Municipales: Là où fleurit le vote d’extrême droite en France

A Grandvilliers, commune mi-rurale mi-urbaine du nord de la France, Alain, 56 ans, explique qu’il votera Front national aux municipales.

Située à la limite nord-ouest du département de l’Oise, à plus de 100 km de Paris où les habitants vont travailler tous les jours, la zone a été surnommée «la petite Sibérie» en raison de son isolement. Le parti d’extrême droite y a remporté des scores élevés à la présidentielle de 2012. Sa candidate Marine Le Pen, présidente du FN, courtisait alors les «invisibles et les oubliés» des campagnes. «Les gens viennent, ils habitent à Grandvilliers mais ils travaillent à Paris. On se connaît plus, chacun pour soi», rugit Alain, qui n’a «plus confiance» dans les partis traditionnels. Faible identité territoriale, sentiment d’exil de «rurbains» que la flambée des prix de l’immobilier a forcé à quitter la capitale et sa proche banlieue et qui peuplent des lotissements sans âme, défiance envers l’Etat en plus des motifs traditionnels du vote FN: sécurité ou immigration.

 

Trois Français sur dix
A cela s’ajoute le «dégoût» suscité par les diverses affaires touchant la classe politique: soupçons de corruption pesant sur le chef du parti de droite UMP Jean-François Copé, enquêtes judiciaires visant l’ancien président Nicolas Sarkozy, accusations d’évasion fiscale ayant coûté son poste à l’ancien ministre du Budget socialiste Jérôme Cahuzac, confusion à la tête de l’Etat sur la gestion de ces dossiers. Cette année, un record, le FN longtemps absent des scrutins aux enjeux locaux présente dans toute la France 596 listes dans les villes de plus de 3500 habitants aux élections municipales des 23 et 30 mars, soit dans une commune sur cinq, avec une plus forte proportion dans l’Oise. Et selon un récent sondage, près de trois Français sur dix ne seraient pas hostiles à voter pour une liste présentée par le FN aux municipales. Ce résultat, qui s’inscrit dans un contexte de montée en puissance des populismes en Europe, montre que Marine Le Pen est parvenue à dédiaboliser le FN et à lui donner l’image présentable d’un parti patriote attaché aux valeurs traditionnelles.

 

Impression d’isolement
Dans l’Oise, où un habitant sur deux – soit 400’000 sur 800’000 – réside depuis moins de 10 ans, le vote FN est très fort depuis au moins 15 ans. «Les gens se sentent isolés, ont l’impression que la République est dévoyée», que «celle qui représente aujourd’hui les valeurs de la République c’est Marine Le Pen», relève-t-on au Conseil général de l’Oise présidé par le socialiste Yves Rome. «Ça va faire cinq ans que je prends le train» tous les jours pour travailler à Paris, raconte Sandy sur le quai de la gare de Crépy-en-Valois: «Franchement, du lundi au vendredi, on n’a pas de vie sociale, c’est l’isolement». La jeune femme n’exclut pas de voter FN: «je regarde tous les programmes».

 

Fibre sociale
L’agence pour l’emploi, les services sociaux, «c’est Beauvais, à 45 minutes en voiture», raconte Nicolas Denouette, 31 ans, qui mènera une liste d’extrême droite à Formerie (2100 habitants) aux municipales. «Ici, c’est l’abandon total». Le Conseil général dit s’efforcer de «rétablir de la sociabilité» en misant sur le développement du télétravail, fibre haut-débit ou covoiturage. Mais en attendant que cette politique produise ses effets, «il y a une déstructuration importante du tissu social et administratif», note Michel Guiniot, le patron du FN dans l’Oise. «Je ne me réjouis pas du tout de cette situation-là, mais tout ça, nous l’avons dit pendant des années. Les électeurs ont peut-être compris qu’on avait raison», avance-t-il.