Le ministre du Tourisme n’émet plus sur les mêmes ondes que les acteurs de son secteur. Estimant que sa politique contribue plus à enfoncer l’activité dans le marasme, ces derniers, comme un seul homme, estiment qu’il est temps qu’il laisse la place à un professionnel du secteur. Ils l’ont encore réaffirmé hier, en réaction à la sortie de Oumar Guèye.
Les acteurs du secteur du tourisme n’ont pas perdu de temps avant de répondre à la sortie de leur ministre de tutelle. Les membres de la Fédération des organisations patronales de l’industrie du tourisme au Sénégal (Fopits) ne demandent plus rien d’autre que le départ du ministre Oumar Guèye du secteur du tourisme. Ils veulent que leur secteur soit enfin dirigé par un professionnel du secteur, à l’instar de tous les corps professionnels de l’Etat. Ils pensent que le responsable politique de leur secteur n’a rien compris de leurs problèmes, ou à tout le moins, ne fait rien pour les résoudre.
Baisse de la fréquentation
Les chefs d’entreprises et les travailleurs du secteur du tourisme n’ont pas compris que le ministre Oumar Guèye ait pu affirmer que le nombre de touristes a crû de 20% l’année dernière. D’abord, a tenu à faire remarquer le président Mamadou Racine Sy, «la base de référence de 2012 ne peut être bonne, car c’est une année de double élection – aussi bien au Sénégal qu’en France. Et nous savons tous que les années électorales sont toujours difficiles pour le tourisme.» Ensuite, ajoutera Mamadou Diallo, du syndicat des voyagistes, «tous les regroupements de nos collègues Tour operators établis en France et dans d’autres pays européens, nous donnent des chiffres qui indiquent plutôt une régression des entrées, d’environ 20%. Or, dans le même temps, la République du Cap Vert a enregistré une hausse de 14% environ».
A quoi cela est-il dû ? En premier lieu, au manque de promotion. Les acteurs du secteur n’en reviennent toujours pas de la gestion du Fonds de promotion du tourisme. Et quand le ministre de tutelle se vante de la signature par le chef de l’Etat, du décret créant l’Agence sénégalaise de promotion du tourisme, Mamadou Racine Sy et ses confrères rétorquent que «le chef de l’Etat, lors de sa venue à Saly en novembre dernier, s’était engagé pour une gestion paritaire de cette structure. Or, la location d’un siège aux Almadies, ainsi que l’achat de véhicules de luxe et des paiements de salaires faramineux, sans concertation des acteurs du privé, n’est pas vraiment la marque d’une gestion paritaire». Ils estiment que c’est leur travail qui crée de la valeur et permet d’alimenter ce fonds de promotion ; il est donc normal qu’ils soient associés à la gestion de ses flux.
Or, sur ce plan, il est désolant de constater que le Sénégal est absent de tous les salons de promotion du tourisme. Que ce soit à Berlin, à Barcelone, à Milan ou bientôt, à Paris, le Sénégal brille par son absence. Comment peut-on faire la promotion du secteur en boycottant les lieux de rencontre entre l’offre et la demande ? Les acteurs jugent que, le ministre Oumar Guèye semble s’être enfermé dans «un déni inacceptable» de la difficile conjoncture que connaît le secteur qu’il est censé administrer.
Infrastructures déliquescentes
La «crise sans précédent» du tourisme au Sénégal, a également à voir avec les infrastructures. Les membres du syndicat d’initiative du Sine Saloum indiquent que, si le visa a eu pour conséquence de détourner de la destination Sénégal un certain nombre de touristes, pour eux de la région du Sine Saloum, les infrastructures constituent «un autre visa pour le tourisme au Sine Saloum». Son compère François Ndiaye ajoutera que, du fait de la dégradation quasi-totale de toutes les voies, les zones de Palmarin, Ndiosmone et autres îles du Saloum, ne voient quasiment plus défiler de visiteurs. Plusieurs hôtels sont en voie de fermeture, tandis que d’autres cherchent repreneurs. De même à Tambacounda, où le président du syndicat d’initiative, M. Signaté, indiquera que si certains réceptifs tiennent encore, c’est grâce à l’organisation de certains séminaires et ateliers. Le même cas se pose en Casamance. Mme Khady Giroux, de l’hôtel Néma Cadior indique que 80% des actifs en Casamance travaillent dans le secteur touristique, «et si ce secteur recule, c’est la rébellion qui avance», affirme-t-elle.
Or, faute de navette aérienne, ou de liaison maritime régulière, les touristes sont une denrée des plus rares dans la zone, déplorera-t-elle.
La volonté du chef de l’Etat non respectée
Si les acteurs se félicitent de la volonté et de la vision du président de la République en ce qui concerne la gestion de leur secteur, ils déplorent que leur mise en œuvre laisse toujours à désirer. Ils déplorent que le ministre n’ait pas daigné les inviter au Forum des investisseurs, qui a suivi le Groupe consultatif à Paris. Mamadou Racine Sy qui y a pris part, a été personnellement invité par le ministre de l’Economie et des Finances Amadou Bâ. Cela illustre, selon ces acteurs, à quel point le dialogue est rompu entre les opérateurs du secteur et leur tutelle. Or, souligne Ibrahima Sarr du syndicat d’initiative de Thiès, et gérant d’hôtel à Saly, «c’est les privés qui investissent dans les hôtels, qui créent de la valeur et créent des emplois. Le ministre ne peut pas leur imposer une politique». Mamadou Diouf, syndicaliste du secteur, affilié à la Cnts, indique que le marasme du secteur est en train de conduire à des plans sociaux dans différents hôtels, et donc, crée de la tension. Pour lui, cette situation met en danger au moins 100.000 emplois directs et indirects. Donc, un grand pan de l’économie du pays.