
Il y a 40’000 ans, en Asie, des hommes ornaient déjà leurs grottes de peintures comme en Europe. Cette découverte, révélée mercredi 8 octobre par la revue britannique «Nature», bouleverse l’idée couramment admise selon laquelle l’art pariétal serait apparu d’abord en Europe de l’Ouest.
En étudiant les grottes calcaires de Maros, sur l’île indonésienne de Sulawesi, une équipe de scientifiques australiens et indonésiens a établi qu’une main humaine peinte en négatif avec une technique de pochoir datait d’il y a 39’900 ans au moins.
Une autre œuvre, dans la même caverne, est âgée d’au moins 35’400 ans: la représentation très réaliste d’un cochon «babirusa», avec ses petites pattes et sa queue, peinte avec des pigments rouges. Cette datation en fait l’une des premières peintures figuratives au monde.
Datation par l’uranium-thorium
Pour parvenir à ces résultats, les chercheurs ont utilisé la méthode de datation par l’uranium-thorium.
«On considère souvent que l’Europe a été au centre de la première explosion de créativité humaine, particulièrement avec l’art des cavernes, il y a environ 40’000 ans», souligne l’un des auteurs de l’étude, Maxime Aubert, de l’université australienne Griffith.
«Mais nos datations de l’art pariétal de Sulawesi montrent qu’à peu près au même moment, à l’autre bout du monde, des hommes réalisaient des peintures d’animaux aussi remarquables que celles des grottes de France et d’Espagne pendant l’Age de glace», ajoute-t-il.
La première oeuvre d’art connue au monde est la peinture d’un disque rouge découverte dans la grotte d’El Castillo dans le nord de l’Espagne et datée d’au moins 40’800 ans. Une main au pochoir trouvée sur ce même site a au moins 37’300 ans.
La peinture figurative la plus ancienne retrouvée en Europe est un rhinocéros de la grotte Chauvet (France) qui aurait entre 35’300 et 38’800 ans.
Dégradation rapide
Situées au sud de l’île, les cavernes ornées du karst de Maros sont connues depuis les années 1950. Mais on a longtemps cru que leurs peintures avaient moins de 10’000 ans en raison de l’érosion rapide dans cette région tropicale qui laissait penser qu’elles ne pouvaient pas être très anciennes.
De fait, elles sont beaucoup moins bien préservées qu’en Europe et elles se dégradent désormais à grande vitesse.
Dans la grotte, l’eau riche en minéraux qui ruisselle sur les parois se transforme à certains endroits en couches de calcite (carbonate de calcium) contenant des traces d’uranium. La désintégration des atomes d’uranium fonctionne comme une horloge, permettant de dater ces concrétions calcaires.
L’équipe de chercheurs a effectué des prélèvements sur des concrétions de type «pop-corn» (sorte de petites stalactites blanchâtres) qui recouvrent par endroits douze empreintes de mains et deux représentations d’animaux. Ces concrétions permettent de donner un âge minimum à ces œuvres.
Capacité d’abstraction
«L’art des cavernes est l’un des premiers indicateurs de la capacité d’abstraction de l’esprit, le début de l’être humain tel que nous le connaissons», selon Thomas Sutikna, de l’université australienne de Wollongong.
«Désormais, les Européens ne peuvent plus revendiquer seuls d’avoir été les premiers à développer un esprit d’abstraction. Ils doivent partager cela au moins avec les premiers habitants d’Indonésie», déclare Anthony Dosseto, directeur de l’université de Wollongong et coauteur de l’étude.
Phénomène indépendant ou origine commune ?
«Il est possible que l’art des cavernes soit apparu de façon indépendante à peu près au même moment aux deux extrémités de la répartition géographique des premiers hommes modernes», relève l’étude.
Un scénario alternatif serait que «l’art pariétal était largement pratiqué par le premier Homo Sapiens à quitter l’Afrique des dizaines de milliers d’années auparavant». Les animaux peints retrouvés dans les cavernes de Maros et la grotte Chauvet «puiseraient alors leurs origines profondes hors d’Europe et d’Indonésie», ajoutent les chercheurs.
Dans ce cas, il faut s’attendre à de nouvelles découvertes dans d’autres régions du monde, notamment en Australie, selon eux.(ats/Newsnet)