El Hadji Alioune Diouf sur le sommet USA-Afrique : «Le meilleur partenaire du continent africain est le continent africain lui-même. L’Europe comme les USA et la Chine ne peuvent être que des partenaires seconds»

 

Le dernier sommet USA-Afrique est passé à la loupe par le commissaire aux affaires économiques et ancien directeur du Commerce intérieur, El Hadji Alioune Diouf qui s’est prêté aux questions de Seneweb News pour analyser les enjeux de cette grande messe américaine tenue les 5 et 6 août dernier à Washington. « Ce sommet peut ouvrir des opportunités pour l’Afrique », mais « Il revient aux africains de mettre en œuvre leurs stratégies pertinentes définies depuis très longtemps par Cheikh Anta Diop en 1960 », a analysé le leader de «Engagement démocratique», qui redoute par ailleurs «une concurrence renforcée et inégale au sein du marché intérieur ACP», avec la signature controversée des APE. Toutefois, reste-t-il convaincu qu’en termes d’échanges, «Le meilleur partenaire du continent africain est le continent africain lui-même». Entretien.

 

SENEweb: Quel regard portez-vous sur le premier sommet USA-Afrique qui s’est tenu aux Etats-Unis les 5 et 6 août dernier ?

Un regard d’espoir et de conviction que l’Afrique représente stratégiquement une donnée très importante pour toutes les puissances du monde et particulièrement l’Amérique, l’Europe, la Chine et le Japon ! Il est évident que les USA ont toujours cherché à nouer des relations de coopération fortes avec les Etats africains dans les domaines scientifiques, économiques et militaires. Dans le domaine commercial les pays développés ont depuis le début des années 1960 accordé aux pays en voie de développement un système de préférences généralisées qui permettaient d’accéder aux marchés avec des préférences douanières ! Avec l’érosion des marges préférentielles consécutives aux négociations commerciales multilatérales ayant permis l’abaissement général des droits de douane, les USA comme l’Europe, cherchent d’autres stratégies pour favoriser le commerce avec l’Afrique ! Le sommet  USA -AFRIQUE des 5 et 6 août 2014 rentre dans cette recherche permanente d’établir des relations privilégiées avec l’Afrique qui est le continent d’avenir pour plusieurs raisons sur lesquelles nous reviendrons plus tard

 

Ce sommet va-t-il changer quelque chose à la situation d’un continent aux taux de croissance intéressant mais quasi-absent des échanges commerciaux mondiaux?

Oui ce sommet peut ouvrir des opportunités pour l’Afrique qui  n’est pas absente du commerce international ! Certes l’Afrique représente 3% des échanges internationaux, mais son taux d’ouverture au commerce international est le plus élevé dans le monde à cause de la faiblesse de son produit intérieur brut ! Ce sommet doit être considéré comme une opportunité d’améliorer et d’accroître nos capacités d’offre et de  production de richesses donc de notre marché intérieur qui reste encore faible ! En effet ce sommet peut favoriser l’accroissement des investissements américains ! Comme l’Amérique l’a fait pour l’Europe et d’autres pays dans le monde, ce sommet vient renforcer les efforts que les africains font tous les jours dans la voie du progrès économique et de la promotion des échanges intra-africains préconisés par l’UNION AFRICAINE.

 

Faites-vous partie des personnes déçues par la politique africaine du président Obama ?

Non, franchement je ne suis pas déçu par OBAMA ! JE LE RESPECTE BEAUCOUP !  Ses prises de position en AFRIQUE, particulièrement au Caire, à Accra et à  DAKAR sont pour moi des moments de vérité importants pour le devenir de l’Afrique !

 

L’Afrique à cheval entre l’UE, les USA et la Chine : quel pourrait être selon vous le meilleur partenaire du continent en termes d’échanges ?

Le meilleur partenaire du continent africain est le continent africain lui-même ! L’Europe a un taux d’échanges intra-régional de plus de 75%, l’Asie du Sud-est est à plus de 50% tandis que l’ALENA (accord de libre-échange nord américain) est à presque plus de 40% alors que l’AFRIQUE reste à 10% de taux de commerce intra africain ! L’Europe comme les USA et la Chine ne peuvent être que des partenaires seconds ! Le marché pertinent pour l’Afrique reste le marché intérieur africain car c’est un marché d’un milliard d’habitants avec une classe moyenne de plus de trois cents millions de personnes !

 

La signature des APE continue de faire débat. Quelles perspectives s’offraient au continent devant la pression européenne ?

La signature des APE découle de plus de 50 ans de coopération et de commerce avec l’Europe avec des accords qui sont devenus incohérents avec la mondialisation économique et le commerce multilatéral et ses principes de non-discrimination dans les échanges ! De toutes les façons il y a une réorientation  des échanges ou un détournement du commerce (trade diverting) au profit de pays africains ! Un pays comme le Sénégal a plus créé du commerce au profit de pays africains  que de pays européens ces dernières années ! En effet notre commerce extérieur est plus dynamique en direction des pays d’Afrique que des pays européens comme observé les décennies passées !

Il faut préciser que les APE découlent des Accords de Cotonou signés depuis le 23 juin 2000 au Bénin ! Accords de Cotonou qui découlent du Livre vert proposé par les européens depuis décembre 1995 ; presque un an après la création de l’Organisation Mondiale du Commerce   ! La signature découle du fait que les africains ne veulent pas tous renoncer aux préférences douanières accordées par l’UE aux pays ACP; PRÉFÉRENCES DEVENUES NON CONFORMES AUX ACCORDS SIGNÉS PAR LES 159 PAYS MEMBRES DE L’OMC dont les pays ACP et ceux de l’UE !

 

A quand l’établissement de règles commerciales équitables et profitables à l’économie sous-régionale et régionale ?

Les africains doivent mettre en œuvre leurs stratégies pertinentes définies depuis très longtemps par Cheikh Anta Diop en 1960, dans “Les Fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’ Afrique Noire ” ou en 1980 avec le plan de Lagos ou bien en 1992 avec le traité d’Abuja qui prévoit une CEA (commission économique africaine) avec un marché intérieur unique africain et une union monétaire panafricaine avec la création d’un fonds monétaire africain ! Cette CEA devrait être mise en place sur une période de 34 ans divisée en six étapes de durées variables !

Pour l’établissement de règles commerciales profitables à l’Afrique, il est évident que les africains doivent mettre ensemble leurs ressources financières et humaines afin d’influencer les agendas des négociations commerciales internationales pour que leurs priorités soient prises en considération et en charge !

 

Quelles peuvent être les conséquences immédiates de l’entrée en vigueur de l’application de ces accords de partenariat avec l’UE ?

Les conséquences immédiates sont une concurrence renforcée et inégale au sein du marché intérieur ACP, mais aussi de larges opportunités pour les producteurs et créateurs ACP au sein du marché de l’UE et de tous les pays ACP ! Pour profiter de ces accords les pays africains doivent maintenant adopter des stratégies d’unification de leurs  économies et pour avoir des entités viables fortes et compétitives dans ce vaste marché ACP-UE !

Les conséquences externes pourraient être la recherche d’accords de même type de la part des américains, des chinois, des japonais, des marocains et des tunisiens…

Il faut considérer  que la négociation de l’accord transatlantique entre l’UE et les USA pourrait avoir  des conséquences sur les États ACP et particulièrement ceux d’Afrique !

La vulnérabilité des Etats ACP, découlant de leurs faiblesses territoriales et démographiques, est la véritable cause de leur  manque de compétitivité  dans l’économie mondiale !