ce sont les orpailleurs, après la fermeture des Diouras ont déversé tout ce dont ils n’avaient pas besoin par terre camions chargés d’acheminer les ordures à la décharge qui déversent sur leur passage leur contenu, ainsi que des particuliers qui y jettent leurs sacs avant de quitter le village pour d’autres sites d’orpaillage.


Bilan de la tuerie : 9 morts, 33 blessés

Tout allait très bien dans ce village jusqu’à la soirée du mardi 5 mars quand une vive bagarre a éclaté entre un malien du nom de Sory Sanogo, ivre comme un polonais et des Burkinabés aussi ivres, comme lui, à leur sortie, dans un bar. Le bilan du règlement de comptes est de : 9 morts et une trentaine de blessés. Il s’agit des Burkinabés Djoné Ouédrago, Jonathan Obrado, Ibrahima Ouédrago, Akine Yabré, Aimer Songo et les corps en état de putréfaction très avancés du Burkinabé Savadogo et du malien Makhan Konaté qui ont été retrouvés dans la forêt avec des oreilles tranchées.  Le malien Sory Sanogo est le premier à mourir. L’un des blessés Burkinabé admis au district sanitaire de Kédougou a finalement succombé à ses blessures. Daouda Nzalé, Burkinabé âgé de 20 ans, un des meurtriers du malien Sory Sanogo a été arrêté et envoyé en prison. Aujourd’hui les affrontements ne sont que de souvenirs puisque les deux parties ont fumé le calumet de la paix à Kédougou grâce à l’intervention des autorités sénégalaises et les représentants des deux consuls Burkinabés et maliens.

 

L’interdiction d’activités artisanales d’orpaillage

Suite aux affrontements, des mesures ont été prises par les autorités. A la date du 8 mars, le gouverneur de la région de Tambacounda, Gabriel Ndiaye a sorti un arrêté faisant état d’interdiction d’activités artisanales d’orpaillage dans l’arrondissement de Kéniéba jusqu’à nouvel ordre. L’arrêté en son article 3 stipule que le « commandant de compagnie de la gendarmerie de Bakel, le chef de services des mines, le chef de service régional de l’environnement sont chargés en chacun en ce qui le concerne de l’exécution du présent arrêté qui sera publié. Un arrêté qui a été notifié au chef de village de Diyabougou, Sadio Makalou, le 12 mars par la brigade de gendarmerie de Kéniéba. Ce dernier que nous avions rencontré, jeudi dans la soirée, à Diyabougou devant des notables dans la cour de sa grande maison, brandit la copie et reconnait avoir pris « acte de cet arrêté » tout en demandant aujourd’hui la clémence des autorités pour la réouverture des diouras pour sauver la famine.

 

La rue pour interpeller les autorités

La fermeture des « diouras » a mis en colère et désœuvré toute une population qui n’a pas hésité à se confier à nous. Des centaines de pères de familles, accompagnés de leurs épouses et enfants, sont montés au créneau pour dire non à «l’arrêt du travail». A travers une marche pacifique pleine de symbole, les populations du village de Diyabougou, des villages environnants comme Sounkounkoun, Kéniéba, des notables et jeunes de la communauté rurale de Sadatou et des orpailleurs, ont battu le macadam dans les rues de Diyabougou pour exiger « la réouverture du site d’orpaillages » fermé depuis quelques jours par le gouverneur de la région de Tambacounda. Selon Makha Diop, un des porteurs de voix de ces marcheurs, par ailleurs président des sénégalais de Diyabougou, ce « site d’orpaillage était la fierté des populations de Diyabougou et de l’arrondissement en particulier ». Avec sa fermeture, poursuit-il, « c’est toute une économie qui est suspendue et menacée ». Des conséquences d’une mesure des autorités qui frappera les milliers de pères de familles qui travaillaient dans ces « diouras ». Munis de leurs pancartes, ces populations se demandent, qui pourrait aujourd’hui croire à l’actuel Président de la République, quand il promet 500 mille emplois par ans, alors qu’il ne peut préserver le peu d’emplois disponibles dans la région de Tambacounda ?

 

La famine guette les populations autochtones

Dans ce village, les populations pour la plupart des Malinkés ont abandonné leur principale activité qui était l’agriculture pour s’adonner à l’orpaillage traditionnel. Diyabougou regroupait avant les événements tragiques du mardi 5 mars dernier, 10 nationalités différentes (Sénégalais, Maliens, Burkinabés, Guinéens de Conakry, Mauritaniens, Nigérians, Ghanéens, Togolais, Camerounais, et des Guinéens de Bissau). Aujourd’hui, il ne reste que des sénégalais, maliens et quelques rares Guinéens de Conakry. Tous ont convergé vers d’autres sites d’orpaillage. La volonté commune de cette population qui partageait le même territoire, avait un seul objectif : celui de retrouver chaque jour des pépites d’or pour s’enrichir. Aujourd’hui la donne a complètement changé à Diyabougou après les affrontements. Le clame a pris place dans ce village, jadis très animé avec des va et vient. Le premier visiteur qui s’évertuerait dans ce village est affecté par ce calme qui y règne et l’absence d’activités. Une situation qui s’explique, selon Sadio Makalou, fils du chef de village, par ailleurs prote parole du village par le fait que « les activités dans les diouras sont suspendues jusqu’à nouvel ordre par le Gouverneur de Tamba qui nous l’a notifié par correspondance ». Dans le dit village, les regards sont toujours tournés vers les sites d’orpaillages traditionnels communément appelé « diouras » pour aller à la recherche de l’or ». Ce n’est pas seulement l’or, c’est aussi un commerce florissant où toute activité commerciale apporte gros. Aujourd’hui avec la fermeture des « Diouras », les habitants ne savent plus à quelle activité se fier. « Depuis la fermeture des diouras, mon activité ne marche plus », se plaint Racky Diarra, une jeune dame malienne venue du Mali pour s’activer dans la restauration. Elle ajoute : « il m’arrivait de terminer trois sacs de riz en deux jours mais depuis l’arrêt des activités tous mes clients sont partis ailleurs chercher fortune à travers l’or ». Meme son de cloche pour une Guinéenne, la quarantaine bien sonnée. « Depuis la fermeture des Diouras, ma famille souffre parce que je ne gagne plus rien. Je pouvais gagner en une journée 100.000 FCFA. Aujourd’hui meme 5.000 FCFA, je ne peux pas l’avoir ». Au bord du gouffre, les habitants sont complètement déboussolés car, selon Mamadou Cissokho, responsable des « diouras », la galère a déjà commencé. Et pour Guimba Cissokho, l’ouverture des « Diouras » est une nécessité pour sauver des milliers de famille. Aujourd’hui, sur les lieux, on constate que l’irréparable s’est déjà produit. Certains ont une frisette dans la gorge et ont du mal à s’exprimer, surpris par la fermeture. « Nous avons perdu tout ce que nous avions investi dans les Diouras à cause de sa fermeture », dit, Pape Seck un jeune Thiéssois, venu de sa ville natale. Et d’ajouter : « actuellement, tout le monde est très peiné parce que nous savons que c’est le début de la galère ». Selon lui, avec l’arrêt des activités, les pertes sont énormes. « A cause de cette situation, une famine précoce va s’installer à Diyabougou si les autorités ne rouvrent pas les diouras ». Et de renchérir : « les familles ont l’habitude de prendre une bonne bouillie de maïs le matin et je vous jure qu’on ne pourra rien avoir avec le manque d’activités dans les Diouras puis que le village ne vit que d’orpaillages traditionnels ». Chez les quelques rares maliens qui y restent faute de moyens de transport pour retourner chez eux, les visages sont crispés et se désolent des événements douloureux. « Nous sommes Maliens mais nous regrettons ce qui s’est passé avec nos amis Burkinabés. Les conséquences sont là. Nous en appelons au bon sens des autorités et la compréhension pour sauver des vies en rouvrant les diouras », confesse un jeune malien.

 

Le mal est général, dans tous les secteurs d’activités

Pas exactement : les orpailleurs, mais aussi commerçants, restaurateurs ou meme mécaniciens, tailleurs, surtout frigoristes souffrent de la décision du Gouverneur de Tambacounda d’arrêter toutes activités d’orpaillage dans le site de Diyabougou: leurs revenus tournent à un niveau de plus en plus bas, de façon chronique, depuis la notification. Adama Traoré, ressortissant malien qui s’active dans la réparation des machines ne cache pas son indignation. « Vous voyez (pointe du doigt) le vide, tous les « niafas » ont été abandonnés depuis la fermeture des diouras. Il n’y a plus personne à Diyabougou. Ils sont tous partis vers d’autres sites », se désole Ouztaz Traoré. Il n’y a pas que les résidents de ce village qui vivent cette situation dramatique. Même s’ils en sont fortement touchés. Même les habitants de la communauté rurale de Sadatou, ou de Kéniéba souffrent de la fermeture des Diouras. Dans la zone, tout le monde subit les effets de cette fermeture et le chômage qui se dégage. « Impossible de gagner quelque chose depuis l’arrêt des activités», témoigne un propriétaire d’un « niafas » et d’ajouter : « Les enfants, les femmes et les personnes âgées commencent à vivre difficilement et certains font des prières chaque jour pour la reprise des activités ». Une commerçante indique que des orpailleurs sont partis avec sont argent et ne croient pas vraiment qu’ils reviennent si le site reste fermé définitivement. Elle rappelle que pendant l’hivernage, toutes les activités sont au ralenti avec les fortes précipitations qui rendent inaccessibles aux « diouras ». « Aujourd’hui si rien n’est fait avant la tombée des pluies, ça va etre dur pour tout le monde », a-t-elle souligné. Pis, des champs sont abandonnés depuis quatre années et des orpailleurs n’ont plus la tete à la culture et ont jeté depuis des lustres le matériel des travaux champêtres. Afin que les autorités ne reviennent sur leur décision et fermer cette « plaie » dont souffre Diyabougou et environs, des imams, associations locales et des comités de sages organisent des rassemblements, multiplient les rencontres et rédigent des requêtes et marchent. Par leurs actions, ils veulent attirer l’attention sur la difficulté que vivent actuellement les populations à cause de la fermeture des diouras par le Gouverneur de Tambacounda.

 

Un dispositif sécuritaire de la gendarmerie pour surveiller les diouras

Après les événements douloureux et regrettables à Diyabougou et l’interdiction d’activités d’orpaillage, les sites sont placés sous haute surveillance de la gendarmerie. Comme l’huile sur le feu, les diouras sont surveillés par les éléments de la brigade de gendarmerie de Kéniéba, appuyés par l’escadron territorial de Tambacounda. Les voies qui mènent vers tous les « diouras » restent fermées meme à la circulation. Une situation qui n’est pas du goût des populations autochtones qui ont battu le rappel des troupes en marchant.

 

Quatres maliens arrêtés pour vol dans les « diouras »

Meme si la sécurité veille au grain dans les « diouras », force est de constater que des vols sont perpétrés dans des sites d’orpaillage. Quatre jeunes maliens ont été arrêtés par des habitants de Diyabougou. Ils sont reprochés d’avoir commis des vols pendant la nuit dans les diouras avant d’etre arrêtés. Dans la matinée du jeudi, les quatre voleurs, attachés à la corde par derrière, ils ont été conduits dans la cour de la maison du chef de village où attendaient des sages, des jeunes, des femmes entres autres curieux. Interrogés, ils ont reconnu tous les quatre les faits de vol. « Nous sommes venus du Mali. A notre arrivée, il faisait tard et nous avions profité de la pénombre et du calme pour commettre des vols de sacs remplis de cailloux d’or. Avant que nous battions retraite, nous avions été arrêtés » déclare un des leurs en Bambara  (dialecte malien). Et d’ajouter : « nous n’avions de quoi manger, les temps sont durs dans notre village malien, c’est pourquoi nous avions volé ». Après avoir récupéré les sacs volés, les voleurs ont été conduits chez les pandores qui ont éli leurs quartiers dans l’école primaire de Diyabougou.

 

Sanbrambougou, nouvelle destination

Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Depuis la fermeture des « diouras » de Diyabougou, la zone aurifère de Sanbrambougou est la nouvelle destination des orpailleurs. Plus de 20.000 personnes, selon le chef de village de Diyabougou, ont rallié le nouvel eldorado. « Ils sont tous partis parce que chez nous, c’est fermé », se désole M Makalou. Sanbrambougou, situé dans la communauté rurale de Missirah Sirimana, à 97 kilomètres de la commune de Kédougou, le village se dresse en pleine brousse avec ces cases rondes en paille, qui émergent de façon anarchique, sans respecter aucune règle de construction. Il y a aussi ces huttes appelées « niafas » en langue locale pour s’abriter le temps d’un séjour. Une autre réalité : sous les tentes installées partout dans les placers, on y parle plusieurs langues. Dans les placers de Sanbrambougou, où la majeure partie des chercheurs d’or sont originaires des pays de la sous région: Nigéria, Ghana, Burkina-Faso, Guinée, Mali, Cameroun, Sierra-Léone. L’activité principale des populations de ce village est l’extraction traditionnelle de l’or alluvionnaire. A l’entrée du village se dressent des dos d’âne pour permettre aux motocyclistes de rouler à moindre allure. Sur le site des placers, qu’on peut rallier au bout d’un quart d’heure de marche à partir du village, ce sont divers commerçants qui accueillent avec diverses offres et des activités de marchandages si intenses que les placers se transforment parfois en marché pollué par une nuisance sonore, entretenue surtout par les klaxons des véhiculent qui rivalisent d’ardeur avec les ronflements des motos. Ce village connait un boom de l’immigration dû aux chercheurs d’or venus y faire fortune. Tous ne sont pas la pour l’or, les femmes pour la plupart sont présentes pour se prostituer, car après une journée de travail harassante dans des conditions insoutenables à creuser et à faire sortir du sol, la terre contenant l’or, les orpailleurs ont l’habitude de se vider l’esprit dans les bras des femmes. Les passes vont de cinq mille (5 000 FCFA) à cent mille francs (100 000 FCFA) sans préservatif. L’ambiance est au top en cette fin de matinée de jeudi dernier dans ces lieux. Sur les étales disposés ça et là, des vendeuses de légumes, de la boisson exposée sur des glaciaires, des bonbons, du poisson et de la viande grillée, entre autres. Un autre commerce qui rapporte gros en période de chaleur est celui de la glace. «On se frotte les mains en période de chaleur. Parce que le commerce de la glace rapporte. On peut gagner 50 000f CFA par jour parfois même 75 000 FCFA», confie une jeune Guinéenne du nom de Fatoumata. En effet, le sachet de glace est vendu entre 400 et 500 FCFA, l’unité à Sanbrambougou comme dans les autres villages où l’or est exploité de façon artisanale.

 

Dossier réalisé par Assane Diallo / envoyé Spécial à Diyabougou pour tambacounda.info /