Le Sénégal ne devrait-il pas fêter son indépendance autrement ?

La grandeur d’un peuple se mesure à son aptitude morale et intellectuelle à tirer de son passé les enseignements les plus féconds pour en faire des instruments les plus efficaces afin de relever les grands défis de son présent. Sa grandeur se mesure également à son audace à se démarquer des coutumes peu avantageuses pour incarner les valeurs qu’il estime plus fructueuses.

Conformément au préambule de la Loi constitutionnelle n°60-045 A.N du 26 août 1960, le peuple sénégalais a déclaré solennellement son accession à la souveraineté internationale en se fondant sur un principe universel du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Aussitôt après avoir pris son indépendance, il s’est inscrit dans le même sillage que beaucoup d’États du monde, ayant accédé à l’indépendance par les armes, pour faire de la date de commémoration (le 04 avril) une journée festive principalement marquée par la parade militaire et les défilés de civils. Afin de promouvoir son développement dans tous les domaines, l’État du Sénégal devrait-il demeurer dans cette tradition venue d’ailleurs de fêter son indépendance ? Ou encore, devrait-il faire de cette date une journée nationale d’introspection, de réflexion et d’innovation pour enclencher son propre développement ?

L’indépendance peut être conçue comme étant l’aptitude juridique suprême permettant à un État de tracer, de façon unilatérale, sa propre ligne de conduite qui le mènerait vers le développement. En accédant à la souveraineté internationale, l’État sénégalais est maintenant libre de s’autoguider pour se mettre dans les conditions d’une réelle et saine compétition avec tous les autres États puissants de ce monde. S’il est vrai qu’il existe actuellement des facteurs exogènes susceptibles de freiner l’avancement des États en voie de développement, force est de constater que rien ne semble plus défavorable au développement d’un État que les facteurs endogènes. Un peuple qui opte pour le suivisme aveuglant, le mimétisme incommodant et le traditionalisme dégradant aurait toujours du mal à se mettre sur la bonne voie du développement. Un réel développement semble devoir passer inéluctablement par une introspection régulière, une réflexion profonde et une innovation de rupture. L’introspection permet de faire un examen de conscience, d’apprendre de son histoire afin de mieux avancer. La réflexion serait entendue ici comme une pensée profonde nourrie d’une analyse rationnelle dans le but de trouver des réponses aux questions majeures qui se posent. Quant à l’innovation, elle est une création nouvelle portant sur les secteurs indispensables au développement d’un pays. Personne ne pourrait, tout de même, nier que le travail est la source essentielle et primordiale du développement, mais un travail sans introspection, sans réflexion et sans innovation risque de constituer un frein au développement.

Concernant le jour de l’indépendance proprement dit, il ne fait pas l’ombre d’un doute qu’il est caractérisé un peu partout dans le monde par des cérémonies festives principalement marquées par la parade militaire. On le constate dans les États comme la Chine, l’Inde, les États-Unis d’Amérique etc. Le Sénégal, tout comme les autres pays africains, ne fait pas exception à cette règle. La fête d’indépendance est, on le sait, principalement caractérisée par la parade militaire. Cette exposition annuelle des forces régaliennes semble être plus une occasion importante pour encourager les citoyens sénégalais à l’engagement patriotique qu’une simple volonté d’exalter une armée ayant libéré tout un peuple comme c’est le cas pour beaucoup d’États qui fêtent leur indépendance. Cela s’explique principalement par le fait que le Sénégal a acquis son indépendance par un processus politique négocié et non spécialement par une guerre sanglante et ce, même s’il ne faudrait jamais oublier la brillante participation des soldats sénégalais aux deux conflits mondiaux. De fait, s’il n’est pas dénué d’importance de fêter l’indépendance par une parade militaire, il semble tout aussi avantageux de penser à un changement de paradigme.

Le jour de l’indépendance semble être le seul jour que toute la population sénégalaise, dans sa large et riche diversité, a en partage. Aucune fête ne parait plus républicaine et plus nationale que la fête de l’indépendance. Cette date devrait alors être érigée en une journée nationale d’introspection, de réflexion et d’innovation pour le développement du Sénégal. Cette fête devrait être une occasion pour chaque région d’exposer sa spécificité agricole, culturelle, artistique afin de promouvoir une saine concurrence entre les régions et d’encourager la consommation des produits locaux. Elle devrait être une journée où les intellectuels les plus brillants seraient distingués pour avoir produit une œuvre scientifique montrant des pistes claires menant le Sénégal vers le progrès social, culturel, scientifique, technique etc. Ce jour devrait être un jour particulier où tous les partis politiques dépasseraient leurs divergences idéologiques et partisanes pour présenter au Président de la République les idées les plus pertinentes sur le développement du Sénégal. Cette journée devrait être une grande opportunité pour le Président de la République de féliciter, sans complaisance ni amertume, tous les citoyens qui se sont distingués par leur vertu et leur talent dans le combat pour un Sénégal émergent. Le jour de l’indépendance serait ainsi un jour de concorde nationale où le Sénégal montrerait son exemplarité d’être un seul peuple, uni autour d’un seul but, qui est de voir son pays émerger, et une seule foi, qui est d’espérer que le pays soit plus indépendant, mais que tout cela se passe dans une parfaite entente avec tous les États du monde et particulièrement avec ceux de l’Afrique.

Par ailleurs, la présente réflexion n’a pas la prétention d’être originale. Il se peut même que tout ce qui est dit soit déjà fait ou soit en train de se faire. Mais l’essentiel serait que l’on réfléchisse simplement à l’amélioration des choses publiques afin que le Sénégal en soit gagnant. Par conséquent, il serait peu optimiste et moins ambitieux pour les pouvoirs publics de prendre connaissance d’une pareille réflexion, quelle qu’utopiste soit-elle, et de la garder sous silence. Il faudrait penser plutôt, si elle s’avère intéressante pour notre pays, à la soumettre à une expertise scientifique sérieuse afin d’étudier sa faisabilité sur tous les plans.

En définitive, l’indépendance n’a de sens que lorsqu’elle apporte à son titulaire un développement incontestable. Le Sénégal ne devrait-il pas alors fêter son indépendance autrement dans le strict but d’atteindre un niveau élevé de développement ?

Alassane DIA / Doctorant en Droit public à l’Université Toulouse1 Capitole / Membre de l’Institut Maurice Hauriou / diaalou@yahoo.fr /