[ DOSSIER ] Guerre au Mali: Les conséquences à la frontière sénégalaise

Dossier réalisé par Assane Diallo envoyé spécial à la frontière Sénégalo-malienne pour tambacounda.info /

La guerre qui se déroule actuellement au Mali impacte plusieurs pays de l’espace ouest-africain. Le nombre total de réfugiés maliens dans la région est de 144.500, avec environ 54.100 en Mauritanie, 50.000 au Niger, 38.800 au Burkina Faso et 1.500 en Algérie, selon une source du HCR, avec 203.845 personnes déplacées internes. Au Sénégal, la guerre se fait sentir dans la première région frontalière avec le Mali, Tambacounda. La plupart des commerçants qui se ravitaillent au Mali ont fini par baisser rideaux. Dans le secteur du transport, la situation n’est pas des meilleures. Les bus qui desservent le Mali via Tamba n’atteignent plus leur terminus, Bamako, faute de clients.

Depuis le coup de force du 22 mars dernier, perpétré contre le président Amadou Toumani Touré, le Mali s’enfonçait de plus en plus dans le chaos. Et l’occupation du nord Mali a empiré avec la prise de Konna. Ce qui a obligé la France à intervenir contre les « Jihadistes » pour stopper leur marche vers le sud. Les effets de cette guerre commencent à se faire sentir dans beaucoup de pays de la sous-région. Et le Sénégal n’est pas épargné. « Il faut signaler que la crise malienne a des composantes régionales avec la conséquence de la crise libyenne et la guerre contre un groupe terroriste transnational à savoir Aqmi », a fait remarquer une source, relevant ainsi de nombreux et divers trafics qui traversent le territoire malien.

Des effets collatéraux

Pour lui, il apparaît évident de se pencher sur les effets collatéraux de la guerre chez les voisins du Mali. Avec le flux de réfugiés et de personnes déplacées. « Les gouvernements des pays d’accueil des réfugiés mobilisent des mannes financières importantes pour les besoins des déplacés et réfugiés », a-t-il noté. Les organisations humanitaires relèvent également une « ruée » des réfugiés économiques et sociaux vers les pays voisins dès les premières heures de la guerre. À en croire notre interlocuteur, l’on dénombre chaque fois des maliens résidants dans des pays de la sous-région, demandant à leurs parents de les rejoindre. « Combien de personnes ont traversé les frontières maliennes pour se retrouver dans les autres pays de la sous-région en raison de la situation socialement et économiquement intenable ? », s’interroge-t-il. Selon une autre source proche du haut commissariat des réfugiés (HCR), le nombre total de réfugiés maliens dans la région est de 144.500, avec environ 54.100 en Mauritanie, 50. 000 au Niger, 38.800 au Burkina Faso et 1.500 en Algérie. Et que 203.845 personnes sont déplacées en interne.

Retour au pays et au chômage

En outre, la guerre au Mali commence à occasionner un retour au pays de plusieurs sénégalais qui y travaillaient. Selon certains observateurs, il y a toute une masse de « bras valides » qui sont rentrés et qui se retrouvent sans occupation. Ce « chômage » forcé et inattendu constitue également une préoccupation dans d’autres pays de la sous-région. « J’ai deux frères dont l’un travaillait au Mali dans l’hôtellerie et l’autre dans la tuyauterie. Ils sont revenus au pays et attendent que la situation soit véritablement pacifiée pour y retourner. Ils sont obligés de rester à ne rien faire et ce n’est pas facile », témoigne un enseignant.

Conséquences sécuritaires

Pour d’autres observateurs, il y a lieu de se préoccuper de l’impact sécuritaire de la crise dans la sous-région. En plus des conséquences socio-humanitaires. De l’avis de ceux-ci, l’on doit craindre des conséquences directes sur la stabilité du Sénégal. En effet, il peut y avoir un effet domino qui, en dehors du Sénégal, frapperait le Niger, l’Algérie, la Mauritanie, le Burkina Faso et même la Libye. « Le pays qui semble le plus fragile aujourd’hui est évidemment le Niger, dont le territoire est entouré de trois foyers de tensions : Nord-Mali, Sud-Libye, Nord-Nigeria avec Boko Haram. Le Tchad est également très fragile et pourrait être impacté encore plus par les tensions du sud de la Libye », estiment-ils. Sans pour autant oublier le Sénégal. « Nous sommes des voisins directs du Mali. Les frontières devraient être sécurisées aussi », préviennent-ils. La sécurité sur les territoires des autres pays inquiètent également plus d’un, en ce sens que cette sécurité pourrait être affectée par l’installation dans la durée d’un Nord-Mali « incontrôlé », sous la coupe du Mouvement national de libération d’Azawad (MNLA). La sécurité constitue d’autant plus une préoccupation que l’on assiste à une prolifération et une circulation de mouvements et de bandes armées tels que les mouvements salafistes, des éléments de la secte islamique Boko Haram et des milices d’autodéfense qui inquiètent les pays riverains.

Une sécurité renforcée à la frontière sénégalo-malienne

Les autorités militaires sénégalaises ne dorment plus que d’un œil face à la menace terroriste. La frontière sénégalo-malienne connaît actuellement un renforcement de sécurité sans précédent, suite à la guerre au Mali. « Toutes les dispositions ont été prises depuis la crise malienne. À mon niveau, c’est-à-dire au niveau de la zone militaire numéro 4 de Tambacounda, j’ai eu des instructions de l’Etat-major de mettre sur pied au minimum deux compagnies. Une compagnie motorisée et une compagnie vraiment circonstancielle », a déclaré le Colonel Insa Sagna. Et d’ajouter : « ce sont des compagnies de 100 à 120 éléments. Elles sont là et prêtes à tout moment. On attend juste l’équipement pour les compléter, mais en plus de cela, j’ai une compagnie qui est actuellement à Bakel et une autre compagnie à Kédougou ». Le commandant de la zone militaire Est de Tambacounda de poursuivre : « Ces deux compagnies font des patrouilles ensemble avec les mauritaniens et les maliens le long des frontières. Il en est de même pour les éléments qui sont à Kédougou. Au niveau des zones aurifères, ils sont en train de faire des nomadisations. Ils font deux sorties de nomadisations par mois. En plus on est en liaison avec la police frontalière ». Toujours selon notre interlocuteur, « au niveau de Kidira, la gendarmerie est aussi présente ». « C’est aussi une situation très difficile et compliquée. Le terrorisme est très difficile à combattre », a-t-il indiqué. Selon le colonel Sagna, les éléments font aussi des nomadisations et des patrouilles, le long de la frontière, de Bakel à Kédougou. Pour lui, le Mali a le soutien du Sénégal. « On est en train de préparer un bataillon et on fera le maximum pour aider le Mali à retrouver son intégrité territoriale », a-t-il souligné.

Premières séries d’arrestations

À la frontière sénégalo-malienne, précisément à Kidira, la gendarmerie veille au grain. C’est ainsi qu’une cinquantaine de personnes ont été interpellées par les pandores de la brigade de gendarmerie de Kédougou, à Moussala, village le plus proche du Mali. De sources sures, ces individus tenteraient de rejoindre le Sénégal en groupe, fuyant les menaces terroristes dans le Nord du Mali. Nos sources soulignent que les gendarmes auraient voulu y voir plus clair. Des mesures idoines ont été prises par les pandores. Il s’agit de renforcer les points de contrôle et la mobilisation des troupes pour des patrouilles de sécurité dans les gares routières et les points de débarquements.

Quand la case du voisin brûle…

Cette guerre au Mali a occasionné un exode massif de réfugiés maliens vers les pays voisins dont le Sénégal. Ces populations, qui fuient l’insécurité, la violence et la xénophobie dans leur propre pays viennent de Bamako, Kayes et des villages frontaliers, affluent par vagues successives vers les villes sénégalaises de Kidira, de Tambacounda et même de Dakar. Elles sont aujourd’hui très nombreuses, selon Samba Coulibaly, président des ressortissants maliens à Tambacounda. Selon M. Coulibaly, déjà avec Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), on sentait la turbulence dans le Grand Nord, et avec la nouvelle situation au Mali, la confusion est encore aux portes du Sénégal. À en croire M. Coulibaly, l’afflux de réfugiés sur les territoires voisins ne va pas sans problèmes. Outre les ennuis liés au logement, à la nourriture, à la santé…, le conflit touareg au Mali induit des conséquences énormes pour le Sénégal, par le seul fait des réfugiés qui y arrivent.

Transport et commerce affectés

Aujourd’hui, les commerçants sont partagés entre inquiétude et préoccupation. Selon des sources basées à Kidira, porte d’entrée au territoire malien (193 km de Tamba et 40 km de Bakel), le mouvement des commerçants sénégalais qui se rendent au Mali a complètement baissé. « Cette guerre a pénalisé tout le monde. Présentement, rien ne marche à cause de la guerre. Notre chiffre d’affaires a complètement baissé », se désole cette jeune femme. « C’est regrettable et déplorable, ce qui se passe au Mali », se désole-t-elle. « Si ça continue nous risquons de ne plus avoir notre gagne pain pour nourrir notre famille. Avec mon commerce, je m’en sortais très bien. Mais, aujourd’hui, mes clients et ma deuxième famille malienne sont sous le choc avec cette guerre », précise-t-elle. Même son de cloche chez les transporteurs. Le transport connaît ces derniers jours un énorme coup de frein au grand dam des chauffeurs de « bus maliens ». « Les chauffeurs ont du mal à trouver des clients pour le Mali et manifestent leur mécontentement. Mais la réalité est dure à accepter. Des dizaines de véhicules restent une journée sans bouger et peinent à trouver des clients pour se rendre au Mali », dit Aliou Keita. Cet habitant du quartier Dépôt transportait des voyageurs de Tambacounda vers Bamako jusqu’à Agadir ou au Burkina Faso. Il ajoutera : « Je ne me retrouve plus avec cette crise malienne. J’avais plus d’une trentaine de clients par jour mais depuis la guerre, il m’arrive d’avoir un seul client par jour. Ce qui veut dire que la guerre nous a causé une perte énorme », râle-t-il.

Les ressortissants maliens inquiets

Les maliens basés à Tambacounda sont préoccupés par la situation qui prévaut dans leur pays. « Je suis très préoccupée par la situation (…) et surtout celle de ma famille qui est à Sévaré. Tous les jours, j’achète des cartes de crédits pour essayer d’entrer en contact avec celle-ci et m’enquérir de leur situation », avance Coumba Tamboura. Cette vendeuse au marché central de Tambacounda, affirme que l’implication des forces françaises dans cette guerre était indispensable. A l’en croire, seules les forces occidentales peuvent résoudre définitivement le problème. Toutefois, la dame est formelle : « Nous lançons un appel afin que les autorités n’acceptent plus de négocier avec ces soi-disant musulmans rebelles perdus ». Néanmoins, même si les ressortissants maliens se réjouissent, à l’unanimité, de l’intervention des forces françaises au nord Mali, il convient de souligner que ces Maliens souhaitent le retour définitif de la paix dans ce pays dont l’essor est en train d’être freiné par l’insécurité.

Kidira et sa souffrance

L’économie de la ville de Kidira est au ralenti depuis le lendemain du putsch contre Amadou Toumani Touré. Le commerce est profondément touché, les transitaires et la douane ont vu leurs recettes baissées. Les Kidirois qui se plaignaient déjà du stationnement anarchique des gros porteurs dans toute la ville et le long de la route nationale, sont obligés de faire avec. La circulation se fait dans un seul sens à l’intérieur de la ville. Du matin au soir, la route nationale grouille de gros porteurs au grand dam des riverains qui subissent des kilomètres d’embouteillages plombent l’atmosphère. Pour atteindre la ville malienne de Diboli, les camions attendent de nombreuses heures, avant de traverser la frontière. Créant un bouchon énorme sur la nationale N°1 reliant Tamba à Bakel. Malgré les efforts fournis par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CDEAO) pour la circulation des biens et des personnes, Kidira constitue un calvaire pour les transporteurs. Obligés d’attendre des heures interminables pour des opérations de dédouanement ou autres contrôles routiers.

 

Dossier réalisé par Assane Diallo envoyé spécial à la frontière Sénégalo-malienne pour tambacounda.info /