ANGLETERRE Londres menace de s’affranchir de la justice européenne

 

Le gouvernement britannique a lancé une nouvelle charge contre l’Union européenne, s’en prenant cette fois aux décisions des juges de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), dont il menace de s’affranchir s’il n’obtient pas certaines libertés.

Trop laxistes à son goût, les décisions des juges de Strasbourg n’ont plus rien à voir avec les principes à l’origine de la Convention européenne des droits de l’Homme ratifiée par Winston Churchill il y a 60 ans, a affirmé le ministre de la Justice Chris Grayling, dans une tribune publiée ce vendredi 3 octobre par le quotidien Daily Mail.

«Reprendre le pouvoir aux juges européens»

«Des prisonniers autorisés à des traitements d’insémination artificielle au motif de protéger leurs droits familiaux, le droit de vote pour nos détenus, pas de peine à vie pour les criminels les plus violents, pas d’expulsion des terroristes», a-t-il énuméré, soulignant qu’il était temps pour son pays de «reprendre le pouvoir aux juges européens».

Si les conservateurs gardent le pouvoir à l’issue des législatives de mai prochain, alors ils exigeront que les décisions des juges de Strasbourg ne soient plus que consultatives. A défaut, ils rompront avec eux. Ils abrogeront aussi la Loi sur les droits de l’Homme (Human right act) votée en 1998 sous les travaillistes pour instaurer à la place un British Bill of rights, ancré dans «les valeurs» britanniques.

«Nous dirons très clairement (…) que les décisions concernant notre nation doivent être prises par notre Parlement et nos tribunaux et pas ailleurs», a affirmé M. Grayling.

Liberté d’extrader

Cette annonce intervient alors que la CEDH vient de relancer le bras de fer avec Londres concernant la privation systématique de droit de vote infligée à ses détenus, en lui transmettant un dossier de plus de mille plaintes.

Le gouvernement britannique exige aussi la liberté d’extrader qui elle veut alors que Strasbourg s’est opposé à plusieurs reprises à ses décisions. Ce qui ne l’a pas empêché d’expulser en 2013 le prédicateur islamiste Abou Qatada vers la Jordanie où il vient finalement d’être acquitté, ou de donner son aval à l’expulsion vers les Etats-Unis de l’islamiste présumé Haroon Aswat alors que la CEDH s’y était opposée en raison de la maladie mentale présenté par cet homme, schizophrène.

Séduire les populistes

L’offensive du gouvernement britannique vise aussi à séduire l’électorat dans un contexte général de défiance vis-à-vis de l’UE, exacerbé par la victoire aux élections européennes au printemps du parti populiste et europhobe Ukip et par les éditoriaux de la presse populaire britannique prompt à accuser Bruxelles de tous les maux.

Le Premier ministre David Cameron, pris en tenaille entre les europhobes de son parti et l’Ukip, a promis la tenue d’un référendum sur le maintien dans l’UE en 2017, à l’issue de négociations visant à rapatrier nombre de pouvoirs dévolus à Bruxelles.

L’organisation Human Rights Watch et la Helsinki Foundation for Human Rights ont immédiatement dénoncé des projets qui «vont démanteler un système qui depuis 60 ans protège les droits de millions de personnes à travers 47 pays», dans un communiqué.

«Proposer que les tribunaux et le Parlement du Royaume-Uni puissent tout simplement ignorer ou outrepasser les décisions de la CEDH avec lesquelles ils ne sont pas d’accord est un cadeau fait aux gouvernements oppressifs d’Europe et au-delà. Si ces plans aboutissent, ils nuiront gravement à la crédibilité du Royaume-Uni», a estimé David Mepham, directeur de Human Rights Watch UK.

The Guardian contre tous

Parmi la presse, le quotidien The Guardian était le seul à critiquer ces annonces. Dans un éditorial, il a estimé que la loi sur les droits de l’Homme est «une source de fierté». Soulignant qu’elle assurait à la Grande-Bretagne le statut de nation respectueuse des principes universels des droits humains, il estime qu’elle protège les citoyens contre des gouvernements «tentés de s’agenouiller devant des journaux qui réclament des abus du droit» dans un pays obsédé par la menace terroriste et migratoire.

Le Daily Mail se réjouissait au contraire en Une de la fin «de la farce des droits de l’Homme» tandis que le Sun mettait en images et en mot la loi vouée à la poubelle.

(afp/Newsnet)