Je reviens de Windhoek ; et surtout de mes illusions… [Par Abou Abel Thiam]

Je reviens de la Namibie. Je reviens la tête pleine d’images de ce pays niché entre l’Afrique du Sud, l’Angola et le Mozambique. De ce voyage, je suis revenu, et je suis aussi revenu de mes illusions, celles de Sénégalais infatué de certitudes d’être le centre du monde. De Windhoek, la capitale, haut perchée sur des collines, je reviens, tombant des cimes de mon arrogance… J’y ai appris qu’on pouvait vivre dans le respect des règles de l’hygiène ; j’ai retenu qu’il n’y avait pas de fatalité à déposer partout des ordures, que chaque citoyen peut être son propre gendarme dans le respect de la chose publique.

De ce pays devenu indépendant en 1990, après une lutte épique contre le colonisateur, je suis revenu la tête pleine d’étoiles. Je reviens des hauteurs de ce pays, sujet à un vertige causé non pas par l’altitude, mais par la propreté de l’espace public, en zones rurales comme dans les villes.

Comme la démocratie, la propreté n’est pas antinomique de la pauvreté, m’ont appris les Namibiens.

Je suis tenté d’y retourner, de revisiter ce pays au calme minéral, pour vérifier qu’on n’y barre pas les rues pour un baptême, des chants religieux ou un quelconque prétexte. Que boutiques, bars et échoppes ne déversent pas des décibels dans la rue, à longueur de nuit ; que des tasses vides ne s’échappent des vitres ouvertes de voitures pour verser sur l’asphalte des restes de café…

Je suis revenu, apprenant avec stupéfaction qu’un pays peut vivre sans des hordes de gaillards enguenillés et shootés à des substances suspectes qui investissent la rue, sébile à la main.

Je suis enclin à reprendre la route, quitter Onakashi pour Ologum Bashi, juste pour saluer cette femme d’un âge avancé, aperçue à l’aube, un balai à la main, nettoyant les alentours de sa modeste demeure. A cette occasion, que j’espère toute prochaine, je me ferai volontiers accompagner par des compatriotes à moi, pour réaliser avec eux que le bien de tous devrait être protégé par chacun.

Dès que nous mettrons pied dans ce pays, je prendrai à témoin les quelques rares Sénégalais qui y vivent, pour relever avec eux que les trottoirs et les devantures des boutiques ne sont pas envahis par des marchands tabliers sous prétexte de «door waar».

Sur ces longues routes prolongées par des pistes difficiles, nous ne rencontrerons pas, mes compagnons et moi, des « Ndiaga Ndiaye » qui défient les lois de la physique pendant que leurs chauffeurs défient celles du Code de la route…

A Windhoek, où je retournerai sans besoin d’y être contraint, je me ferai répéter que dans cette ville qui n’est pourtant pas sur la planète Mars, héler trop bruyamment son prochain dans la rue relève d’une …infraction sanctionnée d’une amende. Je ne dirai pas, on s’en doute, qu’ailleurs certains utilisent des mégaphones pour vendre leur camelote ou leur guide…

Au pays de la Swapo, du légendaire Sam Nujoma, toujours bon pied bon œil, du sympathique Ikifiépunié Pohamba et du celui qui se fait appeler «Général Ho Chi Min» tant il fit des ravages dans les rangs du colon, j’apprendrai encore que la discipline n’a jamais fait de mal à un peuple. Le culte des symboles de la République, cet attachement cocardier aux institutions…rien que pour cela, je suis prêt à retourner dans ce pays si loin du mien, si éloigné de lui en beaucoup choses…

Ah ce silence ! Ainsi donc, un pays qui travaille ne fait pas beaucoup de bruit, ai-je appris, à mes dépens de Sénégalais. Je suis revenu, surtout de mes certitudes, moi qui considérais qu’il n’y a de civilisation que la mienne, les autres étant des «niaks» à traiter avec condescendance… Il est donc possible de vivre sans des monticules d’immondices puants à proximité : c’est là une des choses que j’ai apprises en visitant ce pays huit fois plus grand que le Sénégal, et six fois moins peuplé que lui.

Je reviens de ce pays qui manque cruellement d’eau. Mais qui bat sûrement le record Guiness de concentration de bars : de ça, je me passerai volontiers. Tout comme, en retournant à Windhoek, je ne manquerai pas d’avoir à l’esprit que le taux de personnes séropositives y est l’un des plus élevés au monde. Je noterai, avec des caractères en relief, qu’une population vivant dans une hostilité lunaire peut néanmoins se prendre en mains, au point d’avoir sa propre fabrique d’engins militaires blindés anti-mines. Ulysse était revenu heureux de son voyage, je suis revenu très secoué du mien.

 

Abou Abel THIAM / thiam.aa@gmail.com