C’est confus! D’une gouvernance sobre, on est encore loin! Par Dr Djibril Diop

Après des mois sans travail pour des raisons de pré- et de campagne (parce que simplement le Président avait menacé de chasser tout ministre ou DG qui ne gagnera pas dans son fief, alors ce fut la débandade) et après la tragi-comédie pendant presqu’une semaine, démissionnera, démissionnera pas, avec l’ancien Premier ministre, voilà enfin, la montagne a accouché d’une souri dans le contexte d’une démocratie normale et apaisée, alors que les défis pour l’émergence du pays restent entiers.

Pour une gouvernance sobre, quelle lecture peut-on faire de ce énième remaniement ministériel à la suite des élections locales du 29 juin 2014? On se retrouve avec un gouvernement de 33 ministères et ministres délégués auxquels on ajoute 5 secrétaires d’État, soit un total de 38 à la charge des maigres ressources de ce pays pauvres. Or une rationalisation nette pourrait donner au maximum 25 ministres, si l’on avait un souci d’efficacité et d’une bonne allocation des ressources de ce pays. En effet, on un ministère des Postes et télécommunications et celui de la Culture et de la communication. Outre la partie Culture, quelle sera la feuille de route, sans créer de doublon et sans s’empiéter l’un sur les prérogatives de l’autre, source de malentendus et de retard dans les démarches administratives pour leur clientèle respectif, pour chacun de ces départements? Ceci est aussi valable pour le ministère du Travail et Dialogue sociale alors qu’à côté on a un ministre de la Fonction Publique, de la rationalisation des effectifs. Cette même incongruité se retrouve au niveau ministère des Affaires étrangères et des sénégalais de l’extérieur, avec à côté celui en charge de l’intégration africaine, de Nepad et de la promotion bonne gouvernance auquel s’ajoute un secrétaire d’État chargé des sénégalais de l’extérieur. Également, on a un ministère chargé de l’Équipement et à côté on a celui chargé des Infrastructures et Transport Terrestres et du désenclavement; un ministère chargé du Renouveau Urbain, de l’habitat et du cadre de vie et à côté un ministre délégué chargé de la restructuration des banlieues; un ministère chargé de la Famille, de la Femme et de l’Enfance et à côté un ministre délégué chargé de la Micro finance (dont le portefeuille pouvait être attaché au ministère de l’Économie et des Finances). Mais, de tous les départements c’est certainement celui de l’Économie et des Finances a été plus émietté. En effet, nous avons à côté on a un ministre de l’Économe des Finances un ministère en charge du Commerce, du Secteur informel, de la Consommation des produits locaux et des PME, un ministère chargée de la Promotion des investissements et des développements des télé-services de l’État (dont cette dernière partie pouvait être rattachée au ministre de l’Emploi) et enfin un ministre délégué chargé du budget.

Au final, on est confus lorsque l’on nous parle de gouvernance sobre avec une telle pléthore de ministres, de secrétaires d’État et autres ministres délégués. La bonne gouvernance commence par une allocation rationnelle des ressources et une efficience des résultats, donc la bonne personne à la bonne place, ce qui éviter de faire un conglomérat d’incompétents ou de subordonnés béni-oui-oui! Il faut reconnaître de façon fondamentale, on est dans un pays pauvre aux besoins immense. Donc tout centime à dépenser devra être précédé d’une réflexion murie et stratégiquement investi.

Sur ce tableau, il faut ajouter une décision qui ne trouve aucun qualificatif malgré les explications maladroites des responsables du ministre des Affaires étrangères. En effet, au moment où le pays éprouve des difficultés énormes pour répondre adéquatement à des demande de services élémentaires comme la délivrance de passeports ou autres documents administratifs ou pour faire face aux multiples problèmes dont les Sénégalais de l’extérieur (considérés comme des citoyens de seconde zone, malgré tous les discours démagogiques) rencontrent dans leur pays de résidence, on décide de rémunérer gracieusement des conjoints de diplomates. Par exemple, dans des pays comme le Canada, on nous a toujours opposé de manque de moyens pour la prise en charge d’une mission pour confectionner des passeports à nos ressortissants, qui par la particularité de ce pays, qui n’a qu’une seule frontière accessible, les États-Unis et où, pour y aller, il faut nécessairement un visa et un passeport dont la validité n’est pas moins de 6 mois. Ainsi, nombre de nos compatriotes, en particulier les étudiants, ont beaucoup soufferts, et certains ont même tout perdu, permis de travail, de cette situation absurde.

Les élections locales de 2014 ont vécu! Dans tout système démocratique qui se respecte, c’est une situation normale, sans autre commentaire. Cependant, ce qui se passe chez nous est tellement galvaudé que les élections sortent toujours de l’ordinaire démocratique, pour toujours se présenter, en une situation exceptionnelle sortant toujours de l’ordinaire pour le commun des mortels. On a présenté ces élections et surtout ce qu’elles allaient accoucher avec la fameuse réforme dite « Acte 3 de la Décentralisation » comme une étape innovante jamais imaginé au pays qui allait transformer (non métamorphoser) nos territoires en vrais havre pour le mieux vivre de nos populations. C’est étonnant! Cette semaine encore, pour la énième fois, j’ai passé des journées entières à fouiller ce fameux document qu’est le Code général des collectivités locales qui en constitue le soubassement, pour mieux en saisir la portée. Mais, comme à chaque fois, je me rends compte des terribles zones d’ombres qui ne vont pas faciliter son exploitation par les élus, donc servir de véritable cadre pour le développement territoriale tant chanté par ses promoteurs. De la transformation des communautés rurales en commune avec la communalisation intégrale, aux rapports entre la ville-centre et les communes d’arrondissements, tout semble être du colmatage et un couper-coller d’expériences souvent discordantes et sans réflexion en profondeur. Je reste encore confus sur la définition que l’on donne à la ville, par exemple. C’est comme si seulement la ville est déterminée en fonction des contextes dakarois et Thiessois avec leurs communes d’arrondissements. Des problèmes majeurs risquent de se poser dans la gestion du développement local, tant entre les représentants de l’État et les élus des nouvelles communes, notamment dans les anciennes communautés rurales devenues communes, d’une part, et d’autre part, entre les communes d’arrondissement et la ville-ville, dans la prise en charge des prérogatives respectives à chaque niveau de collectivités locales.

Encore, cela n’est guère étonnant, mais plutôt surprenant. J’étais au pays au début de la campagne électorale pour ces locales, jamais je n’ai entendu un seul des candidats auxquels je suis parti écouter, aussi bien à l’intérieur du pays qu’à Dakar, faire référence à ce fameux « Acte 3 », pourtant présenté par ses promoteurs comme une baguette magique qui va changer le Sénégal. La réalité, cette réforme n’est pas totalement mauvaise! Toutefois, compte tenu du processus qui a conduit à son adoption (très critiqué, car sans véritable consensus, avec une réflexion superficielle, et à visés politiques pour certains) en procédure d’urgence, avec moins d’une semaine de débat à l’Assemblée nationale, en sorte qu’elle présente d’importantes tares congénitales qui risquent d’hypothéquer totalement les effets escomptés, pire engendre plus de problèmes que de favoriser le développement territorial tant chanté (sur ce dernier concept, nous nous écrivons en faux contre son innovation, car dans toutes les réformes territoriales au Sénégal depuis l’indépendance, à commencer par la loi n°60-15 du 13 janvier 1960 portant réforme de l’organisation administrative de la République). La réforme de 1996 (régionalisation et transfert de compétences aux collectivités locales) a commencé en 1992, et pendant 4 ans, elle fait l’objet d’échange dans toutes ses dimensions par différents acteurs. Et lorsque le projet de loi est arrivé à l’Assemblée nationale, il y a eu un long débat, pendant plus de 3 mois, avec plus de 300 amendements, notamment de la part des députés PS, pourtant au pouvoir et majoritaire à l’Assemblée.

Ce qui est plus terrible dans ce fameux « Acte 3 », on nous dit qu’il sera fait en deux étapes, alors qu’à ce jour les décrets d’application de la loi n°2013-10 du 28 décembre 2013 portant Code général des Collectivités locales (CGCL) ne sont toujours pas connus. Or on nous disait que la loi entrerait en vigueur au lendemain des élections. On pourrait alors se demander comment les élus qui n’ont aucune compréhension réelle de leur mission (il y a beaucoup dans le lot des nouveaux élus) pourront faire face à la gestion des affaires locales. De même, on pourrait se s’interroger sur la capacité de ces élus, notamment depuis l’adoption du projet de loi d’initiative présidentielle n°2014-12 modifiant les articles 31, 92 et 95 de la loi n°2013-10, même si le CGCL prévoit en son article 12, la formation indispensable pour les élus. Dans ces articles, il était exigé que les membres du bureau des collectivités locales sachent lire et écrire dans la langue officielle (Français). Or «ces dispositions écartent, du bureau municipal comme celui du Conseil départemental une frange importante des élus locaux dont certains sont alphabétisés dans des langues autres que la langue officielle. Et cette exclusion de concitoyens dans la conduite des affaires locales, dans un contexte où la synergie des acteurs territoriaux sans exclusive est requise » (Motif du projet de loi). Maintenant, il suffit de savoir lire et écrire seulement, même en langue nationale pour prétendre être membre du bureau d’un conseil local. Si nous saluons cet acte compte tenu du contexte local, on pourrait s’interroge cependant sur sa pertinence, car toutes les lois et règlements régissant les collectivités locales elles, sont écrites seulement en français, et c’est elles qui vont régir l’ensemble de leur mission.

Face à toutes les zones d’ombres, on pourrait se demander qu’est-ce qui justifie vraiment cette précipitation pour une réforme aussi importante? Surtout on pourrait se demander comment les collectivités locales feront ce « fameux » développement territorial si leur nombre passe de 488 aux élections locales de 2009, à 602 (avec les communes d’arrondissement de la région de Dakar de la ville de Thiès) avec ces élections, alors que le Fonds de dotation de la décentralisation, ne prévoit qu’une dotation équivalant à 3,5% de la TVA perçue au profit du budget de l’État (Article 324), soit pratiquement le même montant avec un nombre moindre de collectivités locales? Ce qui est très loin des 15% réclamés à juste titre par les maires. Certes, il est prévu de modifier ce pourcentage dans le sens d’une hausse progressive, à chaque fois que de besoin, mais avec une condition de taille, en « tenant compte des compétences des collectivités locales ».

C’est triste pour ce pays! On marche sur la tête et on justifie l’injustifiable par nos turpitudes qui deviennent finalement des références, un code de conduite aduler par tous. Le développement ne se décrète pas, c’est un processus qui se construit sur bases sérieuses, claires et murement réfléchies, mais pas sur du « par parlo» ou sur des calculs politiciens. Ce pays, ce sont les Sénégalais qui le développeront, personne d’autre ne le fera à notre place, et ce développement ne tombera pas du ciel, il ne viendra que par de notre organisation, de notre discipline et de notre travail. Or on perd beaucoup de temps à recommencer à zéro à chaque fois!

Dr Djibril DIOP
Montréal
djibrildiop@voila.fr