18 millions d’euros injectés pour sauver Libération

L’homme d’affaires Bruno Ledoux a reçu lundi le feu vert de la justice pour écrire une nouvelle page de Libération: en renflouant le quotidien, menacé de faillite, et en promettant d’injecter 18 millions d’euros d’ici à juin, probablement avec d’autres investisseurs.

Il deviendra ainsi seul propriétaire du titre, avec ses éventuels alliés, et aura les mains libres pour appliquer ses projets de réforme, actuellement combattus violemment par la rédaction. Le tribunal de commerce de Paris a accepté la demande de Bruno Ledoux de constituer un tour de table pour recapitaliser le journal, plombé par la chute de ses ventes de 15% en un an et celle de ses recettes publicitaires.

4 millions pour les salaires d’avril

M. Ledoux lui prête aussi en urgence 4 millions d’euros, pour payer les salaires d’avril et survivre dans l’immédiat car «Libé» n’avait plus aucune trésorerie. A la recherche d’alliés depuis des semaines pour cette opération, l’homme d’affaires a sollicité le patron du groupe Altice et Numéricable, le milliardaire Patrick Drahi, qui cherche à se renforcer dans les contenus alors qu’il est en passe de racheter SFR.

«Patrick Drahi a d’autres priorités pour l’instant», a-t-on commenté dans son entourage la semaine dernière, sans écarter cette hypothèse. En apportant 18 millions au capital, M. Ledoux et ses éventuels alliés possèderont la quasi-totalité du capital car ni Edouard de Rotschild ni le groupe italien Ersel, les autres coactionnaires, ne souhaitent participer à l’opération.

Il s’agirait d’un des principaux apports financiers de l’histoire du journal.Jusqu’ici Bruno Ledoux, également copropriétaire de l’immeuble qui abrite le siège de Libération, en détenait 26%. L’accord du tribunal met fin à la procédure de conciliation entamée depuis janvier avec les créanciers.

Lundi, les salariés se sont réunis en assemblée générale, «la douze-millième AG depuis la Une Nous sommes un journal du 8 février», ont tweeté sur le ton de la plaisanterie les journalistes de Libé Isabelle Roberts et Raphaël Garrigos. «On est à la fois rassurés d’être sortis de la cessation de paiement mais on sera très vigilants pour la suite, car il reste des questions en suspens dont les postes de patron du journal et de directeur de la rédaction à pourvoir», a déclaré à l’AFP Tonino Serafini, délégué Sud.

Une bouffée d’air temporaire

«Pour l’instant c’est une bouffée d’air. Mais on est dans l’attente du reste de l’argent car les 4 millions d’euros ne suffiront pas», a ajouté Fatima Brahmi, déléguée syndicale CGT du journal. Les élus du personnel ont demandé la tenue «cette semaine» d’un comité d’entreprise pour obtenir des éclaircissements de la direction sur un éventuel plan social et un déménagement, inscrits, selon certaines sources, dans le protocole d’accord.

Dans un bref message aux salariés, le président du directoire de Libération, François Moulias, et le nouveau directeur opérationnel, Pierre Fraidenraich, leur ont annoncé la décision du tribunal et évoqué une prochaine «réorganisation». «Il nous faut à présent repenser l’offre éditoriale de la semaine, nommer les dirigeants qui manquent aujourd’hui dans l’organigramme, réorganiser la société, investir dans les relais de croissance et retrouver une exploitation profitable», écrivent-ils.

Libération décliné en télévision?

Bruno Ledoux, qui a fait fortune dans l’immobilier, a annoncé en début d’année un projet visant à transformer profondément Libération en l’intégrant dans un groupe diversifié comprenant un réseau social, des contenus multimédia, un espace culturel, voire une «Libé TV».

Ces projets sont combattus par la rédaction, qui y voit une grave menace sur le journal et sur ses valeurs. Dans un mail qui avait fuité en février, M. Ledoux avait traité les salariés d’«esprits étriqués», qu’il fallait «ringardiser», ce qui a énormément choqué les salariés. Depuis, ils sont entrés en guerre ouverte contre les projets de M. Ledoux, qu’ils dénoncent quotidiennement dans le journal sous la rubrique «Nous sommes un journal».

Libération a vu ses ventes encore s’effriter en février, avec 89’223 exemplaires (diffusion France payée) contre 104’614 en février 2013 (-14,7%). Les ventes en kiosques ont reculé de 22% en un an, à 29’409 exemplaires. Depuis 2009, les ventes en kiosque ont été divisées par deux.

(AFP/Newsnet)