Abdou Ndéné Sall, secrétaire d’Etat au reseau ferroviaire : « Le chemin de fer est un volet important dans le Pse »

 

En homme du sérail, le secrétaire d’Etat au Réseau ferroviaire, Abdou Ndéné Sall, explique la pertinence des projets de réhabilitation du chemin de fer, dans le Plan Sénégal émergent (Pse). De l’avis de cet ingénieur polytechnicien qui a travaillé à la Régie des chemins de fer et évalué beaucoup de projets de transport, la réalisation à temps des projets ferroviaires devrait avoir un impact positif sur l’économie sénégalaise.

Vu votre cursus, on peut dire que vous n’êtes pas en terrain inconnu suite à votre nomination comme secrétaire d’Etat au Réseau ferroviaire…

Non, je ne suis pas en terrain inconnu. Ma formation de base, c’est l’Ecole polytechnique de Thiès, qui m’est d’un apport considérable pour diriger ce département, pour mériter la confiance du président de la République. Je suis polytechnicien de base et j’ai fait Economie et Finance. Ce qui me permet de cerner toute la chaîne de valeur du secteur. En dernier lieu, j’ai fait aussi Stratégie. Cela me donne des outils pour relever le secteur des chemins de fer.

 

 Quel est l’état des lieux des chemins de fer du Sénégal.

Le défi n’est pas favorable parce que le secteur des chemins de fer a été abandonné pendant longtemps. Ce qui fait vivre le secteur, c’est la productivité. Un secteur qui n’est pas productif est cannibalisé par les autres secteurs. C’est la loi de l’économie. Maintenant, on se donne une ambition de redynamiser le secteur. L’état des lieux n’est pas tellement favorable, mais c’est un défi qu’il faut relever. Nous avons deux principales lignes de chemin de fer : la ligne qui va à Mékhé pour l’exploitation des mines de zircon,  en passant par Thiès et la grande ligne Dakar-Bamako. A Dakar, il y a une petite ligne pour le train de banlieue. Le président de la République a des projets pour toutes ces lignes dans le Plan Sénégal émergent (Pse). Le président est un homme du chemin de fer. C’est pourquoi il a créé un secrétariat d’Etat qui s’occupe exclusivement de ce secteur. Il a des projets majeurs qui, une fois réalisés, vont relever le secteur.

Quel rôle peut jouer le chemin de fer dans le Plan Sénégal émergent ?

Le chemin de fer est un secteur important dans le Plan Sénégal émergent. Ce plan est un investissement massif qui va créer de l’emploi et de la croissance. Le premier projet dans le Pse, c’est la ligne de la desserte de l’Aéroport international Blaise Diagne (Aibd), la modernisation des deux voies entre Dakar et Thiès. La ligne Dakar-Aibd, longue de 50 km, sera à écartement standard. Elle permettra de rallier l’aéroport en 34 minutes. On en profitera aussi pour réhabiliter la ligne Dakar-Thiès avec 2 fois 2 voies sur 70 km, avec un écartement métrique à rénover. Tous ces investissements accompagnent un développement particulier. Nous avons, en dehors de cela, la construction de la ligne de chemin de fer à écartement standard par le sud. Ce sera une nouvelle ligne qui va quitter Dakar pour aller à Tambacounda, ensuite descendre jusqu’à Kédougou pour les mines de fer de la Falémé et remonter à Kidira, Kayes et Bamako. Cette nouvelle ligne sera longue de 757 km. En dehors des mines de fer de la Falémé, il permettra l’exploitation des mines de bauxite du Mali et le désenclavement de la Casamance.

Nous avons aussi la réhabilitation de la ligne de chemin de fer actuelle Dakar-Kidira-Bamako. A la base, nous avons 1.235 km dont 573 à l’intérieur du Sénégal. Pour ne pas occasionner des ruptures de trafic ou pour éviter que le trafic malien qui part du port de Dakar ne soit détourné vers la Côte d’Ivoire, cette ligne sera réhabilitée par phasages. Le président Macky Sall souhaite développer l’axe Dakar-Bamako. Pour cela, le gouvernement a fait sécuriser, auprès de la Banque mondiale, 80 millions de dollars pour boucler toutes les études.

La Banque mondiale est en train de développer un prêt à des taux concessionnels ou semi-concessionnels avec la Banque islamique de développement (Bid), la Bad (Banque africaine de développement) et la Banque européenne d’investissement pour que les chemins de fer que nous avons connus enfants (je suis de Tivaouane) soient rénovés, restructurés. Il y a, pour cela, des diligences à régler d’abord. Nous sommes en concession complète avec Transrail, mais nous allons réorganiser le secteur pour faire une société de patrimoine, une société d’exploitation et une agence de régulation. Nous allons faire un modèle économique où les gens vont payer une taxe de passage. Cela va réorganiser le secteur. Le problème qui se pose avec les concessions intégrales, c’est que le privé n’a pas accès à de l’argent à des taux concessionnels, contrairement à l’Etat.

 Dans le Pse, il est aussi question d’un tramway à Dakar. Où en êtes-vous ?

Nous avons quatre projets. Nous avons programmé deux projets dans le Pse. Il y a la construction de la ligne Dakar-Aibd et les deux voies allant de Dakar à Thiès. Le deuxième projet, c’est la construction d’un tramway à Dakar, long de 35 km, avec deux voies. Les études sont déjà faites. Nous avons la ligne 1 qui est de 19,5 km, la ligne 2 de 7,9 km, la ligne 3 de 10,3 km et la ligne 4 longue de 5,1 km, la ligne 5 de 4,1 km et la ligne 6 de 2,8 km. C’est un projet assez cohérent, on crée une dorsale qui quitte le port, avec des embranchements. Ensuite, nous avons le combiné avec le tracé Brc-Cetud-Apix. Si nous réalisons tout cela, nous réglons le problème du transport à Dakar. C’est un réseau qui ressemble à celui de Paris. Nous prévoyons le démarrage de ces projets en début 2015, nous espérons les terminer très rapidement. Un projet est souvent bloqué par les ressources. Ici nous n’avons pas de blocage parce que les ressources sont déjà disponibles. Dans ce sens, la Chine et nos partenaires européens nous ont donné des engagements forts, il suffit maintenant de lever les fonds et de commencer les travaux.

 Est-ce la Chine qui va assurer la réalisation de ces ouvrages ?

A part ma formation de base de polytechnicien, je suis financier. Les projets sont en fonction de leur maturité, du marché mondial. Actuellement, nous avons des projets où les partenaires techniques et des sociétés étrangères ont signé des mémorandums avec nous. C’est le cas pour la ligne de l’Aibd. Nous avons signé un mémorandum avec une société chinoise dénommée China railway construction corporation (Crcc). Elle est la première société chinoise en chemin de fer. Pour le tramway, il y a l’Agence française de développement (Afd) et aussi les Tchèques qui sont très forts dans ce domaine. Notre finalité, c’est de réaliser les projets à temps pour qu’ils puissent impacter l’économie. Nous ne sommes pas fermés dans un canevas, mais la Chine est très en avance dans les négociations. Nous prévoyons même de faire une visite en Chine avant la fin du mois d’août pour relancer toutes les entreprises qui ont signé un mémorandum avec l’Etat, afin de voir tous les axes de blocage de sorte que les projets puissent être réalisés à temps. Parce qu’il y a un monitoring avec le Bureau opérationnel de suivi du Pse (Bosse). Il ne s’agit pas de faire des projets avec des coûts qui ne reflètent pas la réalité car ce sont les générations futures qui vont payer, donc il ne faut pas hypothéquer leur avenir.

A combien s’élève le coût global de ces projets ferroviaires ?

Nous avons des coûts prévisionnels pour chaque projet. Par exemple, pour la ligne Dakar-Aibd, et la modernisation des voies ferroviaires Dakar-Thiès, c’est un coût prévisionnel de 155 milliards de FCfa. Pour la construction de la nouvelle ligne de chemin de fer à écartement standard sur 757 km, qui fait partie du corridor inter-Etats, le coût prévisionnel est de 542 milliards.

La réhabilitation de la ligne Dakar-Kidira coûtera 285 milliards. Le tramway va coûter 370 milliards. En chemin de fer, le kilomètre revient à peu près à un milliard de FCfa si c’est un écartement métrique, et 1,4 milliard de FCfa si c’est un écartement standard.

 Y aura-t-il, parallèlement, un renouvellement du matériel roulant ?

Oui. Nous allons nous occuper de la réhabilitation du rail lorsqu’il s’agira d’ériger une société de patrimoine. Maintenant, les entreprises avec lesquelles nous avons signé des contrats de partenariat se chargeront de livrer le matériel roulant. La société d’exploitation verra si ce matériel roulant est suffisant ou non pour suivre la demande. Le président Macky Sall a une ambition forte pour le Sénégal. Il faut se rappeler sa déclaration de politique générale de 2004 lorsqu’il était Premier ministre. Il parlait déjà d’un Sénégal émergent dans son discours. Malheureusement, à l’époque, il n’était pas dans les conditions pour réaliser ces projets. Macky Sall met les infrastructures au cœur du développement. Certes, elles ne sont pas de la production, mais elles améliorent la production. Quand on produit alors qu’on n’a pas les infrastructures adéquates pour assurer le transport, pour relier les gens, acheminer les marchandises au port, ce n’est pas cohérent. Les infrastructures sont le cadre, sans elles, on ne peut pas attirer les investissements directs étrangers. Il faut que le pays soit attractif, et cette attraction est basée sur l’amélioration des facteurs de production dont le transport, l’accès à l’énergie.

Le Pse, c’est l’énergie, des plateformes. Nous avons l’ambition de délocaliser des emplois industriels chinois. Avec le relèvement du niveau de vie en Chine, les gens ne peuvent plus continuer à y produire. Le Smic en Chine est passé de 150 dollars à 500 dollars et sera bientôt à 1000 dollars. On ne peut pas produire des chaussures avec des ouvriers à 1000 dollars. La Chine va donc délocaliser sa production dans des pays où les salaires sont toujours supportables. Actuellement, la Chine a commencé à délocaliser des emplois en Ethiopie. Le Sénégal va mettre les conditions pour accueillir les entreprises chinoises qui veulent se délocaliser en Afrique. Notre ambition, c’est de créer, au moins, un million d’emplois. L’ensemble des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) fait 120 millions d’emplois industriels à délocaliser. Les délocalisations font entrer beaucoup de devises parce qu’on transfère la richesse d’un étranger au Sénégal. C’est ça qui crée l’équilibre de la balance extérieure. L’émergence, c’est quatre facteurs : la croissance, l’emploi, la stabilité et l’équilibre extérieur. Il faut combiner ces quatre facteurs pour avoir une croissance appréciable. Nous avons des problèmes de calcul de la croissance. On nous dit que nous avons 3 % de croissance alors que d’autres pays font 8 %, pourtant la vie est meilleure ici. Il y a beaucoup de choses qui ne sont pas intégrées dans le calcul de la croissance. Le Pse vient combiner les quatre facteurs cités.

 La léthargie du chemin de fer avait plongé beaucoup de localités dans la torpeur. Avec la réhabilitation du rail, doit-on s’attendre à la réouverture de certaines gares ?

Le président de la République a l’ambition de rouvrir certaines gares comme celle de Guinguinéo qui était un relais avec les ateliers de réparation. La survie d’un projet dépend de la productivité et de la rentabilité. Le secteur doit avoir une économie viable pour se maintenir. Un secteur ne peut pas vivre de subventions.